Tous les dieux sont morts : vive le libéralisme

par Jacques-Robert SIMON
mercredi 27 avril 2016

TOUS LES DIEUX SONT MORTS : VIVE LE LIBÉRALISME

Jacques-Robert SIMON

 

 Dieu a été tué par les marchands, les hommes d’église, les libres penseurs et les philosophes ; les premiers par intérêt, les seconds par fanatisme, les deux derniers par sottise. En effet que représente la vie sans l’espoir, l’espoir d’être l’égal des autres, l’espoir d’exister, l’espoir d’être aimé et de pouvoir aimer sans risques, sans être ridicule. Et l’espoir est toujours associé à une croyance ; on peut croire en Dieu, mais on peut croire aussi en la république, la lutte des classes, la démocratie toutes formes d’idéologies qui concrétisent le même espoir que les rapports de force ne représentent qu’une forme primitive d’humain. Se passer d’espoir implique de se passer également de table des valeurs, ultime et incontournable référence pour toute décision finale. Le nouveau millénaire offre les « marchés » comme juge suprême : cet arbitre est partial et émet des sentences qui récompensent les plus forts, rarement les meilleurs, et ces vainqueurs n’ont nul besoin que l’on les conforte dans leurs certitudes. La modernité dont on nous repaît trouvera-t-elle une voie nouvelle ? Les marchés seront-ils bientôt supplantés dans leur rôle de juge suprême ?

 Commençons par examiner quelques traits des marchands d’aujourd’hui qui peuvent être regroupés sous la bannière du libéralisme. Le libéralisme prône la régulation des échanges par les marchés : l’offre doit équilibrer la demande avec le minimum d’interventions de forces politiques (donc morales). Dans ce cadre, certains achètent le temps et le talent d’autres personnes pour mener à bien un projet, une entreprise : les Hommes ne sont plus égaux mais l’asservissement est contractuel. Pour ordonner les transactions, un espace social est défini par des vecteurs de base qui peuvent être la Liberté, l’Égalité, la Fraternité. Tout le nouveau testament est imprégné d’Amour et de Fraternité ; en plus de deux millénaires, il a été possible de mesurer l’effet de cette exhortation : si elle ne fut pas seulement d’ordre poétique, les progrès vers un monde plus apaisé furent lents et souvent brisés par des aléas. Il y a peu d’espoir que les élans d’amour, même rendus obligatoires et médiatisés , suffisent à assurer la justice, si tant est qu’on la recherche. Les marchands ont de tout temps considérés l’amour comme une gêne au commerce et ils s’en débarrassèrent dès que l’autorité ultime ne se revendiqua plus d’un Dieu officiel. Toutefois, ils affichèrent avec encore plus d’ostentation leur foi pour montrer à tous qu’ils n’étaient pas des mécréants. La fraternité se suffit à elle même pour engendrer la Liberté et l’Égalité. L’impossibilité de l’établir par la raison conduisit à essayer d’autres chemins.

  Il est acquis qu’une société un tant soit peu complexe nécessite des prises de décision ne pouvant pas relever au jour le jour d’une autorité centrale, des micro-décideurs locaux, obéissant si possible aux lois et règlement généraux, sont indispensables. Des cheffitudes sont ainsi créées, d’autant plus efficacement que la liberté est grande mais au détriment de l’Égalité. Le libéralisme met en avant que l’enrichissement de tous se produit d’autant plus vite si l’on accepte les inégalités engendrées par le « progrès ». Actuellement environ la moitié des richesses mondiales est dans les mains de 1% de la population et il est indéniable que la consommation globale augmente. Cependant, les inégalités s’accroissent depuis une quinzaine d’année : a-t-on sacrifié une classe sociale sur l’autel de la mondialisation et du libéralisme ?

