Tourisme

par alinea
vendredi 17 août 2012

Avant il y avait des pays et des peuples ; ils étaient étrangers, ils parlaient une langue que nous ne comprenions pas, échangeaient une monnaie dans laquelle nous nous perdions en de vaines comparaisons avec la nôtre, il fallait passer des frontières pour aller admirer leurs paysages et les regarder, eux, tout en espérant les rencontrer.
Il nous fallait préparer le départ, envisager l'itinéraire, rêver le séjour puis le réaliser.

Tout le monde n'en avait pas les moyens et sans moyens tout le monde n'en avait pas le courage.

On appelait ça, des voyages.

Le voyage était le trajet dont le but évitait l'errance, dont le prétexte aiguisait le regard ; celui qui partait savait qu'il serait submergé par l'exotisme, l'étrangeté, la fatigue ; il savait qu'il devait sérier ses choix pour pouvoir les goûter.

L'aisance venant aux européens du nord, ces virées lointaines se firent de plus en plus aisées et attirèrent de plus en plus de gens auxquels étaient offerts des séjours « clés en main » tout en maintenant l'illusion de l'aventure.

Le voyage ne fut plus que quelques heures passées dans un espace confiné ou rien ne peut se passer d'autre qu'une prise d'otages ou un crash ! Un temps que l'on tue en mangeant du tout prêt sous cellophane, en buvant, en regardant un film, en sommeillant, en travaillant sur son portable quand on est un habitué, tout cela en se gelant.
En dessous, à quelques mille mètres, la terre défile ; on en aperçoit quelques lueurs.

On débarque, hagard et pour ne pas perdre pied, il faut garder son personnage, son rôle, ce qui est facilité par le fait qu'on part rarement seul.

La suite n'est que visites de musées vivants, en 3D, le farniente à la plage, au bord de la piscine ou dans des salons luxueux où de jolies femmes vous servent ou vous incitent.

On a gagné le confort, fini les cafards dans les hôtels, l'eau froide d'une douche parcimonieuse, une nourriture, que les estomacs habitués aux frites et hamburgers digèrent difficilement.

Les pourvoyeurs de sensations douces ont fait leur beurre ; ils ont construit des hôtels, partout les mêmes ; bref, ils ont inventé puis entériner le tourisme !

Avec le tourisme, les occidentaux ont tué toutes les cultures insulaires et fragiles, ont perverti tous les peuples, ont saccagé toute diversité humaine, bien plus sûrement qu'avec leur colonisation armée.

Je veux bien croire qu'il ne faille pas battre sa coulpe pour les horreurs commises par nos ancêtres sur tous les peuples du monde mais j'affirme que la moindre personne qui a pris l'avion pour se payer des vacances dans les pays du sud, est complice d'une exploitation et d'une sournoise destruction : que vaut l'esclavage des petites gens qui servent les touristes pour le compte de riches occidentaux ( ou australiens) comparé à l'esclavage des noirs qui ont bâti la richesse de l'Amérique ?

À voir tout le monde basculer dans les abîmes du tout argent donne un tournis étrange...

L'argent n'a plus qu'utilité à détruire, polluer, asservir...

 

Avant, la France était un pays qui accueillait puis s'appropriait les esprits et les artistes les plus éminents ; ébullition intellectuelle et politique, artistique et scientifique ; le peuple n'était pas à la traîne avec une culture régionale riche et vivante.

Le France a établi sa grandeur sur ces faits et sur sa langue, belle et difficile, beaucoup plus que sur ses colonies.

Aujourd'hui, elle est devenue un pays touristique : elle vend son passé et ses trésors, elle vend ses domaines et ses terres, elle vend son âme.

Elle brade son capital.

Les touristes s'y pressent, nombreux, autant que ses habitants, ils viennent se faire servir ; ils veulent le soleil, les paysages, les musées et le patrimoine.

Les européens du nord s'installent en colonies, deviennent les seigneurs d'une agriculture difficile dans des régions où le soleil est généreux et le sol poussiéreux.

La population autochtone ne se double pas d'une nuée hétérogène d'hommes curieux et amoureux, mais elle accueille, de plus en plus mal d'ailleurs, les nantis d'une classe sociale uniforme et apatride.

Certes notre PIB s'accroît lui aussi, mais pas en proportion. Hormis quelques propriétaires terriens dont les mas, les châteaux les demeures ont « de la classe » et qui, pour les transformer en chambres ou tables d'hôtes, en gîtes, ont reçu du contribuable un bon poids de deniers, hormis quelques patrons d'hôtellerie et de restauration, peu de gens s'engraissent sur cette manne.

Je n'ignore pas tous les emplois précaires des saisonniers des domaines ci-dessus nommés, du sport et des loisirs sans oublier les gardiens de parking, les gardiens de plages, les marchands de glace, les marchandes de fleurs, les cracheurs de feu, les marchés de tout et rien, et tous les musicos débutants qui poussent la chansonnette aux terrasses.

