Travailleurs, restons fiers de notre travail !

par Mathieu L.
lundi 23 mars 2009

Je voudrais revenir sur l’affaire Continental. Comme tu le sais sans doute, cher lecteur, l’entreprise a annoncé la suppression de nombreux emplois et la fermeture de l’usine que possède l’entreprise dans l’Oise. Le secteur souffre gravement de la chute des ventes de l’automobile consécutive à la crise du crédit.

L’exemple a frappé, bien plus encore que celui de l’affaire Total. En effet, les salariés de cette entreprise avaient accepté de remettre en cause leurs droits (35 heures et RTT) pour travailler 40 heures payées pareilles que 35 heures, dans le but de sauver leurs emplois. Les médias se sont gaussés, dans ce contexte de crise, de l’échec de cette stratégie : les salariés perdent leurs emplois comme avant, et sans aucun avantage gagné.

Pour moi, les salariés de Continental ont été victimes aussi d’une dégradation permanente menée par l’ensemble des corps médiatiques et élitistes, de la valeur du travail.


Quel était le discours de Continental ? "Globalement, votre travail est sans valeur réelle. Un ouvrier chinois ferait la même chose, et il travaillerait 20 heures de plus par semaine, sans nous ennuyer avec vos demandes permanentes car au moins, eux, ils n’ont pas de syndicats. Or, nous sommes bien gentils, nous avons une éthique, et nous vous proposons de conserver vos emplois en échange d’une remise en cause de vos droits qui préservera nos profits."

En soi, le deal a pu sembler séduisant à nos ouvriers de l’Oise, d’autant plus que les emplois industriels disparaissent depuis le début des années 1980. Cependant, au final, quel résultat ? Ils ont travaillé deux ans de plus à 40 heures, et maintenant, ils sont virés. Lorsque l’activité repartira, si Continental existe toujours, ouvrira sans doute un belle usine en Europe de l’Est ou en Chine, exploitant pour moins cher les ouvriers locaux.

Cette situation vient du fait que les personnes ayant des emplois peu valorisés par la société ont perdu toute fierté dans leur travail, et toute confiance en elles-mêmes. S’estimant encore chanceux d’avoir un travail, et voulant tout faire pour le conserver, ils étaient prêts à accepter beaucoup. Ce manque de fierté des travailleurs du bas de l’échelle, je le vois tous les jours dans les classes. De nombreux parents s’estiment totalement dévalorisés, et espèrent que leurs enfants seront médecins. Devant l’échec de leurs gosses, ils sont dans une honte terrible, pensant que leur enfant fera le même travail infâme qu’eux. Pourtant, sans tous ces boulots, comment notre société fonctionnerait-elle ? On ne peut pas faire tourner une société développée comme la nôtre avec des employés des services, des cadres et des fonctionnaires. Contrairement à ce qu’on nous dit souvent, nous sommes toujours dans une société industrielle, même si l’industrie ne ressemble plus à celle des années 1950.

Ce qui a changé, c’est simplement la localisation de nos industries employant des ouvriers peu qualifiés : maintenant, notre appareil productif est en Chine, où la merveilleuse société socialiste chinoise aide nos capitalistes occidentaux à maximiser leurs profits. Je ne vais pas blâmer Continental ni aucune autre entreprise de faire ces choix. Contrairement à d’autres, je trouve que cette situation est cohérente. Les entreprises capitalistes servent à dégager du profit pour des actionnaires, et les responsables sont ceux qui nous ont fait croire qu’une boîte pouvait avoir une éthique autre que celle-là.

Le problème se localise plutôt au plan politique : ce sont nos gouvernements qui ont mis en place cet écrasement des plus faibles et des plus pauvres ici, et cette exploitation des encore plus pauvres là-bas. Ce sont nos hommes politiques qui ont choisi de ne plus agir de manière trop forte sur l’économie. Ce sont nos dirigeants qui préfèrent agiter la menace de l’immigré, du musulman ou de l’ouvrier chinois que d’assumer leurs responsabilités.

Ce processus touche même les classes moyennes. Je le vis tous les jours dans l’enseignement, où la dévalorisation permanente menée par les pouvoirs sur notre travail touche les collègues et finit par nous faire accepter beaucoup de choses, et encore avons-nous la protection de l’emploi qui nous permet de résister un peu. Cette crise devrait nous permettre de revenir là-dessus et de reprendre conscience que le politique reste au centre des choses.

Je sais qu’il est très difficile, dans un monde où tout le monde vous dit le contraire, d’être fier de son travail, mais je reste assez persuadé que c’est en étant fier de soi et de son ouvrage, quel qu’il soit, qu’on en arrive à la conscience sociale et à l’engagement dans des luttes. Le capitalisme est devenu plus libre parce que les plus faibles et les classes moyennes ont perdu leur fierté d’eux-mêmes et de leur utilité sociale. Le travail de reconquête doit commencer là.

Ah, si seulement, à gauche, on s’en rendait un peu compte…


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