Trump et Macron peuvent-ils rempiler ?

par Jules Elysard
mardi 13 octobre 2020

En apparence, tout les oppose : l’âge, la corpulence, les femmes, le changement climatique, l’Iran, l’Israël...

Le grand est gavé de sucre et affiche deux ou trois mots à son vocabulaire pour parler d’un cyclone, d’une coupe de cheveux, d’un génocide ou de la tenue d’un de ses meetings : « amazing », « incredible ».

Le petit est chargé d’excitants. Avant de prendre la parole, il recherche dans ses livres de jeunesse des mots anciens, un peu désuets ou savants : « craques », « bibi », « irénisme », « poudre de perlimpinpin », « impuissanter »

Mais en réalité, ils sont moins opposés qu’ils font semblant de l’être (sur l’Iran et l’Israël, par exemple). Et quand ils se sont rencontrés, en dehors d’un bras de fer viril pour épater la galerie, on les a vus batifoler et faire assaut de compliments. On a la diplomatie qu’on peut.

Et surtout ils deux choses en commun :

La première, c’est la haute idée qu’ils ont d’eux-mêmes, l’assurance qu’ils ont de leur génie et de leur infaillibilité, et la difficulté de reconnaître une erreur sans en jeter la responsabilité sur un tiers, un conseiller ou simplement un con : ils passent alors d’un je majestueux à un nous. Mais ce n’est pas un « nous de majesté », c’est un nous collectif : « nous nous sommes trompés ».

La deuxième, c’est le profil de leurs partisans. Même s’ils ne sont pas issus des mêmes milieux socioprofessionnels et n’ont pas le même niveau socioculturel, ils sont l’objet d’une semblable hallucination collective et auront en commun des arguments pour défendre leur président :

D’abord, diront-ils, il n’est pas mégalo, il est juste génial et charismatique.

Ensuite, ils parleront de liberté, même si le mot n’a pas tout à fait le même sens pour les uns et les autres.

Enfin, et là, les noms d’oiseaux seront différents pour dénoncer celles et ceux qui osent s’opposer à une si parfaite démocratie du peuple.

 

Les inconditionnels de Trump se présentent comme « le peuple », comme « les vrais Américains ». En conséquence, ils traitent sans façon les « démocrates », de « communistes », d’antéchrists, de « sans-dieu », de tafiolles.

Ceux de Macron sont plus sobres, mais ils se croient plus intelligents parce que plus diplômés. Parce qu’on le leur a répété, ils sont persuadés d’être « les forces vives de la start-up nation ». Pendant deux ans, leurs éléments de langage étaient de déplorer les obstructions des oppositions. L’échéance présidentielle s’approchant, il s’agit désormais de préparer le second tour, donc :

- de regarder à droite et à gauche des alliances potentielles ;

- de désigner l’adversaire principale qui devra se qualifier (les sondages sont là pour ça) ;

- de disqualifier une « gauche radicale » qui se serait installée en dehors du « pacte républicain » ou du « cercle de la raison ».

 

Les inconditionnels de Trump comme ceux de Macron protesteront bien sûr comme un seul homme[1] contre ce que je viens d’écrire. Pas un instant ils n’imagineront appartenir au même monde. C’est cela aussi la fausse conscience.

 

Mais les inconditionnels ne font pas l’élection sans un secours de circonstances.

En 2016, la victoire de Trump ne fut pas le résultat d’une tricherie : c’est le système électoral étatsunien qui permet de l’emporter sans avoir emporté le vote populaire. (En revanche, c’était bien une tricherie qui avait permis l’élimination de Sanders dans la primaire démocrate). Elle ne fut pas non plus la victoire d’un peuple ignare et réactionnaire sur des élites progressistes et cultivées. Les élites financières n’ont pas toutes soutenu Clinton. Trump est d’ailleurs issu de cette élite et son « populisme », c’est d’abord la baisse de leurs impôts.

En 2017, le système électoral français, lui, avait permis l’élection au second tour d’un candidat qui n’avait fait que 24% au premier tour. Ce n’est pas la première fois. En 2002, Chirac avait fait pire au premier tour et mieux au second. En effet, on ne peut pas tous les cinq ans mettre en scène le barrage contre le fascisme.

Le point commun entre les deux élections est l’abstention massive qui revient à un rétablissement de fait d’un suffrage censitaire.

 

Quoi de neuf, docteur ?

Cette année, les « démocrates » étatsuniens n’ont pas eu besoin de tricher si visiblement pour éliminer Sanders. Trump avait de grandes chances d’être élu avant que la crise sanitaire ne rebatte les cartes. Il a même réussi à choper le virus et à sortir de l’hôpital, on verra avec quelles séquelles.

En France, on publie des sondages cousus main « pour dans deux ans ». Le total des voix Macron-La Pen atteindrait jusqu’à 49% (en 2107, il ne dépassait pas les 46%).

Les deux présidents ont manifestement échoué à pacifier leurs pays (il reste quelques mois à Macron pour y parvenir), mais les messages qu’ils envoient à leurs populations sont les mêmes : « Moi ou le chaos ».

 

Il y a pourtant une différence entre eux que je n’ai pas mentionnée en ouverture : l’implication des médias « mainstream ». Trump les a presque tous contre lui, sauf Fox News ; Macron les a pour lui, sauf C News[2].

Le quotidien Les Echos fait partie de ces médias qui soutiennent Macron. Dans son édition du 21 août, il se fait l’écho des ces trois informations financières :

1) « Seule une fraction des super-riches qui ont soutenu Donald Trump en 2016 via des Super PACs ont financé sa réélection »

2) « D’autres financent plutôt les courses pour le Sénat, que les républicains tiennent à conserver même en cas de victoire de Joe Biden »

3 « Il existe un milliardaire qui n'a rien donné : c’est Donald Trump lui-même. »

https://www.lecho.be/dossier/electionsusa/qui-finance-la-campagne-de-donald-trump/10246656.html

 

Trump et Macron sont tous les deux des défenseurs résolus de l’économie de marché à tout prix[3].

Le spectacle les oppose comme « good guy » et « bad guy », mais ces rôles sont interchangeables.

Ils ne sont que des produits très révélateurs de la société du spectacle[4]. Mais c’est leur extravagance qui peut leur coûter leurs postes.

Les élites qui les ont soutenus peuvent pencher désormais pour des gestionnaires plus « raisonnables » : Joe Biden, d’un côté de l’Atlantique ; Edouard Philippe, de l’autre.

Surtout si elles ne sont pas encore résolues à déclencher déjà une guerre civile pour rétablir l’ordre.[5]

 

La question serait donc plutôt : Trump et Macron ont-ils envie de rempiler ?

 

[1] Non, je n’ajouterai pas « ou comme une seule femme » pour faire plaisir à la doctrine de l’écriture inclusive.

[2] Des médias comme L’Obs et Marianne seraient capables de protester devant une telle affirmation. L’un dira qu’il œuvre pour une troisième voie à gauche, l’autre, pour une alternative nationale « ni droite ni gauche », mais leur ennemi principal est quand même une gauche qu’ils qualifient de radicale, d’extrémiste ou d’islamiste. Mais peuvent-ils être considérés comme des médias « maintream » ?

[3] Ce sera la limite de toute transition écologique pour Macron.

[4] Trump est tellement américain. Il a appliqué des méthodes de publicité que rapportait déjà Daniel Boorstin dans L’Image ou ce qu'il advint du Rêve américain.

[5] C’est la menace à peine voilée qu’a proférée Trump en disant qu’il n’accepterait pas sa défaite.

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