Théorie du PCRA (Plan Cul Régulier Affectif)

par Luc-Laurent Salvador
samedi 28 mai 2011

« Il y a dans ma génération une sorte de blase. L’absence d’idée du bonheur. La conscience des illusions. Le couple est un concept qui nous dépasse, l’amour une chose qu’on souhaite éviter. A Paris, comme ailleurs, mais dans toute la démesure dont cette ville est capable, il y a ces gens qui couchent ensemble, vont au resto ensemble, passent de bons moments ensemble, mais ne sortent pas ensemble. Factuellement, pourtant, c’est une relation ». Cette citation d’un beau post de stagedoor dessine parfaitement le contour de ce qui sera notre objet de réflexion : le PCRA ou Plan Cul Régulier Affectif.

Dans une émission de France Inter tout ce qu’il y a de plus convenable, j’ai entendu il y a quelques mois une animatrice évoquer une notion que j’ai pris comme une claque tant elle formule brutalement une réalité dont je n’avais pas mesuré ni l’acuité, ni l’étendue.
 
« Plan Cul Régulier Affectif », prononcé dans un grand éclat de rire par une belle voix féminine sur une radio officielle, il n’en fallait pas plus pour que je prenne la chose au sérieux et décide d’aller voir de quoi il retourne.
 
Mais je ne suis pas un journaliste, plutôt un théoriste. C’est-à-dire que je ne peux pas m’intéresser à quelque chose sans m’efforcer de le comprendre du mieux possible. Ce qui suit est donc une construction, un modèle, plutôt qu’une enquête à proprement parler.
 
La question à laquelle je vais m’efforcer de répondre c’est le « pourquoi ? » (tout cela) que stagedoor a laissé en suspens à la fin de son post. Je m’empresse de préciser que ce dernier me paraît beau en raison de la lucidité dont il fait preuve comme de son efficacité à cerner l’objet du problème. Il va de soi que la situation décrite n’est pas belle, elle est même un peu affligeante.
C’est pour cela que je tenterai ensuite de répondre à la question qui me paraît découler naturellement : « qu’est-ce qui manque ici ? » pour proposer une alternative au PCRA qui fera apparaître celui-ci pour ce qu’il est : une forme de résignation acquise qu’il s’agit de reconnaître en tant que telle pour se donner les moyens d’en sortir, comme on décide de sortir d’une dépression.
 
Essayons tout d’abord d’avoir une idée plus claire de ce qu’est le PCRA. Prenons la définition encore un peu brute de coffrage de Zara : « En gros un PCRA ce serait : on s’apprécie, on couche ensemble, on va au ciné ensemble, on se fait des câlins, on va au resto, on ne fréquente pas d’autres personnes, etc… MAIS, on ne forme pas un couple. »
 
Il y a plusieurs idées ici, essayons de les démêler. Tout d’abord, dans le PCRA, contrairement au PC (Plan Cul), l’autre n’est pas, comme le formule férocement ra7or, un simple objet de consommation sexuelle, un sex toy, verge ou vagin, avec éventuellement l’option bras. Les affects y sont bienvenus car légitimes. C’est l’ensemble de la personne qui est apprécié et pas seulement ses caractères sexuels.
 
Ensuite, ce qui distingue un PCRA d’une relation de couple, c’est l’accord (explicitement consenti ou non) sur le fait qu’il ne s’agit PAS d’une « relation » au sens de ce qui fait lien, qui attache. Il y a accord sur une « non relation » acté par le fait que les deux partenaires se rencontrent et échangent comme dans une bulle… :
1. En se gardant d’y introduire tout objet ou projet commun qui engagerait et ferait lien aux yeux de l’entourage. Ils partagent seulement des choses éphémères, consommables ou immatérielles qui ne feront pas trace, c’est-à-dire, ne deviendront pas le symbole d’une relation. Faire l’amour, aller au cinéma, au restaurant, à la plage, en promenade, ou même en voyage, tout cela peut, en principe, entrer dans le cadre du PCRA car une fois que les partenaires se donneront le kiss goodbye, ils pourront partir sans que rien ne les rattache à ce qui fut. Les « objets » stables et caractéristiques de la vie conjugale (maison, enfant, voiture, famille, amis, album photo, etc.) sont a priori exclus du PCRA.
2. Et en faisant comme si l’extérieur (de la bulle) n’existait pas :
o L’entourage est tenu à distance car il validerait la réalité de la relation.
o L’autre y fait ce qu’il veut. La rencontre ne tenant qu’à un consentement mutuel dans l’ici et maintenant. Ceci rend a priori illégitime toute demande de fidélité. Quel que soit le besoin éprouvé sous ce rapport par l’un ou l’autre des partenaires, s’il consent au PCRA, il ne peut que le taire. Si cela ne lui est pas possible, un PCRE, c’est-à-dire, un PCR Exclusif pourra toujours être proposé.
 
