Un bien sinistre débat : C dans l’air du 5 septembre 2017

par desembuleur
mercredi 13 septembre 2017

Un bien sinistre débat : C dans l'air du 5 septembre 2017

Si jamais vous sortez d'un sommeil profond qui a duré une dizaine d'années et que vous vous demandez où en est le débat démocratique dans notre pays, vous pouvez regarder l'émission C dans l'air du 5 septembre sur la grogne des maires. Tout y est.

1. Un débat imaginé par un ingénu

Imaginons un instant une personne totalement naïve et non initiée à la réalité actuelle de la démocratie en France. Cette personne serait instruite par des lectures théoriques sur la démocratie, aurait des connaissances historiques sur les différentes révolutions en France, connaîtrait les différentes déclarations des droits de l'Homme et du Citoyen, les organismes internationaux mais n'aurait aucune idée de la manière dont s'applique l'idée démocratique aujourd'hui dans notre pays.

Imaginons maintenant que nous demandions à cette personne d'organiser un débat médiatique diffusé à une heure de grande écoute et sur une chaîne réputée sérieuse sur le thème "les maires se rebiffent". Quels invités choisirait-elle ? On peut parier que cette personne, naïve, quoique instruite au plus haut degré du fonctionnement d'une démocratie et de ses idéaux, aurait deux priorités.

Tout d'abord il lui semblerait évident d'inviter un représentant des maires pour qu'il puisse venir expliquer le plus justement possible et sans risque de mauvaise interprétation les raisons de cette rebiffade.

Ensuite, et afin qu'il y ait débat entre les deux parties, il voudrait inviter un responsable politique de la majorité gouvernementale qui pourrait tenter de justifier les choix politiques fait par le président. Il faudrait que cet invité soit le plus important possible, dans l'idéal le ministre de la Cohésion des Territoires, quelqu'un qui soit un responsable.

Ces deux invités lui sembleraient la base à un débat sur le sujet. En effet, cette personne, pétrie des grands principes démocratiques et dont l'idéal serait de mettre entre les mains de chacun les outils indispensables à la compréhension de la société n'envisagerait pas les choses autrement, c'est certain.

Ensuite, elle pourrait ajouter un représentant des acteurs sociaux, un représentant d'une association d'aide aux personnes âgées par exemple ou d'aide au logement qui pourrait expliquer ce que les baisses de dotation impliquent à son niveau. Elle pourrait également inviter un statisticien de l'INSEE dont le rôle serait d'apporter un éclairage chiffré, un chercheur au CNRS qui pourrait citer des études. Tous ces invités seraient en tout cas indépendants, chacun intervenant dans un domaine précis avec un point de vue différent.

Imaginons maintenant la tête de cette personne en découvrant les invités de l'émission C dans l'air sur la cinquième...

C'est à n'y rien comprendre...[

2. Ce qu'est réellement le débat

Un représentant des maires ? Aucun. Un représentant du gouvernement ? Non plus. Un statisticien ? Un chercheur ? Pas mieux. Un représentant de la société civile, un acteur social ? Toujours pas.

Par contre deux journalistes, un éditorialiste à L'Express et une journaliste de l'Opinion aux points de vue très proches, un directeur d'école de commerce, ancien membre de la cour des comptes, au point de vue également très proche de celui des journalistes et un économiste avec un point de vue différent mais placé seul face à trois contradicteurs.

Ainsi nous sommes ici non pas dans du débat réel mais dans du commentaire et plus précisément du commentaire qui prend l'apparence du débat et qui est présenté comme tel. En effet un débat se fait entre les parties concernées, or elles ne sont pas présentes, alors que le commentaire se fait par des gens extérieurs. Ainsi nous sommes certains que l'émission ne fera aucunement évoluer la situation dans un sens comme dans l'autre.

Et puis ajoutons qu'il n'aura échappé à personne que trois des quatre invités possèdent le même point de vue qui est avant tout un point de vue comptable qui ne se préoccupe pas du reste. Pour la pluralité des points de vue on a déjà connu mieux. Bien sûr un invité tente de défendre une autre vision des choses mais à trois contre un ses idées ont bien peu de chance de s'imposer dans l'esprit des téléspectateurs.

Alors certains diront que s'il n'y a pas de maire sur le plateau on en voit quand même dans des petits reportages. Certes mais n'étant pas présent sur le plateau ils ne peuvent répondre aux arguments des invités qui partagent majoritairement la même opinion libérale.

Autrement dit il semble que le but de cette émission soit autant d'orienter le téléspectateur dans son opinion que d'organiser un débat afin d'éclairer sur les tenants et les aboutissants d'un phénomène de société.

Il est évident que le choc pour la personne naïve et imbibée des grands principes démocratiques serait très violent. Pourtant c'est ainsi que fonctionne trop souvent notre démocratie et cet exemple est loin d'être isolé. On pourrait dire qu'il est même plutôt positif dans le sens ou il existe tout de même une voix divergente sur le plateau, ce qui est loin d'être systématique.

3. Et nous dans tout ça ?

Et oui, et nous ? Nous les téléspectateurs qui regardons cette émission, y verrons nous plus clair ou sommes nous encouragés à la passivité et à l'acceptation de ce qui se présente comme une fatalité par la voix de trois invités d'accord entre eux ?

Ah bien sûr de temps à autre le quatrième invité tente de faire entendre une voix discordante mais il n'empêche pas les trois autres de parler entre eux en gens responsables et de connivence.

Tellement de connivence d'ailleurs que parfois le téléspectateur se demande un peu de quoi ils parlent entre eux. Ainsi lorsque monsieur François Ecalle (membre de l'IFRAP, think tank libéral présenté comme « un réseau très militant très engagé pour la réduction de la sphère publique et des interventions de l'État ») parle de clientélisme en évoquant les contrats aidés on cherche à comprendre de quoi il peut bien parler. Heureusement il avoue habiter à Levallois-Perret ce qui permet de comprendre l'origine d'un point de vue si particulier car pour le commun des mortels le contrat aidé permet d'avoir accès à une garderie dans son village, une cantinière ou autres employés qui sont tout sauf inutiles.

De même il est légitime de se demander quelle commune habitent les deux journalistes qui tombent si facilement d'accord avec lui. Parions que la réalité rurale et post-industrielle sur laquelle revient régulièrement le quatrième invité n'est pas celle qui s'impose à eux par sa permanence quotidienne.

C'est peu dire que le débat médiatique n'est pas forcément impartial et qu'il peut être orienté dans un sens plutôt qu'un autre. Mais aujourd'hui encore il reste un espoir de voir vivre le plus longtemps possible les idéaux démocratiques et c'est à l'échelle communale justement, celle-là même qui est sous les feux des projecteurs et que les gouvernements successifs promettent systématiquement de réformer.

L'échelon communal est indéniablement celui qui à l'heure actuelle permet le mieux l'expression des citoyens et la prise en compte d'un réel intérêt commun. Charge à nous de le faire vivre.

article publié à l'origine sur le blog cifsom.wordpress.com


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