Tunisie : révolte ou révolution ?

par GHEDIA Aziz
samedi 5 février 2011

« Oui, la révolution est en marche ! Et pas seulement en Tunisie. » C’est avec ses mots simples que j’ai donné, en ma qualité de modérateur, mon avis favorable à la publication, sur le site Agoravox, d’un article qui parle de la révolte réussie de nos voisins Tunisiens. Ces mots me sont venus spontanément, sans aucun effort intellectuel ni hésitation quant à leur formulation. Pour moi, cela va de soi que ce qui s’est passé en Tunisie est une révolution au sens classique du terme. Et, avec « pas seulement en Tunisie », vous l’aurez compris, l’allusion est clairement exprimée : l’onde de choc se propagera inéluctablement vers les pays voisins dont les populations connaissent les mêmes déboires que le peuple frère de Tunisie.

En fait, depuis quelques jours, je m'interroge sérieusement sur le sens à donner aux manifestations de rue qui se sont produites en Tunisie et qui ont forcé l'ex Président Ben Ali à prendre la poudre d’escampette et à fuir, "comme un voleur", de son pays : révolte ou révolution  ?

A mon sens, il y’a une sacrée différence entre ces deux mots. La révolte ne porte généralement que sur un fait précis et est le fait d’une catégorie bien précise de personnes, par exemple des mineurs ou des dockers qui contestent leurs conditions de travail ou leur misérable salaire. Dans ce cas, il n’ya pas le feu en la demeure et le problème peut être facilement réglé si les autorités en charge de cette catégorie de travailleurs savent user de la carotte au lieu du bâton. En revanche, lorsque les manifestants ou les émeutiers s’emparent de la rue et ne veulent plus déguerpir malgré les moyens sécuritaires utilisés par les pouvoirs publics en place, cela veut dire que quelque chose de plus sérieux est entrain de se tramer : la révolution.  La révolution qui met sens dessus dessous tout un pays ou parfois même toute une région, le Maghreb dans ce cas-là, ne cherche pas moins qu’un changement radical de toutes les structures existantes, toutes les politiques suivies jusque là. On ne doit pas se contenter de demi mesures. La "rue arabe", comme on aime bien l'appeler en Occident,ne devrait plus se laisser berner par des promesses et rien que des promesses. Sans Vouloir verser dans l’extrémisme, je dirais qu’à un changement radical, il faut opposer une réponse radicale. La révolution française de 1789 ne s’est imposée qu’après qu’il y eut des têtes coupées et exposées dans les lieux publics sur des piquets. Arrêtons-nous à cet exemple sinon les débats risquerons d'être chauds, brûlants même.

Et, apparemment, je ne suis pas le seul à essayer de comprendre dans quel contexte ces évènements doivent être placés. Ainsi, Lecomte, un auteur d'Agora vox, dans son dernier écrit intitulé " La Tunisie de l'après Ben Ali", se pose, lui aussi, la même question. Voilà ce qu'il en dit : " Pour certains il s’agit là de la première révolution dans un pays arabe, pour d’autres c’est un MAI 68 maghrébin susceptible de servir d’exemple aux régimes voisins voire à plusieurs autres états arabes". Effectivement, nous n'avons pas encore assez de recul pour pouvoir procéder à une bonne analyse géopolitique de la situation et la classer ensuite dans le cadre qui lui convient le mieux  : révolte des laissés-pour-compte qui, au fil des jours va certainement s'essouffler et s'estomper ou, au contraire, révolution au sens Gramscien du terme (c’est-à-dire ayant impliqué également l’élite intellectuelle tunisienne) qui, tôt ou tard, s’étendra à l’ensemble de la région et provoquera un changement radical sur le plan politique de tout le Maghreb et peut être même du Moyen-Orient. Et on le voit d’ailleurs, jour après jour, les « masses arabes » se soulèvent un peu partout, de façon un peu timide pour les unes (Algérie et Yémen) ou au contraire avec fracas comme c’est le cas actuellement en Egypte.

