Transition énergétique, écoblanchiment et gilets jaunes

par Clark Kent
lundi 19 novembre 2018

L’opération « gilets jaunes » du 17 Novembre a mis en évidence, s’il en était besoin, la dépendance de fait du mode de vie à actuel à l’utilisation de la voiture et l’impact des hausses de prix des carburants dans les budgets des ménages et des artisans, pour leurs transports, leurs systèmes de chauffage et l’utilisation des engins thermiques.

Le grain de sable qui est venu coincer les rouages pourtant lubrifiés de la fabrique du consentement était en fait un caillou assez gros dont les think-tanks experts en manipulation avaient sous-estimé la taille : le prélèvement de nouvelles taxes sur l’alimentation de la vache à lait automobiliste conditionné par leurs propres stratégies marketing des années passées.

Tout a été dit sur les motivations des gilets jaunes : pas d’alternative opérationnelle pour changer de « comportement énergétique », détournement des taxes pour compenser les déficits budgétaires en impactant les plus démunis, inégalité flagrante de pénalisations qui ne touchent que les consommateurs et pas les industries chimique ou le transport aérien, etc.

Mais pour comprendre l’origine d’un malaise, il faut aller au-delà des symptômes, car la prescription de remèdes qui se contentent de soulager la douleur ou de masquer les effets secondaires n’a jamais empêché un cancer de se développer.

Et le cancer, c’est quoi ?

Pour établir un diagnostic, examens et analyses sont nécessaire. Le thermomètre social est capable d’évaluer l’intensité d’un accès de fièvre mais pas d’en déceler l’origine et encore moins de prescrire une thérapie.

Or, le discours des donneurs de leçons patentés donne des indices sur pour la résolution de l’énigme. Tout tourne autour de la formule magique : « transition énergétique ».

Dans son livre, "La guerre des métaux rares", Guillaume Pitron soulève le voile qui cache les dessous d’une industrie nouvelle et juteuse, peinte en vert pour séduire, mais en réalité au moins aussi polluante que les filières qu’elle prétend remplacer, basées sur la houille et le pétrole.

On comprend en lisant ce livre que l’extraction d’un seul kilogramme de lutétium, l’un des 30 éléments les plus rares du monde, il faut charrier 1 200 tonnes de roche. La séparation requiert l’utilisation de grandes quantités d'eau, d'acide chlorhydrique et d'une énorme quantité d'énergie produite principalement à partir de combustibles fossiles. Or, si l'industrie pétrolière est devenue de moins en moins polluante, les activités minières, charbon compris, le sont de plus en plus, et c’est le seul recours pour la reconversion des centrales thermiques au gaz ou au fuel. Autrement dit, le pétrole est mis à l’index pour mettre en place une solution encore plus polluante.

Dans l’environnement des grandes mines d’extraction des terres rares en Chine et en Mongolie, tout est pollué : le sol, l'air, les eaux souterraines. Les eaux chargées de métaux lourds sont déversées dans des lacs artificiels qui débordent régulièrement et polluent des rivières telles que le fleuve Jaune. Dans la région de Baotou, capitale mondiale des terres rares, cela se traduit par le développement de maladies graves dans la population. Tout le long de la chaîne de production des métaux rares, presque rien n'a été fait pour respecter les normes écologiques et sanitaires les plus élémentaires.

Cet aspect est ignoré volontairement parce que les conséquences environnementales et sociales de cette extraction métallifère ne sont pas ressenties dans les pays consommateurs des produits qui ont recours à ces composants, tels que batteries, panneaux solaires, smartphones et ordinateurs. Dans les années 1980, la filière charbon a été abandonnée en France, extraction et raffinage, pour passer à une technologie plus « propre », mais aujourd’hui, si la société Rhône-Poulenc (alias Solvay), l'une des deux sociétés de produits chimiques pour métaux rares dans le monde fournit des composants jusqu’en Australie, le processus de raffinage s’effectue sur le territoire français. Des ONG ont accusé la société de libérer des éléments radioactifs dans la baie de La Rochelle. Alors, les Australiens se sont tournés vers la Chine. Les trois singes ne veulent ni voir, ni entendre, et ils communiquent peu.

Cacher l'origine douteuse des métaux rares a permis de construire une réputation vertueuse pour en revêtir les technologies vertes et numériques. C'est un blanchiment écologique, ce que les anglophones appellent « greenwashing ». Parce qu’ils connaissent très bien le coût d’accès aux métaux rares et « propres », les décideurs ont choisi une solution à court terme : exporter pollution et savoir-faire en délocalisant l’industrie stratégique. Un choix que nous allons payer de plus en plus cher puisque maintenant nous dépendons presque entièrement de la Chine, un pays qui fait avec les métaux rares ce que les Saoudiens ont fait avec le pétrole depuis les années 1970. 

Les besoins en métaux rares vont exploser. Une nouvelle mine devra être ouverte chaque année d’ici 2025 pour répondre à la demande. La demande de cobalt devrait être multipliée par 24 entre 2013 et 2030. Il faudra donc ouvrir des mines à tous les niveaux. Barack Obama avait déjà jeté les bases juridiques de l'exploitation des métaux présents dans les astéroïdes ! 

Mais, passer des gilets jaunes aux astéroïdes peut sembler être un raccourci hasardeux, alors revenons sur terre.

La tarte à la crème de la transition énergétique qui nous est vendue par des dirigeants formatés sur le modèle « young leaders » est une double imposture :

Si le mouvement déclenché par les gilets jaunes pouvait avoir pour conséquence de mettre en défaut un processus qui risque d’être une réaction en chaine incontrôlable, alos, ils auraient contribué à rectifier le tir. Mais renoncer aux « nouvelles » technologies n’est pas si facile.

 


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