Travailler mieux pour grandir avec le travail (formation tout au long de la vie, DIF et employabilité)
par Didier Cozin
lundi 1er novembre 2010
Le débat sur les retraites est venu à point dans notre pays. A force de détérioration, de démobilisation et de conflictualité, le travail n’était-il plus devenu qu’un mauvais moment à passer, une parenthèse laborieuse entrecoupée de temps libres tant désirés : loisirs, retraite, ponts, RTT, jours fériés et vacances peuvent-ils tenir d’idéaux professionnels ?
La retraite (et aussi donc la fin du travail) remet paradoxalement le travail au centre des préoccupations et des attentes des français.
Reprenons un peu cette longue histoire du travail (en occultant ses premiers temps faits d’esclavage puis de servage).
Après l’avoir vécu comme une nécessité (travailler pour manger) une torture (tripalium), une perte existentielle (« ne pas perdre sa vie pour la gagner ») et au final une souffrance (mourir au travail) les français ne doivent-ils pas se réapproprier leur avenir professionnel ? Cet extraordinaire moyen de mettre son savoir, ses compétences et ses qualités humaines au service des autres ?
Pour se remettre (du)au travail encore faut-il redonner un sens à ce même travail. Les travailleurs durant toute l’industrialisation furent souvent dessaisis de leurs gestes professionnels. Le travail en miette, le travail parcellisé, le travail incompris était devenu une calamité pour les moins qualifiés (devenus simple main d’œuvre corvéable). A force de mécanisation et de spécialisation, l’idée même d’un travail accomplissement de soi, d’un travail qui ferait grandir et mieux comprendre le monde, cette idée fut abandonnée par nombre de nos concitoyens.
Notre pays et ses paysages furent bouleversés sous les coups de l’industrialisation : désertification des campagnes au profit des villes et grandes agglomérations, mécanisation de l’agriculture (on manquait de bras) des transports (les chemins de fer puis la route), de l’habitat (les grands ensembles, les banlieues) , de la consommation (l’hyper marché et le centre commercial) , du travail (la grande manufacture puis le quartier d’affaires et ses tours de bureaux) et même des loisirs avec la Télévision ou le parc d’attraction, l’industrie était partout.
l’industrie a façonné tout autant les paysages, les villes que les esprits, les emplois et les mentalités :
- Une parcellisation du travail et une « morcelisation » des tâches (le travail en miette, Georges friedmann, 1956)
- Une spécialisation et un enfermement dans des champs professionnels toujours plus étroits (le référentiel métier tenant lieu de viatique pour une vie laborieuse),
- La séparation artificielle entre les travailleurs manuels (ceux qui n’ont pas réussi à s’ « élever » grâce à l’école) et les travailleurs intellectuels à qui seuls l’organisation pourrait offrir un travail stimulant ou des perspectives de mobilité et de promotion professionnelle,
- Une déresponsabilisation du corps social : au lieu de travailler ensemble sur des projets communs, le travail et le capital s’affrontent pour le partage d’un gâteau de moins en moins conséquent,
- Un minutage et une réduction anachronique du temps travaillé (les neurones ne se mettent pas en route au coup de sifflet comme l’a souligné Guy le Boterf)
- Un travail démobilisateur, devenant souvent insupportable (quand on ne peut aimer son travail on lutte pour qu’il disparaisse ou soit le moins présent possible)
Charlie Chaplin dénonça cet univers dans un de ses plus célèbre film« les temps modernes » . L’univers déshumanisé de la grande agglomération avec sa grande usine et au milieu un petit homme, perdu, victime de forces qui le dépassent, tour à tour ouvrier spécialisé dans le serrage de boulons, convive obligé d’une machine automatisée à déjeuner, meneur involontaire de manifestations, pourchassé par la police puis par des malfrats et qui trouvera au final la paix et l’amour auprès d’une orpheline en prenant ses cliques et ses claques avec son baluchon, loin de cette invraisemblable existence moderne.
Si comme la réforme actuelle des retraites le laisse présager, nous devions refonder le travail, si celui-ci doit être réévalué pour que les salariés s’impliquent et collaborent à nouveau au sein de l’entreprise (dernière organisation structurante dans notre pays), chacun va devoir relever ses manches.
Les employeurs peuvent-ils demander une mobilisation des travailleurs réelle si en retour ils n’apportent pas un cadre professionnel de qualité ? Un cadre digne pour travailler ce n’est pas (plus) seulement de l’eau chaude aux robinets ou un système d’éclairage performant, non un cadre digne au XXI ème siècle, c’est avant tout un cadre favorisant les apprentissages, la prise de responsabilité, l’autonomie et le développement des compétences.
Nous ne chercherons pas de la poule ou de l’œuf qui a rendu le travail si insupportable à nos concitoyens mais plutôt comment le ré-inventer et sortir de cette opposition stérile qui marqua les XIX et XX ème siècle : le travail luttant contre le capital.
La déresponsabilisation sociale ne peut perdurer, il faut désormais sortir le social par le haut et ne plus renvoyer vers la collectivité ceux qui ont dû laisser passer le train de l’apprenance depuis 10 ou 20 ans.
