Totalement prédateur

par patrick Barbier
lundi 24 octobre 2022

Avant, quand j’étais petit, j’avais deux héros, Zorro et Robin des Bois. Maintenant que je suis grand et responsable (j’ai un PEL, quelques actions Total, je suis abonné à la revue Challenges et j’écoute Dominique Seux), je sais que des types subversifs qui prennent systématiquement la défense des plus faibles et des plus pauvres au détriment des plus riches, ce n’est pas constructif et c’est surtout contre-productif. Dans la fameuse théorie du ruissellement à laquelle j’adhère totalement, on a quand même plus besoin de riches que d’assistés professionnels qui se gavent avec les minimas sociaux.
 
Désormais je n’ai plus qu’un seul héros : Patrick Pouyanné. La misère, il connaît, son père n’est que Directeur Régional des Douanes à Bayonne. C’est sans doute de là que lui vient son surnom de « jambon » et sa volonté de vouloir des décennies plus tard et dans un très pur élan lacanien « bayonner » les syndicats. Toujours est-il qu’en 1986, il rentre en tant que Vérificateur de Température de l’Huile dans l’entreprise VICO, mais en désaccord avec l’Aromatiseur en Chef qui veut commercialiser une chips au goût de fraise tagada, il démissionne pour rejoindre une branche de la BNP de Londres. Comme quoi la chips mène à tout… Là encore, après des divergences de vue avec le Chef Comptable qui impose l’emploi généralisé d’agrafeuses électriques alors que Patrick a passé un contrat avec une société qui n’en fabrique que des manuelles, il s’en va.
 
On le retrouve co-dirigeant la Direction Générale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement du Nord Pas de Calais où ses connaissances en aérodynamisme de la chips en milieu ouvert feront merveille. Pourtant, poussé à bout par l’autre Directeur qui lui demande les mêmes résultats mais en milieu fermé, Pouyanné décide d’apporter ses compétences au Ministère de l’Industrie. Là, grâce à ses capacités à faire reluire les chaussures des hauts fonctionnaires placés au-dessus de lui, il devient conseiller technique d’Edouard Balladur, à qui Patrick soufflera deux des meilleures punchlines du Premier Ministre de Jacques Chirac : « Le scrutin majoritaire est le plus démocratique car il permet aux électeurs de choisir la politique à mettre en œuvre » et celle qui a mis en PLS tous les humoristes de l’époque : « Je ne fais pas de promesses mais je les tiens ».
 
Grâce à ça, toutes les portes que Patrick n’avait pas encore pu franchir s’ouvrent devant lui. Il devient Directeur de Cabinet du Ministre des technologies de l’information et de la Poste, j’ai nommé un autre humaniste : François Fillon avec qui il transforme France Télécom, un des joyaux de l’état en Société Anonyme, et désormais joyau de la prédation financière. Mais ses anciennes amours, l’huile et l’odeur de gras lui commandent en 97 de rejoindre la compagnie pétrolière ELF en Angola, grande démocratie africaine pour, deux ans plus tard, se voir nommé au sein de la branche « exploration-exploitation » d’une autre grande démocratie adepte des droits de l’homme, le Qatar, qui n’a que peu de connaissances en exploration mais qui, en matière d’exploitation (du sous-sol pétrolier et des étrangers pauvres) en connaît un rayon.
 
Puis ELF se fait absorber par TOTAL et Patrick Pouyanné s’y trouve bien puisqu’il devient Directeur « Finances-Economie-Informatique en 2002 puis Directeur « Stratégie-Croissance-Recherche » en 2006. Pour les années suivantes, je vous fais un résumé parce que même l’Excellence, en matière de pantouflage industriel et politique, ça peut vite devenir chiant comme un conseil d’administration de chez ORPEA où les seuls rebondissements consistent à savoir de quoi on va priver les vieux et sur quoi on va les rationner.
Patrick Pouyanné est Directeur de ceci, Directeur Général de cela puis Président d’un autre truc, avant d’être bombardé Président du Comité Exécutif de TOTAL après le décès accidentel de Christophe de Margerie dans le crash de son avion dû à une déneigeuse égarée sur les pistes alors qu’il ne neigeait pas, par un conducteur ivre-mort qui avait bu deux verres de vin. Il existe une photo des Services Secrets russes, américains et français qui s’étouffent de rire en se roulant par terre mais elle n’est plus disponible sur le Net.
 
