Tu quoque mi fili ?

par morice
mardi 22 juillet 2008

Dans le fatras d’annonces sarkoziennes habituelles, entre le coût assez faramineux de l’organisation du sommet de la Méditerranée, révélé par Le Canard enchaîné, l’argent récupéré par Nanard Tapie et les esclandres d’un Patrick Devedjian devenu un véritable "serial Balkany/Pasqua-Killer", il y a de quoi nourrir (et encombrer) un bon nombre de rédactions parisiennes. On peut y ajouter le nombre de dopés du Tour, aussi, un chiffre changeant au même rythme que l’inflation. Et puis, tout à coup, une lueur. A partir d’une photo, puis d’un article lié à la photo, puis d’un autre. Vu comme ça après coup, ça ressemble à une enquête à la Jack Palmer. Vous savez, cet album célèbre, "L’Enquête corse". Devenu ce (très mauvais) film avec deux grands héros sarkoziens : Jean Reno et Chistian Clavier. Palmer est un héros que j’aime particulièrement : d’abord parce que le trait de Petillon vaut bien un Siné, et que sa définition du faux héros est imparable : "Palmer est un détective qui ne comprend pas toujours grand-chose aux enquêtes qu’on lui confie, mais parvient toujours à se faire embarquer dans un typhon d’imbroglios. Ses aventures satiriques touchent divers sujets de société : la politique, les médias, la mafia, la jet-set," nous dit Wikipedia. Bref, le détective rêvé pour s’occuper du clan Sarkozy, puisque clan il semble bien y avoir, selon ce qu’on a entendu ces dernières semaines. Suivons-le dans le dédale corse de la famille. Finalement, même s’il ne trouve rien à conclure, Palmer nous trouvera bien du grain à moudre. Les choses révélées sont toutes à la fois risibles et tragiques. Avec Nicolas Sarkozy, on hésite toujours entre les genres. On louvoie entre le rire et les larmes, entre l’opéra-bouffe, l’opéra et l’opérette de quatre sous. Plutôt cette dernière, en général.

Mais revenons plutôt à la Corse, la patrie des imbroglios, et à cette photo qui servira de point de départ à Jack Palmer. Celle d’un jeune député aux dents très longues, tenant par le bras une belle femme blonde, épousée le 23 septembre 1982. Marie-Dominique Culioli, une Corse de 53 ans aujourd’hui, la fille d’un des plus grands pharmaciens de Vico, au-dessus de Cargèse. Issue d’une famille originaire de Chera, village relié à la commune de Sotta (807 hab). Une famille corse célèbre, plutôt célèbre dans l’île. La dame est donc une sottaise, et elle est elle-même proche parente d’Achille Peretti, le maire de Neuilly (jusqu’à sa mort 14 avril 1983), l’homme qui a été aussi vice-président du Conseil général de la Corse de 1945 à 1951. En fait pour tout avouer, cette ancienne déléguée universitaire du RPR à la Sorbonne n’est autre que la nièce même d’Achille Peretti. Voilà qui fait le pont directement entre celui de Neuilly et l’île de Beauté. Sans Peretti, pas de Neuilly. Et sans Neuilly, pas de Sarkozy, on ne peut être plus clair. Même Jack Palmer comprendrait. "Il donnait rendez-vous chaque année à ses amis politiciens à Sagone à l’Hôtel Cyrnos, alors fort prisé. Les députés corses s’y retrouvaient également. L’Hôtel était une sorte d’annexe de l’Assemblée nationale où l’on pouvait rencontrer René Tomasini, secrétaire général de l’UNR, le « M. Corse » de Chirac, Lucien Neuwirth, questeur de l’Assemblée nationale, l’ex-Premier ministre de de Gaulle, Michel Debré".

Le couple possède alors une villa familiale à Sagone, au nom de Ros’Hen (pour Rose et Henri, les beaux-parents), à 13 kilomètres de Vico . A une époque, devant la maison, une plaque indique qu’il y habite un dénommé Sarkozi, avec un "i" car ça doit faire plus corse qu’avec un "y" qui fait trop... hongrois. La maison"a abrité un temps, en sous-sol, une boîte de nuit fréquentée par la jeunesse locale. Jeannot Biancarelli, l’oncle de sa femme, qui s’occupait du lieu, avait déjà géré une boîte à Paris, La Dame blanche, à Pigalle". Voilà qui n’est pas commun, disons. On passe vite fait sur le cas du gars qui habite en face pile de chez les Sarkozi, un gérant de bar-glacier dont la villa a failli sauter... deux fois, avec comme toute piste une dénonciation anonyme : celle de "la piste Colonna". Le plus jeune fiston, déjà, côtoie du beau monde, car il est aussi très attaché à sa mère. Et à la Corse donc. Et se promène parfois avec Christine Colonna, la sœur de l’autre, au moment où toutes les polices de France cherchent après le frère. Passons encore. Jack Palmer sait déjà tout ça. Mais n’a pas su découvrir Colonna, lui.