Pour filer la métaphore philosophique, on pourrait donc dire que le PCRA est une sorte de relation « zombie » ou Canada Dry. Ça a le goût et la couleur d’une relation de couple, mais ça n’en est pas une.
 
La question est maintenant de savoir pourquoi il existe quelque chose comme le PCRA !?
 
Les principales raisons que l’on peut imaginer me paraissent être les suivantes :
1. Le PC ne peut être que rarement satisfaisant. Car pour cela, il conviendrait d’être sûr que l’autre est vraiment demandeur de cette situation où il/elle se trouve réduit au statut d’objet sexuel. Si cela n’est pas certain et, pire encore, si l’on sait que ce n’est pas ce que l’autre désire véritablement, l’acte satisfera un besoin physiologique au prix d’une violence psychologique faite à l’autre et, par effet boomerang, à soi-même. Seules les personnes à fort besoin physiologique et faible empathie peuvent se satisfaire longtemps d’un mode de rapport qui exploite la fragilité de l’autre pour se l’asservir sexuellement. Bien sûr, on peut, en principe, imaginer un PC entre deux personnes également désireuses de se limiter à l’instrumentalisation sexuelle réciproque, mais dans les faits il est probable que le consentement au PC d’un des partenaires sera basé sur une logique du « c’est mieux que rien » lui laissant espérer un changement dans l’attitude de celui qui, en définitive, impose, immoralement, le PC.
2. Dans le contexte du processus d’individualisation qui caractérise les sociétés occidentales, la fiction sociale du couple marital est en train de s’écrouler par la force même de l’idéalisation dont elle est porteuse et qu’elle a pu contenir seulement un temps, à présent révolu. Les institutions n’ont plus le pouvoir de cantonner l’individu à la place de simple rouage d’un processus de reproduction sociale. Ce dernier s’est progressivement affirmé comme sujet désirant jusqu’à la « toute-puissance » et, porté plus que jamais par l’idéal romantique, il espère l’âme-sœur avec une obstination proportionnelle à son narcissisme. Cette quête d’idéal — qui s’affirme paradoxalement et avant toute chose dans le nombre grandissant de divorces, c’est-à-dire, le refus d’un quotidien qui n’est pas à la hauteur de ses attentes — place le sujet de plus en plus à distance vis-à-vis du concret car, au travers de ses expériences, c’est-à-dire, de ses échecs passés, elle le rend de plus en plus expert dans le repérage de ce-qui-ne-me-va-pas-chez-l’autre et le maintient dans une attitude qui constitue un parfait obstacle à la réalisation de son rêve. Mille petits nons naissent en lui quand il ne vit que pour le moment où, de tout son être, jaillira un grand OUI. Mais comme l’individu idéaliste a lui aussi des besoins à satisfaire ici et maintenant, il est naturellement porté à s’inventer des solutions d’attente pour « vivre » quand bien même ce ne serait pas l’idéal. Le PCRA lui permet de se procurer des satisfactions sexuelles et affectives sans compromettre la réalisation de son idéal. Faute de grives, le libre sujet, désirant mais idéaliste, que nos sociétés produisent, se résout à croquer du merle. Mais en prenant toutes les précautions pour rester sans attache et disponible à l’espoir du « perfect match ».
3. Le PCRA peut être relativement satisfaisant car l’autre ne s’y trouve pas réduit à un sex-toy, un objet sexuel. Le partage de « bons moments » est beaucoup plus large que le simple coït et peut couvrir quasiment tout ce qui fait le meilleur de la vie de couple — à l’exception notable de ce qui constitue l’essence de la vie de famille, mais cela ne pèse guère car les vicissitudes de celle-ci font que souvent les couples se « retrouvent » quand ils en sont éloignés. Le soupçon d’instrumentalisation de l’autre à des fins sexuelles est levé par cette diversité et par un partage émotionnel qui semblent traduire une attention à la personne.
 
Bien que ceci dépeigne un tableau assez affligeant qui, comme l’écrit stagedoor, est source d’« une sorte de blase » dans les générations montantes, ce sont les raisons « positives » qui, me semble-t-il, contribuent à l’existence même du PCRA.
 
Il est d’autres raisons, que je qualifierais de « négatives » en ce sens qu’elles font obstacle à ce que, pour imager la chose, je propose de considérer comme un processus de traversée d’une rive à l’autre du fleuve de Tendre, le pays de l’amour.
Le PCRA, si vous voulez, apparaît comme le lieu où les personnes engagées dans cette traversée s’arrêtent parce qu’elles ne savent pas comment aller plus loin, de sorte qu’elles se retrouvent de plus en plus nombreuses, coincées au beau milieu du gué.
Cette situation ne peut, en aucun cas, se révéler satisfaisante. Il convient en effet d’achever la traversée. Mais pour cela, encore faut-il... :
(a) comprendre de quelle traversée il s’agit,
 et
(b)avoir une vision claire de la rive à atteindre.

C’est ce à quoi nous viendrons dans le prochain article.


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