Thomas Piketty et ces sentiers battus qui ont été tracés dans un terrain vague

par Michel J. Cuny
mercredi 28 octobre 2015

À la différence du "Capital" de Karl Marx, "Le capital au XXIème siècle" de Thomas Piketty ne prétend pas analyser les fondements du mode capitaliste de production. Ainsi que celui-ci l'écrit directement à la suite de sa phrase évoquant les "valeurs méritocratiques sur lesquelles se fondent nos sociétés démocratiques" :

"Des moyens existent cependant pour que la démocratie et l'intérêt général parviennent à reprendre le contrôle du capitalisme et des intérêts privés, tout en repoussant les replis protectionnistes et nationalistes. Ce livre tente de faire des propositions en ce sens, en s'appuyant sur les leçons de ces expériences historiques, dont le récit forme la trame principale de cet ouvrage." (page 16)

Il s'agit donc, sans doute, de refonder le tout sur les "valeurs méritocratiques", dont on pressent qu'elles risquent de ne pas vraiment faire le poids avec la valeur d'échange qui fonde, elle, le capitalisme, tout en assurant les intérêts privés qui vont avec. Mais pourquoi ne pas y réfléchir ?

La méritocratie est un système de répartition des richesses... Or, de même que Jacques Lacan aimait à plaisanter sur le fond même du monothéisme en le définissant par la formule lapidaire : "Y a d' l'un !", nous pourrions dire qu'en mode capitaliste de production : "Y a d' la richesse, à se répartir !" Ce qui n'est pas nécessairement ce qu'il y a de plus désagréable...

Sauf pour celles et ceux qui ont lu Malthus. C'est alors qu'on arrête de rigoler. Thomas Piketty en a fait lui aussi l'expérience :
"Pour Thomas Malthus, qui publie en 1798 son Essai sur le principe de population, aucun doute n'est permis : la surpopulation est la principale menace." (page 19)

Fallait s'y attendre : il y a, certes, la question de la taille du gâteau - mais c'est réglé : "Y a un gâteau !"... Ainsi, tout dépend désormais de la quantité des convives à régaler... Au mérite.

Ce qui revient à découper des parts inégales pour des mérites inégaux : sûr, qu'il va y avoir du sport.

Pour sa part (!), Thomas Piketty a eu le bon goût de ne pas aller vers la solution mathématique de facilité, et pourtant son cursus universitaire l'y invitait :
"Ma thèse se composait de quelques théorèmes mathématiques relativement abstraits." (page 63)

Or, c'est précisément à cet endroit qu'il a buté sur quelque chose de tout à fait désagréable avec quoi il a décidé de briser assez rapidement, et c'est ce qui nous le rend plus que sympathique : admirable, tout simplement, si l'on veut bien considérer de quoi notre époque est faite, par ailleurs...
"Disons-le tout net : la discipline économique n'est toujours pas sortie de sa passion infantile pour les mathématiques et les spéculations purement théoriques, et souvent très idéologiques, au détriment de la recherche historique et du rapprochement avec les autres sciences sociales. Trop souvent, les économistes sont avant tout préoccupés par de petits problèmes mathématiques qui n'intéressent qu'eux-mêmes, ce qui leur permet de se donner à peu de frais des apparences de scientificité et d'éviter d'avoir à répondre aux questions autrement plus compliquées posées par le monde qui les entoure." (page 63)

Est-il si facile de rompre avec ce système-là (de répartition ?), et de refaire sa formation si rapidement ? Suffirait-il, pour cela, de supprimer quelques équations un peu trop complexes ?

C'est ce à quoi va répondre, sans doute, la suite de l'analyse minutieuse du livre de Thomas Piketty.


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