Revenons à la photo, et à une autre. Celle de deux couples, les Martin et les Sarkozi (avec un i). On n’y revient pas non plus, l’histoire est connue, et même un peu plus, puisqu’un jour de 1988, en vacances de neige à Megève (ah là, ce n’est pas en Corse) Mme Culiolli, rentrée par hasard dans l’appartement loué par sa copine, se retrouve nez à nez avec elle, Cecilia Sarkozy, sa meilleure amie depuis cinq ans, depuis leur rencontre lors du mariage d’avec Jacques Martin... Mais avec dehors un crissement de pas qui s’éloigne dans la neige. A voir la taille des traces et l’enfoncement du talon, il n’y a aucun doute possible. La dame est trompée, et depuis longtemps déjà, chose qu’elle racontera bien plus tard avec beaucoup d’amertume. Elle a épousé Nicolas Sarkozy en 1982 et deux ans après ce dernier a marié Cécilia Ciganer-Albéniz, le 10 août 1984 à la mairie de Neuilly dont il est déjà devenu maire (à la barbe de Pasqua qui rêvait tant du poste). Il en serait tombé amoureux le jour même, cet homme pressé. Un célèbre article d’une dénommée Catherine Pégard (sa conseillère actuelle !) relate alors l’irrésistible ascension du jeune loup et son art consommé d’écraser ses adversaires. Sa conclusion est restée dans toutes les mémoires, celle prononcée par un des fidèles de Florence d’Harcourt qui avait brigué le poste : "Entre le RPR et l’UDF, nous sommes entre les barbouzes et les vermicelles… Neuilly s’est découvert un guépard plein de ressources", conclut la journaliste. Un Rastignac de 28 ans vient de débarquer à Neuilly, et il n’a pas encore assouvi son ambition. Loin de là.

Jean Sarkozy est né en 1986, alors que son père fréquentait donc déjà assidûment Cécilia Ciganer-Albeniz, sa maîtresse. Ou l’une de ses maîtresses, sa maman outragée ayant déclaré à la presse plusieurs infidélités, comme le fera plus tard Cécilia elle-même. Et d’autres têtes connues : "bien que Sarkozy fût marié, il se compromit amoureusement avec la fille de Chirac, Claude. On dit que la femme de Chirac, Bernadette, le considérait comme le gendre idéal. Au début, cette relation se termina amicalement. Sarkozy fut le témoin de Claude lors de son mariage en 1992 avec un journaliste", écrit l’anglais John Lichfield dans The Independent. Claude Chirac a toujours réfuté cette liaison. Les époux Marin et Sarkozy se rencontraient pourtant souvent, s’invitant mutuellement à dîner. Les faux-semblants de la bourgeoisie arriviste, à défaut d’être alors arrivée au plus haut sommet.

En 1987, donc Cécilia prend ses deux filles dont la plus jeune a à peine 6 mois et s’en va rejoindre Nicolas Sarkozy, dont les fils, très jeunes, restent en Corse avec leur mère. Profondément blessée. Marie-Dominique, elle, ne demande pas le divorce, c’est son mari qui y arrive au bout de trois ans de négociation, et l’obtient alors en 4 mois seulement (en 1989) à la suite d’une procédure juridique plutôt expéditive. A peine quelques mois plus tard elle apprenait sa maladie : un cancer du sein qui la rongeait déjà. L’un de ses deux fils, le plus jeune, Jean, né le 1er septembre 1986 est alors abasourdi et effondré : "J’avais 5 ans (en 1991 donc) quand elle est tombée gravement malade. Etre conscient de la fragilité des êtres fait qu’on ne se projette pas de la même façon dans la vie. J’ai très tôt été hanté par cette vérité qu’on pouvait tous mourir demain." Il attendra ses 10 ans avant que sa mère n’accepte de se séparer officiellement de son père en 1996. Fervente catholique, elle était opposée à toute idée de divorce. A-t-elle attendu que le plus jeune de ses enfants soit en âge de comprendre la situation pour le faire ? Nul ne le sait, la dame étant restée fort discrète sur la période. Le remariage du père est célébré 23 octobre 1996, deux jours seulement après l’autorisation de divorce enfin accordée à Nicolas, qui épouse une Cécilia enceinte, ce qui aurait pu expliquer le geste de Marie-Dominique d’accorder enfin sa liberté à l’époux volage. Six mois plus tard, en effet, le 28 avril 1997, naissait le fils de Cécilia et de Nicolas, Louis, qui depuis la séparation, ne voit semble-t-il plus son père. Vous suivez toujours ?

