Ukraine : pourquoi je suis agnostique

par yvesduc
vendredi 11 mars 2022

Les médias ne racontent que la moitié de l’histoire. Voici l’autre moitié, et voici pourquoi nous ne prenons pas position dans le conflit.

L’origine des événements actuels en Ukraine remonte à 2014. Cette année-là, un coup d’État a lieu. Il est mené, notamment, par des nationalistes et des néo-nazis (1). Plusieurs de ces derniers deviendront ministres au sein du nouveau pouvoir. Les milices extrémistes qui ont aidé au coup d’État seront formées par Blackwater et intégrées dans l’armée régulière. Les bataillons Azov et Aïdar seront envoyés dans l’Est, mener la guerre aux populations russophones (guerre du Donbass (2)). Parallèlement, le gouvernement nationaliste lancera des persécutions contre les ukrainiens russophones : retrait de la langue russe comme deuxième langue officielle de l’Ukraine, rues et avenues re-baptisées en hommage à des Collaborateurs des Nazis (3), procès retentissant contre un Résistant de 80 ans qui a combattu le nazisme… aux côtés des soviétiques ! (4), etc. Même Zemmour n’oserait pas. Les événements de 2014, ignorés du grand public, sont parfaitement connus de tous les spécialistes sérieux. Les médias occidentaux ne racontent que la moitié de l’histoire.

Pour les néo-nazis ukrainiens, l’occupation nazie de la Deuxième Guerre Mondiale n’est pas le problème. La victoire des Soviétiques contre les Nazis, est le problème. Ils ont une revanche à prendre. Contre la Russie. L’OTAN et la CIA (5), qui ont initié et soutenu le coup d’État, leur offrent l’occasion de réaliser cette revanche.

Un coup d’État est une mauvaise idée en soi. Un coup d’État de tendance néo-nazie est une très mauvaise idée. Un coup d’État de tendance néo-nazie, sous les fenêtres des Russes, est l’une des idées les plus tordues que l’on puisse imaginer, si l’on se souvient de la férocité avec laquelle les Nazis se sont comportés en URSS. La brutalité nazie a laissé à la population russe un traumatisme d’un autre ordre de grandeur qu’en France. En France, les Nazis occupaient. En URSS, ils s’installaient. Ils prenaient la place. Et exterminaient (6). Le bilan se monte à 22 millions de victimes, en fourchette basse. Autant dire qu’agiter le chiffon rouge du nazisme sous le nez des Russes, est bien le plan le plus pernicieux et psychopathe qui soit. À en écarquiller les yeux. On aimerait savoir de quel cerveau “génial”, à Washington, est née cette idée. Qui est donc cette personne qui, se levant un matin, devant son café, s’est exclamé : “Oh, mais voyons, nous avons des néo-nazis en Ukraine… On pourrait leur donner… hum… des armes, et… on les enverrait dans l’Est, taper sur les populations russophones” Du grand génie. Ou du grand sadisme.

Les acteurs de cette histoire sont donc au nombre de DEUX : l’impérialisme étasunien et l’impérialisme russe. Et non un seul, comme les médias occidentaux tentent de le faire croire. Dressons un portrait des deux acteurs : l’impérialisme étasunien est agressif et conquérant. Il a pris pied sur tous les continents. Seules exceptions, l’Arctique et l’Antarctique, mais avec le réchauffement climatique, qui sait ? Cela viendra peut-être. Les ambitions de l’impérialisme étasunien n’ont pas de limite. Ils veulent tout. L’impérialisme russe, de son côté, est en déclin. Il souhaiterait garder une influence aux alentours immédiats de ses frontières mais, peine perdue. Il recule continuellement. Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Bulgarie, etc. sont passées dans l’autre camp et hébergent désormais des bases militaires de l’OTAN (7). L’ancienne Union Soviétique est découpée en petits morceaux. De plus en plus petits. La Russie est cernée. Bordée de toutes parts par des bases militaires hostiles. De temps en temps, |’impérialisme russe tente de reprendre l’ascendance sur de petits morceaux de territoires perdus. C’est le cas aujourd’hui en Ukraine.

En 2014, |’impérialisme étasunien a remporté une manche. Le coup d’État “néo-nazi”, donc. En 2022, |’impérialisme russe tente une riposte. L’impérialisme russe joue en défense. Mais dire cela, ne signifie pas soutenir la guerre. Pour cela, il faut répondre aux deux questions suivantes.

La première question consiste à se demander si l’offensive russe arrive au bon moment, est proportionnée, correctement conduite, etc. Nous ne nous prononcerons pas ici sur ces questions, qui relèvent d’informations qui ne sont pas en notre possession.

