Ukraine : Poutine mise sur la menace nucléaire

par Fergus
mercredi 9 mars 2022

Il ne fait aucun doute que, dans un délai plus ou moins proche, Poutine réussira en Ukraine : 1) à conquérir les territoires de l’est et du sud ; 2) à mettre en place à Kiev un gouvernement autocratique vassal de Moscou, sur le modèle de celui de Loukachenko en Biélorussie. Pour atteindre ces objectifs, le maître du Kremlin n’hésite pas à faire planer la menace d’un recours à l'armement nucléaire tactique...

De la même manière qu’en 2008, Poutine avait usé de la puissance militaire contre la petite république de Géorgie pour – en toute illégalité – annexer l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, c’est cette fois-ci sur les territoires de l’est et du sud de l’Ukraine qu’il entend mettre la main. Objectif : intégrer les oblasts concernés à la Fédération de Russie et lui assurer ainsi une continuité territoriale stratégique entre le Donbass, la rive ouest de la mer d’Azov (symbolisée par le port de Marioupol) et la rive nord de la mer Noire (symbolisée par le port d’Odessa). Autre objectif : éliminer Zelensky – au besoin physiquement – pour le remplacer par un président fantoche à la botte de Moscou dans la droite ligne des pratiques héritées de l’ex-Union soviétique.

Le problème est que, loin du succès rapide escompté par Poutine et ses « obligés » du ministère de la Défense et de l’État-major, la conquête de l’Ukraine se fait dans la douleur en causant à la Russie d’importants dommages. Au plan militaire en premier lieu avec des pertes significatives en soldats et en matériel. Au plan économique ensuite, du fait des premiers effets des sanctions internationales, de la chute vertigineuse concomitante d’un rouble qui a d’ores et déjà perdu la moitié de sa valeur, et de l’annonce prévisible de prochains rationnements, synonymes de résurgence d’un marché noir. Au plan de l’image enfin, la Russie étant, du fait de l’illégitimité de cette invasion de l’Ukraine, de facto devenue un état paria au regard de la grande majorité des nations. 

Dans un tel contexte, Poutine doit impérativement provoquer les conditions de l’ouverture d’une négociation en situation de vainqueur militaire afin d’imposer son projet impérialiste pour l’Ukraine. Cela passe par trois étapes : 1) Prendre Marioupol et Odessa au sud ainsi que Kharkiv au nord ; 2) Refermer la tenaille sur l’est du pays en opérant la jonction des deux corps d’armée afin d’isoler une grande partie de l’armée ukrainienne ; 3) Terminer la mise en place de l’encerclement de Kiev en vue de provoquer la chute de l’exécutif ukrainien. Or, plus le temps passe, plus la Résistance s’organise, au risque pour les Russes de devoir mener autour de la capitale ukrainienne un siège long et toujours plus dommageable pour les envahisseurs.

Jour après jour, le tableau ne cesse de s’assombrir pour Poutine, tant sur le plan des opérations militaires sur le territoire ukrainien que dans son propre pays. Aux difficultés économiques et sociales induites par la guerre – pardon, l’« opération spéciale » – en cours s’ajoutent en effet sur le sol russe les départs massifs des enseignes occidentales et le retour d’un climat de surveillance policière qui ramène toujours plus la population dans un climat digne de l’ex-Union soviétique. Poutine a-t-il les moyens de tenir durablement en laisse un peuple victime d’une guerre qu’il n’a pas voulue ? Pas sûr. D’où la tentation du dictateur moscovite d’abréger l’épreuve ukrainienne en vue d’imposer la négociation sans laquelle il ne pourra pas sortir du bourbier* ukrainien.

La situation militaire étant ce qu’elle est, le recours à l’arme nucléaire tactique pour accélérer la mainmise sur l’Ukraine peut à tout moment être considéré comme une urgente nécessité par Poutine. Le dictateur russe en avait d’ailleurs clairement brandi la menace dès les 27 février en déclarant : « J’ordonne au ministre de la Défense et au chef d’État-major de mettre les forces de dissuasion russes en régime spécial d’alerte au combat ». Autrement dit, ordre de tenir prêtes à être utilisées les armes nucléaires en cas de besoin. Sachant qu’il n’y a évidemment pas la moindre menace qui pèse sur la Russie, c’est donc bien dans le cadre d’une action offensive visant à briser physiquement et moralement les résistances ukrainiennes que ces armements pourraient être utilisés.

Une telle ignominie de Poutine pourrait-elle déboucher sur un élargissement de la guerre à des pays voisins, membres de l’Union européenne et de l’Otan, à l’image notamment des Pays baltes, anciens états de l’URSS ? Nul ne peut en avoir la certitude. Mais les craintes existent, et tous les experts s’accordent à dire que, s’il est ténu, ce risque est très loin d’être une vue de l’esprit, ce qui, dans le cas d’une extension du conflit, pourrait déboucher sur une Troisième guerre mondiale aux conséquences aussi terribles qu’imprévisibles. Par chance, le pire n’est jamais sûr : il est en effet possible que Poutine exerce par ce biais un chantage à la peur destiné à amollir la volonté des Ukrainiens et de tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, leur viennent en aide.

Quoi qu’il en soit, face à la détermination impérialiste de Poutine, il est évident qu’il convient, pour tenter d’amener le dictateur russe à revoir ses objectifs à la baisse, d’aller encore plus loin : d’une part, dans les fournitures d’armements à la Résistance ukrainienne (notamment en missiles sol-air et en drones) ; d’autre part, dans les sanctions économiques à l’encontre de la Russie, fut-ce en diminuant drastiquement les livraisons de gaz aux pays de l’UE, quel qu’en soit le prix à payer par les Européens. Que pèsent en effet nos problèmes domestiques de pouvoir d’achat comparés aux souffrances des Ukrainiens, confrontés aux destructions massives d’infrastructures et d’habitat, aux morts et au blessés de la guerre, aux séparations des familles, à tant de destins brisés ? Si peu de chose !

Un bourbier au sens figuré comme en Afghanistan où les Russes n’ont jamais réussi à éradiquer les meurtrières actions des Résistants. Un bourbier au sens propre avec l’arrivée en Ukraine de la Rasputitsa, cette période de dégel redoutable pour les matériels et le moral des troupes.

À lire : Poutine : un naufrage et 190 millions de victimes (2 mars)


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