Un crime très ordinaire

par Leila
jeudi 22 janvier 2009

Amira Hass est une journaliste israélienne qui habite en Cisjordanie. Son père et sa mère sont deux survivants de la Shoah. Elle est connue du public pour ses articles rapportant les événements du conflit israélo-palestinien dans le quotidien Haaretz. Elle rapporte ici le témoignage d’un médecin de Tel-Aviv sur le meurtre de deux jeunes Palestiniens dans la Bande de Gaza par des soldats israéliens.

Les armes légales tuent aussi

Les armes et les munitions qui ont tué les frères Kassab et Ibrahim Shurab, âgés respectivement de 28 et de 17 ans, étaient certainement légales. Mais était-il légal de les tuer ?

Le vendredi 16 janvier, ils se rendaient en voiture, une Land-Rover rouge, avec leur père Mohammed, âgé de 64 ans, vers leur maison à Khan Yunis. Ils rentraient de l’exploitation familiale. Le père conduisait, Kassab était assis devant et Ibrahim derrière. Le cessez-le-feu temporaire, destiné à acheminer l’aide humanitaire, devait durer depuis 10 h jusqu’à 14 h ce jour-là.

Ils sont passés devant un poste de contrôle militaire israélien qui les a laissés continuer. Vers 13 h, ils sont arrivés au supermarché d’Abu Zaidan dans la banlieue d’Al-Foukhari. Un immeuble adjacent avait été transformé en avant-poste de l’armée israélienne. Les soldats allaient et venaient, gardant les habitants prisonniers dans leurs propres maisons.



Soudain, la Land-Rover a été prise sous une intense fusillade tirée depuis l’avant-poste militaire, à une quarantaine de mètres selon les estimations du père. Kassab a été touché à la poitrine. Il est sorti de la voiture, il a perdu connaissance et il est mort. Ibrahim s’est jeté dehors et il a été touché à la jambe, mais il a continué à courir. Il a essayé de demander de l’aide sur son mobile, mais un soldat lui a crié de ne pas téléphoner, en l’injuriant en arabe. C’est ce que le père a déclaré quelques heures plus tard à Tom, médecin d’une organisation humanitaire. Le père avait été touché à la main. Il a réussi à tirer son fils encore en vie vers un mur de protection. Il a téléphoné chez lui, puis au Croissant Rouge, puis à l’un de ses fils qui vit aux Etats-Unis.

A 11h du soir, dix heures après avoir été blessé, Ibrahim perdait toujours son sang. Il se refroidissait et sa respiration faiblissait. Mohammed s’est arrangé pour le tirer vers la Land-Rover criblée de balles en espérant lui trouver un abri plus chaud. Mais une demi-heure plus tard, dans la nuit de vendredi à samedi, le fils rendait le dernier soupir dans les bras de son père, à une quarantaine de mètres des soldats.

Depuis chez lui à Tel-Aviv, Tom joignait ses efforts à ceux du Croissant Rouge et d’autres organisations. Ils ont essayé toute la nuit de convaincre l’armée israélienne d’autoriser une ambulance à évacuer les blessés. Le père l’a appelé à plusieurs reprises. Tom affirme qu’il n’a entendu aucun coup de feu pendant que Mohammed lui parlait. L’hôpital européen est à deux kilomètres de l’endroit de la fusillade : quelques minutes de trajet pour une ambulance. C’est le lendemain matin que Tom a appris que l’armée israélienne permettrait à une ambulance de s’en approcher à midi.

Le porte-parole de l’armée a déclaré : « Nous n’avons permis à l’ambulance d’aller sur place qu’après avoir fait le point de la situation dans le secteur et décidé que les conditions opérationnelles le permettaient. Les blessés ont été évacués vers un hôpital de Rafah par les soins du ministère palestinien de la Santé. La règle est que pendant le "corridor humanitaire", l’armée israélienne ne doit ouvrir le feu que si des fusées sont tirées sur Israël ou si des tirs visent les forces armées. Nous ne pouvons pas faire une investigation pour reconstituer ce qui s’est passé, et nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer les informations que l’on nous donne. »

Tous ceux qui ont lu les déclarations unanimes d’autosatisfaction provenant de Gaza sous les bombardements savent que ce n’est pas un acte isolé. Haaretz a publié des témoignages selon lesquels des soldats ont tiré sur des ambulances et sur des civils en fuite qui agitaient des drapeaux blancs. Selon les témoignages de la Croix-Rouge, des personnes blessées lors des bombardements, parmi lesquelles des enfants, ont été enfermées pendant des jours auprès des cadavres de leurs parents, à portée de voix des positions de l’armée israélienne.

Les soldats n’agissent pas isolément. Ils ont des chefs, et c’est leur esprit de corps [en français dans le texte] qui les a rendus capable de commettre ces actes, tout comme il a permis aux mortiers de l’artillerie israélienne de tirer sur des écoles des Nations Unies. Les Forces de Défense d’Israël (IDF) sont l’armée du peuple. Le peuple, dans son écrasante majorité, s’est abreuvé avidement des arguments avancés pour justifier ces actes, et il les a approuvés. Israël est une démocratie. Donc on peut dire que Kateb et Ibrahim ont été tués en toute légalité.

Amira Hass

Traduction LF


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