La deuxième question porte sur le choix de la guerre elle-même. Y avait-il d’autres stratégies ? Par exemple, Poutine pouvait-il baisser la tête et reculer, comme il l’a fait presque à chaque fois depuis vingt ans ? Nous affirmons ici, résolument, que la réponse à cette question relève uniquement de l’âme et conscience de la population russe (et de ses dirigeants). Le statu quo fragile que Poutine espère obtenir à l’issue de son opération guerrière, mérite-t-elle le sacrifice de centaines ou de milliers de soldats ? Nous sommes agnostiques sur cette question car ce sont les Russes qui versent leur sang et, par conséquent, qui doivent répondre à la question. Et eux seuls. Personne n’a à dire aux Russes ce qu’ils doivent faire. Personne n’est à leur place. Dans le viseur de l’OTAN. Car les Russes sont victimes, de longue date, d’un mépris aussi vertigineux qu’incompréhensible de la part de l’Occident. Et des États-Unis, surtout (4). Souvenons-nous que la propagande anti-russe ne fut suspendue aux États-Unis que pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Lorsque l’URSS combattait les Nazis. Mais le 8 mai 1945 au matin, l’encre de l’Armistice à peine sèche, la propagande anti-russe revenait ! Pourtant, les Russes n’ont jamais envahi les États-Unis. Ni frappé. Menacé, oui, une fois : depuis Cuba. Mais combien de bases de l’OTAN aujourd’hui devant les frontières russes ? La hargne anti-russe des Étasuniens est un mystère. Est-elle pathologique ? Psychologique ? Méta-physique ? Obsessionnelle ? Nous nous garderons ici d’hasarder une réponse. Certes, la culture russe est égalitaire alors que la culture étasunienne est élitiste. Mais de là à nourrir une telle hargne ! Toujours est-il que la population russe a de bonnes raisons de craindre les États-Unis et l’OTAN. Le dernier Président russe pro-occidental était saoul comme une barrique et a accompagné un effondrement de la société russe. Chacun aura reconnu Eltsine. Pas un bon souvenir…

Mais examinons tout de même le plan B : Poutine pourrait-il, comme il l’a si souvent fait, manger son chapeau ? Laisser faire ? Baisser la tête et reculer ? Serrer les poings et répéter : “Ne pas bouger, ne pas bouger…” Le problème est que la Russie a DÉJÀ, à de nombreuses reprises, baissé la tête et reculé. La Russie s’est laissée (plus ou moins de bonne grâce, parfois) dépecer. Disloquer. Elle a laissé des bases militaires et des missiles hostiles s’installer devant ses frontières. Avec quelle conclusion ? La guerre du Donbass ! 13 000 victimes… Le coup d’État de 2014 ! Le massacre d’Odessa, etc. Le problème de cette stratégie de la “paix à tout prix” est que l’impérialisme étasunien, lui, ne s’arrête pas. Est insatiable. Vous lui offrez la main ? Il veut le bras. Et l’épaule. Non, les deux bras ! Baisser la tête, reculer, n’a jamais ralenti l’impérialisme étasunien. Ils en veulent toujours plus. Sans doute occuperont-ils aussi l’Arctique et l’Antarctique, bientôt.

Que Poutine recule ou résiste, la sanction sera finalement la même : l’impérialisme étasunien remettra le couvert, ici ou là, tôt ou tard, fomentera un coup d’État, instrumentalisera tel ou tel groupuscule, agitera des opposants, montera une révolution colorée, massacrera un allié, etc. En la matière, leur imagination paraît sans limite. Les États-Unis ne comprennent finalement qu’une chose : la force. Ils sont, répétons-le, insatiables et ne s’arrêteront que lorsqu’ils trouveront plus fort qu’eux. Une alliance forte entre la Russie et la Chine pourrait matérialiser le cauchemar tant redouté à Washington. Mais avant qu’un nouvel impérialisme n’arrête les États-Unis, il lui faudra faire ses griffes. Petit à petit. Et pour cela, se frotter à l’impérialisme dominant.

Pour l’heure, Poutine veut démilitariser et dénazifier l’Ukraine. Ces objectifs devraient être évidents pour tout le monde (sauf pour le cerveau malade qui a imaginé le plan du coup d’État “néo-nazi”, s’entend). Répétons-le, dire cela ne signifie pas approuver la guerre. Mais un troisième objectif, qui est sans doute le plus important, est d’envoyer un signal à Washington : “On en a assez de vos provocations. Calmez-vous.”

Terminons sur une note positive. Nous aimerions que des négociations s’ouvrent. C’est la voie la plus raisonnable. Poutine (8) et Zelensky (9) le veulent. Washington le permettra-t-il ?

Yves Ducourneau, le 10 mars 2022

Notes :

(1) « Olivier Berruyer contre Le Monde, sur l'Ukraine (05/2014) », par Daniel Scheidermann, 05/2014

(2) "Donbass", par Anne-Laure Bonnel, 2016

(3) "Ukraine : Asselineau répond à Macron", par François Asselineau, 03/03/2022

(4) « Faut-il détester la Russie ? », par Robert Charvin, éditions Investig'Action, 2016

(5) "La réalisatrice Anne-Laure Bonnel adresse un message vidéo aux spectateurs de la Maison russe", 22/07/2021

(6) "«  Une bande de drogués et de néo-nazis »", par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 05/03/2022

(7) "L’OTAN aux portes de la Russie", par Cécile Marin, Le Monde Diplomatique, 06/2018

(8) "Ukraine : c’est l’OTAN qui a lancé l’attaque il y a huit ans", par Manlio Dinucci, ilmanifesto.it, 01/03/2022

(9) "Vladimir Poutine déclare la guerre aux Straussiens", par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 01/03/2022


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