Ukraine : les leçons du Berlin de 1989

par Rémy Mahoudeaux
samedi 28 janvier 2023

C’est un plaisir rare de dire du bien d’un socialiste. Rassurez-vous, il est mort et il n’était pas français : il s’agit de Willy Brandt, dissident-déserteur de l’Allemagne nazie, ancien bourgmestre de Berlin, ancien chancelier de l’Allemagne dite fédérale au temps où deux Allemagne existaient. Il disait le 10 novembre 1989 devant un mur en train de s’écrouler et la subséquente perspective de réunification des deux Allemagne : « Jetzt wächst zusammen, was zusammengehört ! » qui pourrait se traduire par « Maintenant vont croître ensemble les parties qui s’appartiennent mutuellement ». La Realpolitik, le pragmatisme, ou dans ce cas précis l’Ostpolitik dont il fut l’inlassable héraut avait porté ses fruits. L’Allemagne est une, même s’il ne s’agit plus de cet empire rêvé par des Prussiens. Cela n’a pas été simple. Mentionnons par exemple, à l’Ouest, les professeurs communistes qui étaient interdit d’enseignement avant la chute du Mur, et les couleuvres avalées par les nantis de l’Ouest pour que l’est pauvre rattrape son retard économique.

Aujourd’hui où des bruits de bottes et de chenilles de chars nous assourdissent et ou des orgues de Staline modernes nous jouent une bien triste mélodie, il est peut-être temps de regarder à travers ce prisme de la Realpolitik le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine et l’Otan.

Une nation, c’est un peuple sur un territoire qui parle une langue, a une histoire et une communauté de destin. Pour l’État officiel d’Ukraine, la seule case territoire est cochée, fruit de l’erratisme des décisions soviétiques. Pour la case langue, il y avait jusqu’au 23 février 2014 comme langues officielles en Ukraine (outre l’ukrainien) le russe, le roumain, le hongrois et le tatar criméen. Pour la case histoire, mentionnons juste que Kiev fut la première capitale de la Russie. Que les Russes furent chassés du pouvoir par des Lituano-Polonais. Que les aspirations cosaques à l’autonomie furent matées par Catherine la Grande. Que l’empire d’Autriche-Hongrie a lui aussi, un temps, eu sa part du gâteau en Galicie. Difficile de trouver une histoire commune à l’ex-royaume Khazar qui est depuis longtemps un point de contact entre le monde slave / orthodoxe à l’Orient et celui catholique plus hétérogène à l’Occident. Pour ce qui est du peuple, la steppe pontique a été le point de passage obligé de beaucoup d’invasions. Il y a aussi la politique d’immigration massive de Catherine la Grande pour valoriser le sud de l’Ukraine : Allemands, Néerlandais et Russes furent encouragés à développer le territoire. Il semble dès lors difficile de parler de peuple ukrainien uniforme. C’est ainsi que le terme Oukraïna « à la marche » apparaît au XVI° siècle. Les marches, le limes, ces territoires à l’extrémité des royaumes et empires, toujours aux confins d’une barbarie, celle de l’autre.

Et puis, surtout pour la case communauté de destin, il faut bien reconnaître qu’elle ne saurait être cochée. Il y a les ressentiments réciproques pour des raisons anciennes (Dékoulakisation, Holodomor, Bandérisme et sa contre-insurrection, totalitarisme soviétique) et les casus belli les plus récents, matérialisés par un apartheid anti-russe ou anti-slave de la part des pro-occidentaux, auquel une rébellion séparatiste pro-slave répondit.

L’Ukraine n’est donc pas une nation.

Revenons à Willy Brandt. « Les parties qui s’appartiennent  » est une formulation hélas piégeuse. Il y a là dans l’utilisation du verbe appartenir le risque d’un assujettissement du particulier par le tout, qui peut aller jusqu’à l’asservissement. C’est pourquoi le «  mutuellement  » est si important. Si, favorables au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, nous nous sommes réjouis de la réunification allemande, alors nous devons nous interdire tout soutien à l’impérialisme ukrainien sur le Donbass et la Crimée, alors nous devons imaginer que les oblasts majoritairement slaves, russophones et slavophiles d’Ukraine qui le désireraient puissent vivre en sécurité au sein d’une plus grande Russie. Et goûter à la paix, tous.

Crédit photo : Willy Brandt, Cliche Lothar Schaack CC BY-SA 3.0


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