Troisième vague de peur. C’est quand le bout du tunnel ?

par Bernard Dugué
mercredi 10 février 2021

 

 1) Le Covid-19 a produit un désordre des nations occidentales sans précédent depuis le conflit mondial de 1940. De plus, cette pandémie a affecté tous les pays sans exception. Depuis 1945, l’Europe se réjouit d’être en paix. Elle le reste mais elle puissamment secouée par le Covid. L’Histoire ne manque pas d’ironie. Les grandes puissances victorieuses présentes à Yalta, Etats-Unis, Royaume-Uni, Union soviétiques, sont celles qui ont en 2020 produit un ou plusieurs vaccins utilisés contre le Covid ; en tête de gondole, les Américains avec Moderna et Pfizer, les Britanniques avec Astra-Zeneca et les Russes avec Sputnik V. Il est certain que d’autres pays pourraient sortir d’ici un an d’autres vaccins. Les vaccins chinois symbolisent la qualité de grande puissance acquise par ce pays il y a plus de dix ans.

 

 2) L’Europe est en paix depuis 1945 et nous y sommes habitués, non sans une certaine nonchalance ou innocence, héritée des années 60 et 70, parenthèse enchantée pour reprendre la bonne formule de Françoise Giroud. Enchantée certes, mais pas pour tout le monde, tant les accidents de la vie et les maladies ont miné nos existences. Nous avons accordé une attention parfois compassionnelle à d’autres régions malmenées par la guerre et la misère. Une génération s’est mobilisée contre la guerre en Algérie, une autre contre la guerre au Viêt-Nam, puis l’humanitaire a fait son apparition. Dans les années 80, le sociologie Beck nous avait averti sur une mutation des sociétés gouvernées non plus par des divisions de classe mais par des expositions différenciées face aux risques. Au « gagner plus » s’est superposé le « risquer moins ». La réduction du risque est devenue un élément du cadre de vie mais en revanche, cette même réduction, lorsqu’elle est disproportionnée, limite notre puissance d’exister, soit qu’elle nous empêche de tenter des expériences, soit qu’elle s’invite dans notre psychisme en pourrissant notre quotidien ou en nous incitant au repli déprimant, ou alors à l’activisme anti-risque. Le Covid-19 a dévoilé le puissant ancrage de ces trois composants psychosociologiques.

 

 3) Le monde se retrouve face au choc pandémique à triple détente. La maladie, la crise économique et les altérations de la vie sociale accompagnées de détresse psychologique. Est-ce une pandémie dévastatrice ? Non, les chiffres indiquent quelque 2 millions de décès en 2020, contre quelque 10 millions causés par le cancer et autant par les accidents vasculaires. Sans oublier tant d’autres pathologies, parfois oubliée car localisée dans des pays pauvre, paludisme par exemple. Le problème spécifique du Covid réside dans la fulgurance de cette maladie comparable à un feu de forêt alors que le cancer est à l’image de braises permanente et que les accidents vasculaires sont des flammèches décimant les gens mais sans contagion. Le Covid est contagieux et produit un afflux de malades en réanimation, saturant un système de soin qui n’était pas prévu pour ce type de crise sanitaire. C’est l’imprévisibilité qui désarçonna un monde habitué à tout anticiper, projeter et s’il y a lieu réparer. Faute de traitement disponible, les Etats n’ont eu comme autre solution que le freinage de l’épidémie, avec plus de la moitié de la planète confinée lors de la première vague. Puis les distances sociales, les masques défigurant les visages et l’interdiction d’activités considérées comme non indispensables. La lutte contre la propagation du virus risque de faire à long terme plus de dégâts que la maladie en elle-même. On a parlé de grande dépression dans les années 1930, le mot convient aussi pour notre époque. Dépression de l’économie et du moral.

 

 4) La pandémie de Covid-19 n’est pas arrivée dans un monde serein, loin s’en faut. Les années précédentes ont été assez tourmentées. Division sociale et politique à l’initiative de Donald Trump et ses partisans ; en Europe, instabilité des gouvernements, en Espagne, Italie, Royaume-Uni sur fond de Brexit et en France, le météore Macron dont on ne mesure pas encore trop les effets si ce n’est qu’aucun force alternative et éclairée ne se dessine. Le paysage politique français est brouillé et le lien entre le politique et la société s’est fragmentée, pour preuve, la longue insurrection des gilets jaunes suivie d’une blessure sociale qui n’est pas prête de se refermer. Dans le reste du monde, la situation n’est guère meilleure avec les options nationalistes ou populistes, en Turquie, en Inde et ailleurs, le dernier en date des pays instables visible dans l’espace médiatique étant la Birmanie et l’improbable coup d’Etat. La France est elle aussi face au risque du populisme. Les observateurs n’ont pas forcément la bonne lecture. Le populisme n’est pas la cause d’un problème à venir mais le résultat des problèmes causés par trente ans de politique jouée au coup par coup, sans questionner le sens de l’existence et l’horizon collectif.

 La pandémie ne fait qu’ajouter un problème de grande dimension impactant des pays soumis à des instabilités sociales et politiques, avec sans doute une crise morale et spirituelle à bas bruit mais assez importante pour générer un marasme globalisé. 