Je n'ignore pas grand chose de tout cet argent brassé à cette occasion mais je sais qu'un peuple a perdu son âme que de plus riches que lui a vendue.

Et quand on n'a plus d'âme, on est dans l'errance matérialiste.

Il ne reste plus que des individus épars, éloignés les uns des autres par des intérêts contradictoires ou rivaux, un monde sans lien, dans toutes les contrées du sud et du bord de mer.

Nous n'entretenons plus notre patrimoine pour honorer notre culture, comme on honore ses ancêtres mais nous les transformons en objets de consommation : notre passé est devenu un lucre et peu importe la trahison.

Cette catastrophe écologique et sociale ne se contente pas de vider nos territoires de leur vie, mais elle pollue, construit, bétonne, goudronne, uniformise un paysage jusqu'à la nausée.

Les touristes arrivent en avion, en voiture ou en train ; il a fallu leur construire des voies ferrées pour des locomotives qui les amènent à grande vitesse tant ils sont pressés et importants et l'on vante ce mode de transport ( que Dieu sans doute soi-même propulse avec son petit doigt) mais on oublie que les territoires de ceux qui n'ont pas eu l' heur de naître humains sont séparés à jamais et qu'il ne transporte chez ces humains que des spécimens fortunés.

Il a fallu leur construire des aéroports, des autoroutes, des routes, des bretelles, des ponts, des viaducs ( merveilleux ouvrages au demeurant) ; il a fallu exproprier des dizaines, des centaines de petits propriétaires, de petits paysans.

Il a fallu construire des golfs, des piscines, des pelouses, des ports, des marinas pour que ce petit monde s'égaye, puisse reprendre des forces pour, en rentrant chez lui, continuer de faire tourner le monde à l'envers.

C'est ce qu'on appelle l'économie.

Alors, les autochtones appauvris, dépossédés, envahis, partagent l'eau, payent des impôts exorbitants, augmentent leur budget loisirs ou nourriture de vingt à cinquante pour cent pendant tout le temps où leurs congénères aisés du nord croient bon de venir encombrer leurs routes, s'exposer aux UV, étuver sous la canicule et rouler à vélo à midi...

Et puisque ces riches ont rendu le prix de la moindre baraque inaccessible aux locaux, les plus malins ou les plus aisés d'entre eux vont au Maroc reproduire le schéma !

Les moins malins ou les moins aisés se ruinent en loyers ou restent à la rue.

Mais... tout cela donne du public aux festivals et grattouille le nombril d'imbéciles qui, pour l'instant s'en tirent bien et s'illusionnent encore sur « la grandeur de leur pays » !

 

Quant à l'Espagne, je laisse la parole à Luis Sepulveda, dans son article du Monde Diplomatique d'août :

 

extraits :

« … Pas un qui ne se délecte d'affirmer que le tourisme est la première ( ou la deuxième pour les plus placides) industrie du pays, pas un pour rappeler que la manne touristique est sujette à des contingences extérieures à la volonté de ceux qui la convoitent et qu'elle génère, outre la fortune du patronat hôtelier, un complexe d'infériorité qui abîme la société toute entière. Ce n'est pas la même chose d'habiter un pays en pointe dans l'innovation technologique ou un pays de domestiques, de cuisiniers et de réceptionnistes. »

« … La corruption apparut dans la vie politique espagnole comme l'essence même du picaresque(1) : je te finance ta campagne électorale et tu m'accordes des permis de construire sur les terrains de ta commune.

Des épouvantails urbains se mirent à pousser un peu partout, comme Seseña, la ville fantôme du désert de Tolède : treize mille cinq cents appartements, sans eau, ni gaz, ni infrastructures, sans habitants non plus, à l'exception de quelques naufragés et des tourbillons de sable.

Les banques avaient fait grimpé artificiellement le prix de cette verrue immobilière avant de la céder à l'un des entrepreneurs les plus riches d'Espagne, Fransisco Hernando Contreras, dit « ' l' Égouttier »- un personnage très picaresque, analphabète devenu milliardaire grâce à l'évacuation des excréments. »

« … La fièvre immobilière et la corruption afférente se concrétisèrent par des aéroports grandioses où jamais un avion n'atterrit, par des lignes de trains à grande vitesse qu'aucun passager n'a empruntées, par des circuits de course automobile où forniquent les lapins, par des maisons de la culture pharaoniques qui servent de volières aux pigeons. Au milieu de tout cela, les banques affichaient des bilans comptables les plus triomphaux de l'histoire. »

 

(1) : Le roman picaresque apparaît en Espagne au cours du XVIe siècle. Son protagoniste central est le picaro, un antihéros d'extraction populaire généralement sans scrupules.

 

Alors, pour ceux qui ont le courage de partir en avion, de remplir des formulaires à n'en plus finir, d' écrire des professions de foi, expliquer qu'ils ne sont ni homosexuels ni terroristes, de ne pas pouvoir emporter ne serait-ce qu'une bouteille d'eau ou leur opinel : bonnes vacances !


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