Transition écologique : le Rouge ou le Noir ?
par Jacques-Robert SIMON
samedi 24 avril 2021
Chacun reconnaît qu’une transition vers autre chose est non seulement indispensable mais inévitable. En se plaçant dans des cas extrêmes, il est possible d’avoir une idée des futurs possibles.
Les constatations tout d’abord. Les approvisionnements en énergie fossile ne pourront pas être remplacés intégralement par les énergies dites renouvelables. Il ne sera pas possible d’assurer un niveau de vie correspondant à un modeste revenu minimum garanti à hauteur de ce que l’on connaît en France à l’ensemble des quelques 8 milliards habitants de la planète. Aucune transition vers un autre état stable ne peut s’envisager sans une baisse très significative des consommations et des pouvoirs d’achat.
Plus personne ne conteste ces données. On s’interroge seulement sur la façon de faire, sans trop de dommages, le saut dans le vide qui attend de toute façon l’humanité. Le « mur des énergies fossiles », pour lequel une variable augment exponentiellement avec le temps, est visible pour toutes les courbes représentatives de l’activité humaine (niveau de vie, consommation d’énergie, démographie, niveaux de protection sociale…) : tout semble débuter au XVIIIe siècle durant lequel les combustibles fossiles commencent à être utilisées massivement. Cette consommation frénétique ne pouvant pour des raisons évidentes perdurer, il faut réduire dans un futur proche et d’une façon draconienne – au moins 50% - la production et la consommation globale, d’une façon égalitaire ou non. Deux cas limites sont envisagés en fonction de la méthode employée : le Rouge impose l’usage de la force, le Noir implique un conditionnement des masses.
Pour mener une action difficile, coûteuse en efforts, sans récompenses à court terme, il est nécessaire d’avoir un sacré, pas obligatoirement divin, qui ne peut pas être remis en cause La force tient d’une façon ancestrale ce rôle sans que la modernité contemporaine n’ait vraiment modifié son importance. L’arme nucléaire constitue la seule arme qui reste dans les mains des occidentaux. Peu d’États possèdent officiellement l’arme nucléaire : la Russie et les États-Unis possèdent plus de 90 % des armes nucléaires de la planète, la Chine, le Royaume-Uni, la France se partagent la quasi-totalité du reliquat. L’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, Israël possèdent l’arme nucléaire officiellement ou officieusement.
Il est fortement improbable que les principaux détenteurs de l’arme nucléaire s’attaquent les uns les autres, la destruction de tous étant assurée. Par contre, ils peuvent écraser ceux qui ne l’ont pas. Le pouvoir de destruction des moyens nucléaires se mesure en tonnes équivalant aux quantités d’explosifs classiques (TNT : Trinitrotoluène). Une bombe de 10 Mt (Mt : Mégatonne) peut causer la destruction d’une région couvrant environ 400 kilomètres carrés. Les Etats-Unis possèdent de l’ordre de 1 000 bombes à hydrogène, ils ont la possibilité d’en fabriquer un demi-million. Les occidentaux ont donc en leur possession une source de puissance à l’échelle planétaire.
L’utilisation de l’arme nucléaire contre des populations est impossible si les sociétés ne sont pas en guerre. Il faut donc prévoir une progression guerrière pour permettre sa mise en œuvre.
