« Tribune juive » avec Carla, c’est du sérieux ! Mais est-ce bien raisonnable ?

par Paul Villach
jeudi 8 janvier 2009

Inutile de se frotter les yeux ! On a bien lu ! Sur la couverture de « Tribune juive » n°44 de janvier 2009 : en légende du portrait de Mme Bruni-Sarkozy, il est écrit : « Carla, l’élue ». Sauf trou de mémoire, on ne croit pas avoir jamais par le passé, où que ce soit, lu pareil slogan au sujet de Mmes de Gaulle, Giscard d’Estaing, Mitterrand et Chirac. Faut-il que Mme Bruni-Sarkozy sorte du lot et soit d’une tout autre classe pour être ainsi adulée par un magazine !

 
Une relation intime simulée

Un très gros plan ressserre l’ovale de son visage pour rapprocher au plus près le tête-à-tête qu’il s’agit de simuler avec le lecteur par le procédé de l’image mise en abyme. La métonymie de ses yeux rieurs et de son sourire enjôleur aux lèvres entrouvertes montre que Mme Bruni-Sarkozy feint de rechercher avec lui la relation la plus intime. La longue chevelure libre et lisse, le visage renversé à la transversale de la photo rectangulaire écarte tout protocole rigide conventionnel qui garde les distances, qu’il s’agisse de la pose verticale de face ou de trois-quarts. L’oblique de la posture insinue déséquilibre et connivence. Proximité plus grande ne pourrait être obtenue sans manquer à la décence. La mise hors-contexte écarte toute distraction. Le lecteur ne peut fuir les avances de Mme Bruni-Sarkozy qui, dans la légende, en perd son patronyme pour se faire appeler de son seul prénom, « Carla », comme il est d’usage entre amis intimes.

Un titre paradoxal volontairement ambigu


Seulement, quel naïf peut y croire et se laisser prendre au leurre de cette minauderie ? Mme Bruni-Sarkozy a beau avoir écumé les salons et collectionné les conquêtes, on reste ici dans une simulation grossière qui vise à faire admettre comme naturel le curieux qualificatif dont le magazine l’affuble, « l’élue ». Que peut bien, en effet, signifier pareil titre paradoxal ? Là encore, la mise hors-contexte ouvre sur une ambiguïté volontaire pour faire interférer abusivement différents sens.

Une chose est sûre, il ne peut s’agir du statut conféré par une élection démocratique. On sait bien que Mme Bruni-Sarkozy n’a jamais été candidate à un mandat, pas même comme Mme Chirac à une élection cantonale. Est-il donc fait référence à ces sondages farfelus où "les Français" sont invités à indiquer leurs personnalité préférées ? Même pas ! "Les Français" sont des accros de héros d’une tout autre dimension, selon un sondage rituel qui paraît en janvier chaque année : l’abbé Pierre et ses bonnes oeuvres leur ayant faussé compagnie avec sa cape et son béret, ce sont des géants à la Noah ou des têtes à la Zidane qui sont leurs favoris. Quant au titre de « femme de l’année » il a été pris par la regrettée sœur Emmanuelle. "Les Français" – du moins à en croire ces sondages - raffolent des gens charitables.

De qui donc Mme Sarkozy-Bruni est-elle donc alors « l’élue » ? Jusqu’à nouvel ordre, si on la replace dans le contexte du couple présidentiel français, elle ne serait « l’élue » que du coeur du président puisque peu après son divorce, il l’a prise pour épouse. Et ce n’est déjà pas si mal ! La belle affaire, dira-t-on ! La nouvelle remonte quand même à un an, jour pour jour, quand dans sa fameuse conférence de presse du 8 janvier 2008, la France et le monde entier apprenaient qu’ « avec Carla (c’était) du sérieux ! »

Une titulature impériale amorcée ?

Seulement, le magazine se garde de le préciser. « L’élue », laissée sans qualifiant, oblige donc à élargir plus grand le contexte possible de sa signification. On songe alors, par intericonicité, aux titulatures impériales ou royales. Les Romains ont excellé en la matière, gravant dans la pierre les appellations les plus fantasques de leurs princes divinisés. Elles étaient d’ailleurs si rituelles qu’ils s’autorisaient des abréviations que chacun déchiffrait sans peine comme aujourd’hui les sigles SNCF ou EDF : « IMP CAES FL CONSTANTINO MAXIMO P F AUGUSTO, etc. » «  À l’imperator César Flavius Constantin, le plus grand, pieux et fortuné Auguste, etc. ». Les rois et reines en France ont été eux aussi gratifiés d’un qualificatif honorifique : Charlemagne, Robert le Pieux, Philippe le Bel, Louis XV le Bienaimé.

Le magazine Tribune juive en serait-il à ce degré de courtisanerie qu’il tomberait dans la plus basse flagornerie au point d’appeler l’épouse du président, « Carla l’élue » ? On n’ose le croire et ce, à tel point qu’on se demande si tant d’excès dans l’adulation n’est pas l’indice d’une ironie. Seulement, celle-ci n’est pas autrement perceptible : on ne voit pas dans cette couverture, surtout avec une telle photo, ce qui pourrait justifier une lecture ironique.

Le contexte du magazine semble même obliger à l’écarter. Le mot «  élu » dans la communauté juive n’est pas anodin. Le peuple juif n’entretient-il pas une relation privilégiée avec son Dieu qui, par Moïse, lui a remis directement ses « dix commandements » selon la Bible ? Ne s’est-il pas considéré comme un « peuple élu » d’où viendrait le Messie pour sauver l’humanité perdue depuis le péché originel d’Adam et Eve ? Qualificatif plus flatteur pouvait-il donc être trouvé pour chanter les louanges de Mme Bruni-Sarkozy ?


Même si le mot est impropre dans ce contexte car il appartient au lexique catholique, c’est à une « canonisation » à laquelle Tribune juive se livre du vivant de l’intéressée. On en reste bouche bée. Car où chercher dans l’histoire édifiante de Mme Bruni-Sarkozy les actes d’exception qui justifieraient une telle « apothéose », au sens originel du terme ? On est bien en peine d’en relever dans les exhibitions d’un mannequin, d’un modèle de studio ou d’une chanteuse. A-t-il donc suffi que l’œil du prince la distingue pour que ses courtisans l’élèvent bientôt au pinacle et se prosternent à ses pieds, la litanie à la bouche ? Même le mot d’ « élue » qui était devenu consubstantiel à la démocratie, tend à s’en éloigner et à être vidé de son sens. Paul Villach


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