L’enrichissement du travail est l’avenir du travail.
Au seuil de l’économie de la connaissance nous ne pouvons nous exonérer du développement des compétences et de l’accès généralisé à la formation tout au long de la vie. Cette formation tout au long de la vie, inscrite dans le patrimoine européen mais encore si mal interprétée dans une majorité de sociétés françaises (et il en est de même dans les administrations).
Notre modèle de société industrielle décline depuis les années soixante-dix :
1. Arrivée de nouveaux compétiteurs industriels, issus non seulement dans de lointaines contrées (la Chine mais aussi les innombrables dragons asiatiques) mais plus près de nous, de cette Europe orientale que l’occident avait passé par pertes et profits après guerre
2. Une crise économique qui obture les perspectives économiques et financières des sociétés, le travail mal organisé, mal ressenti (et mal rémunéré) perd en occident de sa compétitivité (Chez Fiat un ouvrier polonais produit en moyenne 100 voitures par an contre 30 voitures pour un travailleur italien)
3. La société cognitive : Notre économie investit (dans) l’intelligence qui devenu le premier capital des entreprises (ce sont les brevets, la recherche et la maîtrise des process qui créent de la valeur, le capital financier ou les machines n’ont plus guère d’importance, Facebook pèse 20 milliards de $ et s’est construit sans capitaux, avec 1 000 $ en poche)
4. Dans cette société des savoirs ce seront les capacités d’apprendre et la maîtrise des savoirs fondamentaux qui situeront …….. les individus les uns par rapport aux autres dans leurs rapports sociaux.
5. L’économie de la connaissance : L’Europe n’a guère d’autre choix que de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde… » . La mère des batailles du XXI ème siècle sera celle de l’intelligence, pas celle de la finance.
6. L’éducation devient donc un trésor mais aussi une marchandise : Le savoir, véritable produit de grande consommation, se capitalise, s’exploite, se rentabilise et se privatise.
7. Les sociétés et les organisations deviennent apprenantes. Le savoir est l’atout stratégique numéro 1 des individus, des organisations et des nations. Les nations qui exploitent et gèrent efficacement leur capital de connaissances sont celles qui affichent les meilleures performances. Les entreprises qui possèdent plus de connaissances obtiennent systématiquement de meilleurs résultats. Les personnes les plus instruites s’adjugent les emplois les mieux rémunérés.
8. Le nouveau travail de la connaissance. Nous sommes tous devenus tous des travailleurs du savoir, aussi bien « esclaves du savoir » dans les organisations néo-tayloriennes de l’information qu’experts pour des fonctions à haute valeur intellectuelle
9. L’apprentissage tout au long de la vie. L’apprentissage ne se résume plus aux 10 ou 15 années d’instruction obligatoire inventée par Jules Ferry (pour former une main d’œuvre qui rejoindrait l’usine). On apprend désormais tout au long de la vie et aucun diplôme ou qualification passée ne pourra servir de viatique tout au long d’une vie sociale et professionnelle,
10. La responsabilisation des individus. L’Etat providence accompagnait tous les citoyens du berceau au cercueil. Cette prise en charge globale avait ses travers : une déresponsabilisation fréquente (si je n’ai pas de travail c’est la faute de la société) mais surtout une perte d’autonomie sociale et intellectuelle. Désormais l’individu est renvoyé à sa propre responsabilité quant à son sort professionnel et social. Il ne s’agit plus d’entrer dans des compartiments standards mais bien d’évoluer et de se former pour interagir avec le travail et la société.
Pour prendre le relai de cette défunte économie industrielle seule la société de la connaissance pourra apporter un avenir social et économique à l’Europe.
Dans ce nouveau paradigme économique et cognitif le premier rôle revient à l’individu. Il lui faut se prendre en charge, assumer ses apprentissages (on n’apprend pas contre son gré) être capable d’adaptation, de résilience, d’autonomie, de prise de risques. Toutes ces qualités et attentes ne sont pas innées, elles se travaillent, elles se conquièrent, elles se renouvellent. Alors que nos villages gaulois enterrent la hache de guerre des retraites (et donc tire un trait sur le modèle social ancien) il faut que notre pays s’attelle dès maintenant pour enrichir le travail, ses contenus et ses perspectives. La stabilité professionnelle n’est plus synonyme de compétences, il faut redonner de l’air et une dynamique au monde du travail. Comme le traitement social du chômage a échoué depuis 30 ans, ce n’est plus le social qui façonnera l’économie mais bien l’économie qui permettra d’avoir toujours du social.
La formation professionnelle permanente s’appelle désormais Formation tout au long de la vie, il importe, dès 2011, de lui donner consistance et corps afin de sortir des imprécations et des déclarations d’intention sans applications réelles sur le terrain.
Messieurs et mesdames les partenaires sociaux, vous qui vous êtes engagés en 2003 (ANI de septembre 2003) à développer les compétences et l’employabilité de tous les salariés, qu’attendez-vous pour ce faire ?
Didier Cozin
Auteur des ouvrages « histoire de DIF » et « Reflex DIF »