Il est dans la foulée, au bout de quelques mois désigné Président du Conseil d’Administration. TOTAL sous sa présidence, ne reste pas les deux pieds dans le même sabot et fait un retour en Iran, autre grande démocratie (la propension de TOTAL à toujours investir dans les pays les plus chaleureux et paisibles force l’admiration). Plus rigolo, l’entreprise investit dans les énergies vertes en rachetant presqu’un quart des parts du Groupe EREN, dédié à l’économie des Ressources Naturelles. Il existe une photo du Conseil d’Administration pendant lequel la décision a été prise où l’on voit Pouyanné et les autres participants écroulés de rire mais elle n’est plus disponible sur le Net.
C’est le début d’une époque où quelques jaloux font surgir des polémiques qui normalement n’auraient pas lieu d’être dans la Haute Société, comme celle où Patrick, contrairement à d’autres Grands Patrons, choisit d’assister au Forum Économique de Ryad au moment où l’Arabie Saoudite est soupçonnée d’avoir fait assassiner le journaliste Jamal Khashoggi qui je le rappelle fut tué et coupé en morceaux par un commando saoudien. L’autre controverse surgit lorsque Pouyanné décide de quasi doubler les dividendes versés aux actionnaires de TOTAL en passant de 3 % à 5 ou 6 %. Ceux-ci n’oublieront pas leur bienfaiteur lorsqu’il s’agira de voter pour l’augmentation de son salaire de PDG.
Les braves gens…
 
Et parfois Patrick Pouyanné dérape. Alors qu’il lui aurait été si facile, comme ses homologues Grands Patrons de faire semblant de vanter en public les énergies renouvelables, il réfute la réalité du réchauffement climatique, « trop manichéen, trop faussé ». Une autre mini-tempête viendra du fait qu’en pleine pandémie Covid et alors que le gouvernement invite les entreprises à réduire les dividendes versés aux actionnaires, Pouyanné refuse, fidèle à ses idéaux financiers et prévoit de leur verser sept milliards d’euros malgré des profits en baisse. Pour rééquilibrer les finances du Groupe mais au prix d'une légère acidité gastrique car il se souvient de son enfance malheureuse auprès de son indigent de père, il licencie sept cents salariés.
 
Aujourd’hui, il est sous le coup d’une plainte déposée par ANTICOR et GREENPEACE pour prise illégale d’intérêts. Mais Patrick Pouyanné s’en fout, il est trop occupé en pleine guerre contre l’Ukraine à continuer d’importer du gaz russe malgré les pleurnicheries de Bruno Le Maire qui demande gentiment aux grosses entreprises de tenir compte des Droits de l’Homme. Là aussi, il existe une photo de notre capitaine d’industrie pleurant de rire en entendant la déclaration du Ministre de l’économie mais elle n’est plus disponible sur le Net.
 
Et c’est cet Homme magnifique, cet aventurier des temps modernes ayant pris tous les risques, acceptant parfois des salaires moindres que ses homologues Russes ou Chinois, pour la pérennité et le bien de sa société, c’est cet Homme disai-je qui est harcelé par des hordes de quatre ou cinq cégétistes surpayés. Des traîne-savates n’hésitant pas pour des raisons purement mercantiles à prendre en otage toute une nation de courageux travailleurs.
Je pense à Patrick, le soir avant de m’endormir et je prie les dieux du CAC40 de lui donner la force de continuer. Lorsque j’étais enfant, je me voyais en Zorro, pourfendant les méchants. Aujourd’hui, je suis solidaire de Patrick Pouyanné, l’Homme aux six millions annuels plus les stock options et divers avantages dus à sa position. Patrick Pouyanné, droit dans ses bottes sur mesure et qui appelle Bruno Le Maire pour lui demander : « Il fait quoi Didier Lallement, en ce moment ? »
 
PS
Merci à Wikipedia pour les dates, les titres successifs et les chiffres. Tout le reste appartient à notre actualité et à notre histoire.

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