Il faut dire que, du moins jusqu’à l’heure actuelle, peu de journalistes et d’analystes politiques se sont sérieusement penchés sur le véritable sens à donner à cette insurrection des tunisiens contre un régime autoritaire qui les maintenait sous une chape de plomb depuis au moins vingt trois ans. La raison en est que personne ne s’attendait à « ce coup de tonnerre sous un ciel serein » d’une Tunisie à l’apparence trompeuse si douce et où il faisait si bon vivre pour … les touristes européens ! Les émeutes de Tunisie, par leur ampleur et leur durée, ont donc surpris tout le monde. Les Tunisiens qui passaient aux yeux de leurs voisins de l’Ouest (les Algériens) pour des gens qui ont une peur bleue de leurs services de sécurité se sont, en fin de compte, révélés assez coriaces et n’entendent nullement lâcher prise jusqu’à la satisfaction de tous leurs revendications à savoir :

< faire table rase du passé (qui leur fait rappeler beaucoup de mauvais souvenirs) en éliminant du pouvoir et le RCD et les caciques de ce parti politique qui a mis le pays en coupe réglée

< rebâtir une société plus juste et plus libre en faisant appel à toutes les forces saines du pays. Ces forces saines existent, on ne s’en doute pas. La Tunisie est, en effet, un pays dont la population est à majorité jeune et instruite. De plus cette jeunesse a fait preuve, tout au long de ces émeutes, d’une maturité et d’une conscience politiques qui laissent le monde entier sans voix, coi quoi ! Elle ne s’est à aucun moment laissé envahir par le pessimisme quant à l’aboutissement ou non de son combat juste et légitime. Dès le départ, on l’avait bien compris, son slogan, même s’il n’était pas inscrit sur des pancartes ou des banderoles, ne pouvait qu’être vaincre ou mourir ! Et ils ont vaincus ! « Le mur de la peur » est tombé dans le monde arabe selon l’éditorialiste du journal Le Monde de ce jour (le 29 JANVIER) et nous sommes nombreux à partager largement ce sentiment. Nous en sommes même fiers : que la peur ait changé de camp. 

Evidemment, toute révolution commence d’abord par une révolte.

La plèbe se révolte contre l’ordre établi (par la bourgeoisie) mais elle peut ne pas maitriser le cours de l’évènement, et c’est à ce moment-là qu’entre en jeu le rôle de l’intellectuel qui doit porter à bout de bras cette révolte pour en faire une révolution.

En gros, c’est cette logique qui a été mise en œuvre et bien respectée en Tunisie : un jeune homme s’immole par le feu et c’est l’étincelle qui met le feu aux poudres. Les avocats (intellectuels) et le syndicat des travailleurs (UGTT) prennent la relève en encadrant de façon parfaite et bien ordonnée le mouvement de contestation qui, au bout de quelques jours seulement, aboutit à la chute du gouvernement et du parti RCD au pouvoir depuis 23 ans.  

En somme, ce que les Etats-Unis et la CIA n’ont pu faire avec leur feuille de route pour le Grand Moyen-Orient (après la guerre du Golf et la chute de Saddam Hussein), la rue arabe en ébullition est en train de le concrétiser. Les régimes autoritaires qui ont tenu en laisse pendant longtemps leurs peuples respectifs sont entrain de tomber les uns après les autres, effet domino oblige.

Ces derniers jours, on a beaucoup glosé sur les évènements dramatiques qui secouent certains pays du monde arabe ; chacun y va de son commentaire. Pour certains, ces évènement ressemblent à tous points de vue à Mai 68, pour d’autres c’est la première révolution au sens propre du terme qui a commencé en Tunisie et qui, tel un Tsunami, ne manquera pas d’emporter d’autres pays de la sphère arabo-musulmane et cela pour la simple raison que ces pays présentent beaucoup de similitudes non seulement sur le plan religieux et culturel mais aussi sur le plan de la nature de leurs régimes politiques : tous dictatoriaux et corrompus jusqu’à la moelle. 

C’est plutôt la FIN des dictatures et non la FAIM des peuples qui poussent la "rue arabe’ à la révolte pour ne pas dire REVOLUTION.


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