Tourisme à Venise : la cote d’alerte a été dépassée
par Fergus
mardi 12 septembre 2023
Régulièrement, celle que l’on nomme « la Sérénissime » est exposée au phénomène de l’« acqua alta », cette submersion maritime qui, insidieusement, dégrade lors des grandes marées les sublimes monuments de la vénérable Cité des Doges. Hélas ! une autre submersion, au moins aussi problématique, affecte la ville de Venise : elle est causée par la déferlante des vagues touristiques. Or, le samedi 9 septembre, la cote d’alerte a été officiellement dépassée, et c’est une très mauvaise nouvelle…
Depuis de longues années, les Vénitiens l’observent avec amertume : insidieusement, au gré des appétits spéculatifs des investisseurs et des décès des personnes âgées dont les biens sont détournés de leur usage antérieur par les héritiers, la physionomie de l’habitat change inexorablement dans la ville. Ici, des anciennes résidences sont découpées en petits appartements de rapport. Là, des commerces ou des ateliers d’artisan, installés parfois depuis des dizaines d’années, disparaissent.
De telles transformations sont évidemment porteuses de conséquences dommageables pour la population locale. Elles se traduisent en effet par un implacable et regrettable constat : le nombre des hébergements locatifs de courte durée destinés aux touristes ne cesse d’augmenter dans le centre historique. Et cela au détriment d’un habitat permanent de moins en moins accessible aux natifs de la cité, que ce soit en termes de disponibilité ou de moyens financiers.
Entre les chambres d’hôtel, les chambres d’hôtes et les appartements gérés par Abritel, AirBnB, Booking, Casamundo et autres plateformes, ce nombre a même dépassé la cote d’alerte le samedi 9 septembre, si l’on se réfère aux données fournies par les associations OCIO* et Venessia en relais des statistiques officielles. Ce jour-là, les compteurs installés près du pont du Rialto ont en effet affiché simultanément 49 693 lits touristiques pour 49 304 résidents permanents dans le centre historique.
Des compteurs qui s’affolent : en quelques années, le nombre des lits touristiques a doublé ! Et les Vénitiens se déchirent entre les habitants consternés de voir la Cité des Doges perdre peu à peu son tissu vivant traditionnel pour se transformer en ville-musée, et les propriétaires qui tirent du tourisme de confortables revenus et se dédouanent de leurs responsabilités en invoquant la manne financière apportée par les visiteurs aux restaurateurs et aux boutiquiers spécialisés dans la vente de produits touristiques.
Entre ce phénomène de submersion touristique – on compte jusqu’à 100 000 visiteurs par jour en pleine saison ! – et l’état de grand délabrement du logement social, la Cité a perdu plus de 120 000 habitants en 70 ans. Une réalité vertigineuse qui pas encore suffi à conduire l’État italien et la municipalité à prendre les mesures drastiques qui s’imposent pour lutter contre ce fléau dont les effets sont aussi dévastateurs pour la pérennité de ce joyau de l’histoire de l’Humanité que les hautes eaux qui en sapent les fondations.
Au point que l’Unesco, dont les membres s’apprêtent à se réunir, pourrait déclarer Venise en péril, avec menace de perdre son classement au Patrimoine Mondial si les Italiens n’ont pas présenté au plus tard le mardi 12 septembre un programme cohérent et déterminé de lutte contre le surtourisme. Tous les amoureux d’histoire et d’architecture croisent les doigts pour que des solutions soient trouvées afin de limiter les afflux de touristes en haute saison. Il en va de la sauvegarde de de la Sérénissime.
* Osservatorio CIvicO sulla casa e la residenza
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