Des attentats de plus en plus nombreux secouent les sociétés occidentales, des pans entiers de territoires ne sont plus contrôlés par les instances gouvernementales. Des émeutes se produisent d’abord fréquemment puis incessamment : l’armée doit être appelée en renfort. Les premiers morts ne font que renforcer la détermination des émeutiers. Certains pays s’insurgent contre le traitement réservé aux fauteurs de troubles, en particulier l’un d’entre eux peuplé de plus de 200 millions d’habitants et qui a servi de refuge au responsable d’un attentat sans équivalent dans l’histoire. Les services de sécurité interceptent des militants étrangers qui approvisionnent les ‘territoires perdus’ en armes. Les pays étrangers qui fomentent les troubles sont dénoncés par les plus hautes instances internationales. Une escadre de chasseurs est envoyée pour détruire le port supposé responsable des envois principaux. Les attentats redoublent. À ce moment, l’irréparable est commis : la Synagogue Hourva est soufflée lors d’une explosion causant près de 100 morts. Le kamikaze est identifié, il fait partie d’un pays à direction religieuse. Le soir même, la capitale de ce pays est bombardée. Les principales ambassades sont alors prises d’assaut dans plus de 40 pays, le personnel diplomatique lynché, les archives brûlées, les agents autochtones pris en otage. Le Conseil de sécurité de l’ONU est réuni et une sommation intimant de rétablir l’ordre est envoyé à l’ensemble des gouvernements concernés, trois de ceux-ci expulsent les diplomates onusiens se trouvant sur leur sol. Un second terrible attentat est commis ; une bombe sale dopée au plutonium explose faisant des dégâts incommensurables. La plupart des 40 pays ne le condamnent pas. Le sort était scellé : la fureur nucléaire s’abattit non pas pour détruire des infrastructures mais pour exterminer les populations. Ceci se traduisit par 2,2 milliards de morts soit un peu plus du quart de la population mondiale. Une transition vers une nouvelle société devenait possible tant pour les quantités de ressources disponibles que pour les économies tout en préservant la prééminence des pays nantis qui consomment plus de 60% de l’énergie totale.
L’option noire semble moins tragique. Le peuple qui peut se flatter, à bon droit, d’avoir été à l’origine de quasiment toutes les innovations techniques n’est alors plus favorisé, du moins d’une façon aussi flagrante.
Les moyens de coercition antiques, blâmes, bannissements, châtiments corporels, prison, camp de travail, permettaient de contrôler les foules en les utilisant en temps utile lorsque nécessaire. Les technologies 2.0 permettent eux de contrôler et de formater les pensées, ce qui rend marginale l’utilisation de la force physique. Les nouveaux moyens de communication permettent de gommer l’intelligence individuelle pour faire place à une inintelligence collective. Le plus lettré, le plus savant, le plus érudit, le plus sage ne sert plus de référence, seul le nombre d’approbations venant de tous sans distinction importe, quelle que soit la nature de ce qui est dit ou proféré. Il suffit de faire confiance à la puissance des désirs mimétiques pour obtenir une opinion homogène quitte à bannir socialement les rares qui s’obstinent à penser.
Même s’il est facile de transformer une idée personnelle en une non-pensée collective, encore faut-il pouvoir initier une transition écologique concrète moins dispendieuse en énergie. Il faut faire appel à une force mentale supérieure, il s’agira de la peur.
Le modèle à suivre fut la grippe espagnole qui s’est répandue à partir de 1918, environ 5% de l’humanité de l’époque disparut. Les sciences du vivant ayant fait d’immenses progrès, la contagiosité et une mortalité ciblées peuvent être facilement obtenues par des manipulations génétiques, si besoin est. Une régression satisfaisante des activités humaines peut être obtenue en augmentant le temps d’activité de la pandémie, jusqu’à pouvoir compter vers une pandémie sans fin. L’ensemble des têtes pensantes ou éclairées unanimement se rangea derrière les autorités politiques et sanitaires de chacun des pays ce qui servit de test pour l’efficacité locale des gouvernances. La mobilité des Hommes comme des marchandises fut entravée, les productions bloquées, les voyages rendus impossibles. Le fichage des individus put atteindre un niveau de sophistication et de précision inégalé dans toute l’histoire de l’espèce humaine. Les variants succédant aux mutants, les jours, les semaines, les mois purent s’écouler sans la pandémie ne s’éteigne. Puis les années passèrent, l’extraordinaire devint banal.
La production de biens et de service mondiale s’effondra, les gens partirent moins loin en vacances, travaillèrent davantage à partir de leur domicile, consommèrent préférentiellement des produits locaux. La tutelle sur les corps et les esprits permit le contrôle des subversions et même des mauvaises humeurs. Chaque microcosme défini par son ethnie, son genre, ses relations, ses proches, ses amis, ses semblables poussait ses représentants pour asseoir leur pouvoir sur la toile, les litiges étaient réglés par l’Algorithme suprême que personne ne pouvait contester, les votations démocratiques reléguées aux oubliettes. Le Bonheur était là ! La transition était faite ! Le monde vert régnait !
Le Rouge et le Noir représentent des cas limites où une des variables a été poussée jusqu’aux extrêmes. Ce ne sont pas des descriptions d’un futur hypothétique mais des vecteurs de base du futur qui ne manquera pas se produire.