Jean Sarkozy, en à peine douze années de sa vie, a donc traversé en accéléré toutes les étapes des douleurs familiales, exceptés les décès. Le traitement cavalier du sort de sa mère par son père, la maladie de cette dernière et les humiliations vécues ont forgé chez lui un caractère en acier trempé. Tout dévoué à sa mère... et beaucoup plus circonspect avec son père. Une mère fort discrète donc, qui a beaucoup encaissé, et qui félicitera son ex-mari au téléphone le soir de son élection, en finissant quand même un jour par lâcher un "Cécilia m’a volé mon mari" assez amer. "C’est elle qui lui a donné ce goût du luxe et son apparence ’bling-bling’ actuelle". Et cela va plus loin encore : le jour de l’incroyable mise en scène de la cérémonie d’investiture où les Français découvrent avec effarement une bien étrange famille recomposée pour la circonstance, et ce baiser volé dont on sait aujourd’hui qu’il était faux, elle, si réservée d’habitude, éclate. Ses propres fils sont de la partie, auprès de sa rivale, or "ils n’ont jamais été élevés par elle", dit-elle. Jean et son frère... ne la connaissent qu’assez peu. Etudiants à Paris (à Saint-James), ils ne vivent pas toujours sur place ! On se doutait que cette cérémonie sonnait faux de partout, on en découvre encore chaque jour, des mois après. Les commentateurs télévisés nous avaient vendu une belle famille en or, Paris-Match a raconté la belle histoire de la parfaite entente familiale en allant un peu trop vite en besogne. Le pays de Sarkozy est le pays du paraître, définitivement. Un paraître onéreux : lui-même évalue à l’époque à 100 000 francs mensuels la tenue d’un rang, déjà bien médiatique, d’une famille vivant en Corse et d’une nouvelle femme bien dispendieuse. Jean et son frère qui font leurs études à Paris voient leur père souvent, il est vrai, mais Jean se fait des amitiés corses qui aujourd’hui encore restent entourées de mystère, et surtout il ronge son frein. L’œdipe risque de faire des ravages. Aujourd’hui, c’est fait. Le 14 juillet 2008, le nouvel élu de Neuilly refuse d’apparaître à la tribune présidentielle où il est pourtant invité. Un des proches de la famille, cité par Le Monde commente : "Il n’a pas les défauts de son père. Et toutes les qualités de sa mère". Mince, on n’y avait pas songé à celle-là. Le père qui couvait tant ce fils, celui qui ridiculisait David Martinon pour faire de la place au fiston... aurait, en citoyen corse d’opérette laissé entrer le pire loup dans sa propre bergerie  ? Ou ouvert la porte au descendant d’un grand-père, Pal, bien surprenant et affreusement ambitieux  ? Ah, l’image du père, se dit soudain Palmer...

Possible, se dit ce même Palmer, et un bien étrange article venu de l’étranger le confirme : l’habituel Feydeau présidentiel fait place à une véritable tragédie grecque : le fils est revenu sur les terres du père, mais c’est pour venger sa mère. Je vous avouerai ne jamais y avoir songé avant de tomber sur cette magistrale démonstration venue de l’autre côté de la Manche. Dans l’imbroglio de la trajectoire politique Sarkozienne, on a oublié cette composante. La vengeance du fils défendant sa mère. Impensable ? A lire l’article, on peut y croire, pourtant. Le Monde avait déjà conclu de manière bien tranchée : "Derrière son visage d’ange, Jean est un démon de la politique." N’oublions pas que le fils a conquis Neuilly en nettement moins de temps qu’il n’en avait fallu au père pour le faire. "Au lance-flammes" ont même écrit certains. Une conquête à la hussarde, certes, aidée par le père, mais qui fait dire à John Lichfield encore ceci : "Jean Sarkozy’s lightning rise has made his father’s efforts look sluggardly. Sarkozy père is said, by Hauts-de-Seine politicians, to be torn between admiration for his son and suspicion of his motives. Jean-Francois Probst was a senior official and wheeler-dealer in national, and Hauts-de-Seine, politics for decades. He has known Jean Sarkozy since he was a baby." Et le journaliste anglais d’enfoncer le clou : "There is Brutus in him. Or Caligula. He has his father’s mannerisms and his father’s voice but he is taller, better-built and he looks like an angel." Il y a du Brutus en lui : venant de celui qui se fait passer sous le nom de Prince Pokou comme fin connaisseur des grands d’Afrique et de leurs amis et serviteurs français, la sentence pèse son (lourd) poids de menace. C’est Brutus qui barre déjà la route au vieil ami de son père, Patrick Devedjian, qui en vieux routier de la politique a flairé venir le danger. En utilisant étrangement pour se défendre une expression extraite de la tragédie antique : en déclarant "devoir nettoyer les écuries d’Augias", l’ancien combattant du Gud a revêtu à nouveau le casque et pris le bâton pour s’apprêter à lutter contre un jeune et dangereux adversaire de 21 ans seulement. Peu d’observateurs lui donnent de chances de l’emporter face à ce nouveau Brutus plein d’énergie, qui fonce déjà au pas de charge là où son père s’entraîne mollement seulement. Plus rapide en tout, déjà... Va-t-on bientôt assister à l’été meurtrier de Nicolas Sarkozy ? Ou faudra-t-il attendre encore un peu pour avoir un hiver meurtrier ? Toujours est-il que rien de bon ne se présage, dans cet imbroglio familial corse. Alors, Palmer, votre conclusion ?


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