 L’Égalité de fait s’avérant impossible, on mit en avant l ‘égalité des droits pour apaiser les légitimes rancoeurs individuelles. Le libéralisme n’est alors probablement que la façon la plus habile de défendre ses privilèges : les privilégiés n’auront aucun mal à se doter des plus grands droits si ceux-ci sont définis par une élite au sein d’assemblées. La réglementation ne peut être que le reflet des préoccupations des possédants. La conscience de classe constitue une arme efficace pour faire valoir des droits auxquels les travailleurs n’ont que difficilement accès en tant qu’individus. Pour briser cette pensée collective, qui peut devenir redoutable, deux méthodes furent employées.

 La première a consisté à échanger une égalité économique contraignante pour les possédants contre une égalité de droits plus facile à contourner. Des fractions de population peu représentées dans les sphères de domination furent mis en avant : les femmes et les déviants sexuels par exemple. Les membres de ces strates appartiennent évidemment à l’ensemble des classes sociales et les combats ainsi canalisés obscurcissent efficacement les intérêts essentiellement divergents qui séparent les maîtres des obligés.

 La seconde méthode consiste à nier à la fraction populaire toute espèce de discernement quant aux évolutions des conditions de travail engendrées par l’immigration : les porte-paroles du mal-être furent qualifiés de populistes, terme poli mais injurieux. Le Populisme désigne un type de courants politiques qui fait appel aux intérêts du peuple, masse laborieuse et frustre, qui n’a rien de commun avec les élites pensantes. La démagogie, faite de passions plus que de raison, est généralement le trait principal associé au populisme. L’extrême droite est populiste sans toutefois faire de distinctions de classe : les esclaves resteront esclaves mais ils seront commandés avec la poigne nécessaire. À ce jeu, même les caporaux peuvent rêver. Il est de bon ton de prononcer « populisme » avec ce dédain contenu qu’a toujours celui qui fait faire aux autres ce qu’il ne sait pas faire lui-même. Si le populisme désigne par essence une multitude, il n’en est pas de même du libéralisme qui met au contraire la responsabilité individuelle en avant. Le discours des prolétaires est en accord avec ses intérêts, c’est la raison pour laquelle il est jugé simpliste. Si le nombre d’offres augmente grâce aux migrations plus vite que la demande, il n’est guère difficile de prévoir que les conditions offertes aux travailleurs se dégraderont. Cette problématique peut être facilement cernée, et le fut très tôt. Le PCF fut ainsi décrété raciste en 1980 suite à l’épisode dit du « Bulldozer de Vitry » qui illustrait le fait que des intérêts divergents peuvent surgir entre migrants et travailleurs locaux. L’état des sociétés occidentales est tel qu’elles ne pourront en aucun cas ralentir l’afflux de migrants, surtout avec les méthodes actuellement utilisées. 

 L’informatique change toutefois les données du problème. Le savoir et même souvent le savoir-faire peuvent s’acquérir par auto-apprentissage grâce aux ordinateurs et aux réseaux auxquels ils donnent accès : les structures scolaires voire universitaires peuvent à terme devenir inutiles. De plus, les algorithmes permettent d’analyser des problèmes de plus en plus complexes et de proposer des solutions concrètes. Après la défaite de G. Kasparov aux échecs contre un ordinateur IBM en 1997, la même chose s’est reproduite récemment au jeu de go. Un super-ordinateur peut maintenant vaincre un cerveau humain. Le caractère génial d’un individu donné n’a toujours été qu’une chimère entouré qu’était tout savant de nombreux semblables, mais le génial inégalable sera de plus en plus l’apanage des machines. Ainsi Dieu sera très probablement remplacé par un super-ordinateur, encore faudra-t-il le programmer correctement. Les logiciels et les moteurs de recherches sont aux mains de seulement quelques groupes susceptibles de vouloir régenter leurs domaines. La maison mère de Google représente la première capitalisation boursière du monde (555 milliards de dollars) devant … Apple.

 Alors les super-ordinateurs seront-ils les nouveaux dieux ou des marionnettes ?       


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