 

 5) La crise, le choc, le marasme, le désarroi, la déprime… Nous avons le sentiment d’être dans un tunnel sans voir la sortie. S’il y a une troisième vague, elle est surtout psychologique et sociale. Le premier confinement a été traversé avec légèreté par une majorité de Français, croyant voir arriver les jours heureux en juin alors qu’au Brésil ou aux States, l’incendie viral ne n’était pas éteint. La seconde phase est arrivée en octobre, et le second confinement fut décidé, avec un peu plus de souplesse, puis deux mois de couvre-feu, une vie sociale impactée et une déprime accentuée. Et maintenant, le spectre d’un nouveau confinement avec la crainte des variants. Quelques spécialistes n’hésitent à évoquer une nouvelle épidémie. Pour l’instant, la situation sanitaire est tendue mais elle reste stable depuis plus de deux mois. La courbe des réanimations et des hospitalisations est un plateau légèrement incurvé. Mais le variant britannique, censé être plus contagieux et létal, joue de concert avec deux autres variants redoutés, le sud-africain et le brésilien.

 L’intensité anxiogène a semble-t-il monté d’un cran avec la crainte d’un reconfinement et d’un possible emballement de l’épidémie, ces deux dangers étant largement propagés par les médias à coup de plateaux télé, de bavardages de sachants ayant tendance à noircir la perspective. Le pire est annoncé pour fin février début mars, une fois le variant britannique devenu majoritaire. L’anxiété est d’autant plus renforcée qu’aucune date de retour à une « vie normale » n’a été proposée et que le virus risque de muter sans prévenir les nations ni les experts en vaccination. La dernière nouvelle du gouvernement britannique sur de nouvelles variations échappant au vaccin ne peut que renforcer l’inquiétude. Si ces faits se confirment, l’espoir mis dans les vaccins doit être revu à la baisse. Ces dernières nouvelles indiquent qu’il va falloir vivre avec le virus et s’attendre à un nombre important de décès pour l’année 2021, sans doute entre 50 000 et 100 000 sauf atténuation inattendue du virus.

 

 6) La peur s’est installée en trois vagues ou phases. La première fut compréhensible et légitime, provoquée par un afflux de malades avec pendant une dizaine de jour une croissance exponentielle. Nous avons eu peur, ce qui est légitime, la peur étant un réflexe nécessaire pour réagir à un danger. Mars 2020 fut le temps des inquiétudes. Puis la seconde phase est arrivée avec cette fois une alerte anticipative des experts et commentateurs ayant pris un abonnement pour devenir pilier de bistrot des actualités sanitaires. Les rassuristes essayèrent d’alléger les inquiétudes mais la phase arriva, pic de réa vers 5000, et une crainte épidémique devenue permanente au point que les festivités du nouvel an en soient annulées et que le couvre-feu s’étale sur plusieurs mois. Et maintenant, une troisième phase avec les variants suscitant une anxiété malgré l’espoir des vaccins. L’anxiété se conjugue à la peur, la lassitude, le désarroi, l’abattement. Ce qui n’empêche pas un cercle, voire une « secte » de médecins médiatiques ou hospitaliers d’affoler les gens. L’on pressent un changement d’appréciation dans l’opinion face à ces professionnels de la santé ou de la science qui président la catastrophe avant qu’elle ne soit arrivée, alors que les chiffres cliniques sont à peu près stables. Les prévisions sont apocalyptiques a affirmé Dominique Costagliola le 9 février, l’Italie semble s’en sortir et les bars sont ouverts, en Espagne aussi, selon les régions. En France, les médecins scolaires veulent fermer les écoles pendant 4 semaines et à l’AP-HP on annonce un tsunami dévastateur. D’autres voix veulent rouvrir les musées, Olivier Véran envisage qu’on ne soit jamais reconfiné et les Français sont paumés.

 

 7) Les modèles mathématiques ne sont pas très fiables. Le scénario sombre pourrait s’effondrer à la faveur d’on ne sait quelle évolution favorable de l’épidémie. Tout est possible. Dans de nombreux pays, on observe une atténuation de l’épidémie, même en l’absence de confinement. La décrue est plus ou moins accentuée. Allons-nous vers un reflux progressif ? Ce n’est pas impossible. Soyons optimistes, même si le pire peut arriver !

 

 8) Une phase de diminution est amorcée mais il faut être prudent. Cela ne veut pas dire que l’on est sorti d’affaire. On est juste sorti du confinement et sur ce coup, Macron a fait le bon choix. Si la stabilité se confirme, les pro-confinements auront perdu mais on s’en fout. Parce que l’enjeu est ailleurs et que la sortie du tunnel n’est pas à l’ordre du jour. Ce n’est pas le virus qui en décide mais l’homme. Avec ou sans variants, la donne est la même. Le tunnel est une défaite des sociétés et des Etats face à une épidémie. Il n’y pas d’autre jugements, du moins pour moi. Le tunnel, ce n’est pas le virus mais l’homme. La sortie du tunnel dépend de l’homme même si l’épidémie peut moduler l’état des lieux.

 


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