Tunisie, Algérie : Plantu se plante le crayon dans l’œil !

par Paul Villach
jeudi 13 janvier 2011

Un dessin de Plantu paru dans Le Monde du 9/10 janvier 2011, est révélateur de l’odieuse représentation qu’un microcosme persuadé d’appartenir à l’élite éclairée de la terre, se fait du peuple de son propre pays. Les émeutes de Tunisie et d’Algérie en fournissent le prétexte de façon assez incompréhensible. Deux vignettes d’une ultra-courte bande dessinée campent dans un contraste les deux réactions successives que, selon Plantu, ces émeutes sont censées susciter chez les Français.

Une caricature d’une outrance inouïe
 
Par métonymies symboliques présentant une partie pour le tout avec vocation à représenter l’ensemble d’un groupe, un Français moyen est dans un plan d’ensemble mis en scène devant son poste de télévision. On ne saurait mieux exagérer sa caricature en exhumant les stéréotypes les plus éculés : on le voit assis en robe de chambre, charentaises et béret basque. Et comme si la stigmatisation du pantouflard franchouillard, à l’esprit aussi borné que son quartier, ne suffisait pas, un drapeau tricolore lui est planté dans le béret, histoire que le lecteur ne se trompe pas sur l’identité de l’épave étiquetée. Il lui manque la baguette sous le bras. Il a dû l’engloutir avant de se mettre devant le « 20 heures » ! 
 
Le même procédé, la métonymie symbolique, prétend traduire les situations tunisienne et algérienne : elles se résumeraient, selon Plantu, à un appel humanitaire.
 
- Dans la première vignette, un pauvre hère en haillons, bras levés, crève l’écran pour appeler au secours, sous le regard d’une tête à casquette de policier. L’effet est immédiat. Le Français moyen est saisi d’un réflexe de compassion : sur sa trogne coule une larme et de sa bouche s’échappe une plainte de commisération : « Les pauvres !...  »
 
- Dans la seconde vignette, le même appel humanitaire se fait plus pressant et précis. Le pauvre hère, toujours bras levés pour appeler au secours, est cette fois entouré de deux personnages dont une femme, chevelure voilée, et s’écrie : « On veut se réfugier en Europe !! ». Les métonymies de la stupeur et de la répulsion chassent aussitôt celles de la compassion chez le Français, qui, renversé dans son fauteuil jambes en l’air, éructe, gorge déployée, un borborygme de nausée : « ARGH !! ».
 
Les émeutes de Tunisie et d’Algérie dénaturées
 
Cette scène de farce fait-elle sourire ? L’humour tempèrerait-il la violence de la charge anti-française ? Que signifie d’autre ce que Le Monde appelle « Le regard de Plantu  », si ce n’est que le Français moyen ne ferait que feindre la solidarité envers les émeutiers tunisiens et algériens, puisqu’en dehors d’une compassion très convenue, ils ne seraient pas prêts à les accueillir sur leur sol ?
 
Mais est-ce en ces termes que se posent les crises que vivent aujourd’hui la Tunisie et l’Algérie ? La solution d’une émigration en Europe préconisée par Plantu est-elle envisagée par les intéressés ? Est-elle même souhaitable ? Non, évidemment ! Les émeutiers protestent contre une situation socio-politique qui les prive d’avenir et même de présent, une minorité accaparant pouvoir et richesses depuis des années.
 
La parti pris de Plantu par mise hors-contexte grossière
 
En revanche, Plantu saisit l’occasion de ces émeutes pour dénigrer gratuitement le Français moyen dont l’altruisme ne serait qu’apparent et l’égoïsme sa nature. Mais il lui faut pour parvenir à ses fins maquiller la réalité en pratiquant une mise hors-contexte grossière :
- en en faisant un leurre d’appel humanitaire, il dénature, d’une part, les objectifs des émeutiers dont la solution à leurs problèmes n’est sûrement pas l’émigration en Europe, mais une vie décente dans leur propre pays, si beau qu’il est une destination touristique très prisée !
- D’autre part, il jette l’opprobre sur les Français en leur prêtant des sentiments qui frisent la xénophobie devant nouvelle vague d’immigration purement imaginaire.
 
Plantu révèle moins par cette caricature une conduite majoritaire française qu’il ne trahit ses propres préjugés multiculturalistes, voire communautaristes et - qui sait ? - xénophobes envers ses propres concitoyens. Cette représentation lui serait-elle inspirée par le dépit à la lecture d’un récent sondage qui heurte ses tabous et ceux de son microcosme ? Selon l’enquête Ifop/Le Monde réalisée du 3 au 9 décembre 2010, et publiée le 4 janvier 2011, « 68% des Français et même 75% des Allemands estiment que l’intégration des personnes d’origine musulmane n’est pas réalisée  » et de 40 à 42 % jugent que l’Islam est « plutôt une menace  » ! Ce microcosme s’est-il jamais interrogé sur les motifs économiques, sociaux et culturels de cette intolérance grandissante envers l’Islam en France et en Allemagne ? Pour une fois, Plantu se plante le crayon dans l’œil. Paul Villach

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