Un débat sur la laïcité au « 1er Salon littéraire » de Vaux-le-Pénil : le poids de l’Histoire…

par Paul Villach
samedi 16 octobre 2010

À l’occasion du premier « Salon littéraire » organisé par l’Association de la Ferme des Jeux à Vaux-le-Pénil, dans la banlieue de Melun (Seine-et-Marne), dimanche 10 octobre 2010, qui a réuni auteurs et éditeurs, s’est tenu un déjeuner-débat sur la laïcité. Ce principe qui est un des fondements du contrat démocratique français, est aujourd’hui, on le sait, menacé.

La laïcité attaquée par les intégrismes
 
Des intégrismes déterminés ont apparemment l’intention de le ruiner. Les déclarations du président de la République, pourtant garant constitutionnel de ce principe républicain, ont pu leur faire croire qu’il poursuivait le même objectif. Dans un premier discours à Saint-Jean-de-Latran à Rome, le 20 décembre 2007, il a parlé de « laïcité enfin parvenue à maturité  » ou encore de « l’avènement d’une laïcité positive  ». On se souvient de sa comparaison dévalorisante pour les laïcs par rapport aux religieux : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, s’était-il écrié, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.  ». Le 14 janvier 2008, le président de la République revenait sur le sujet à Riyad en Arabie Saoudite en saluant l’Islam.
 
Le terrible témoignage de Faïza
 
Le débat à Vaux-le-Pénil était animé par un universitaire de l’IUT de Lille 3, Pierre Baracca, et la directrice de cabinet du maire d’Halluin dans la région lilloise, Malika Messad. Ils viennent de publier en avril 2010 un ouvrage issu de trois mémoires soutenues par des étudiantes en « Animation sociale et socioculturelle », intitulé « Les animateurs face à l’intégrisme religieux et à l’oppression des femmes  » (1).
 
Ils se sont appuyés pour commencer sur le témoignage d’une des étudiantes, Faïza, qui par peur n’a pas voulu signer l’ouvrage de son patronyme. Que disait-elle donc de si compromettant ? Elle racontait tout simplement l’ordinaire de la domination masculine non seulement subie , mais intériorisée et acceptée par les femmes musulmanes. En les écoutant, on revoyait des images de l’émission d’ARTE, récemment diffusée (2), « La cité du mâle  ». Cette équation de sons par le jeu de mots entre « mâle » et « mal » valait avec pertinence équation de sens.
 
Deux points de vue sur la laïcité avec l’Histoire comme ligne de partage des eaux
 
1- L’échange a toutefois fait apparaître sinon un clivage du moins deux points de vue différents susceptibles d’en créer un si l’on y prend pas garde. Les uns entendaient défendre la laïcité contre ses ennemis sans faire de distinction. Elle inspirait un mode de vie, selon eux, qui écartait toute ingérence d’une croyance religieuse dans l’espace public. Être laïc, soutenaient-ils, signifiait donc qu’aucune discrimination ne devait être opérée entre les religions, quelles qu’elles soient, logées à la même enseigne privée.
 
2- Sans contester cette démarche, les autres entendaient l’inscrire dans l’Histoire. Car, sous peine de se voiler la face, religion catholique ou protestante et religion islamique n’avaient pas connu la même aventure. Ce n’est qu’après des siècles d’affrontements souvent très violents et sanglants qu’en France, la religion catholique a été contrainte de composer, d’une part, avec sa rivale, la religion protestante, et, d’autre part, avec le pouvoir civil royal ou impérial, avant de devoir se résigner à la séparation de l’Église et de l’État en 1905. Et encore a-t-il fallu une guerre mondiale et la fraternité inattendue des tranchées entre croyants et incroyants pour qu’enfin l’Église catholique en vienne à accepter en 1924 la nouvelle situation.
 
L’Islam n’a jamais connu pareil affrontement à la laïcité. Là où il s’est développé, il a toujours exercé une domination sans partage. À l’exception de la Turquie, les pays à majorité musulmane ont des régimes autoritaires inspirés par les rites et usages islamiques.
 
« Le chanoine du Latran chez le pape Benoît XVI : Sako à confesse »
 
En revanche, au cours des cent ans écoulés, les catholiques ont en majorité apprécié pour finir cette séparation de l’Église et de l’État et en sont même devenus des défenseurs sincères. Ils y ont trouvé, à vrai dire, avantage : on ne peut plus les confondre, comme avant, avec le pouvoir et les familles conservatrices ou réactionnaires, même si nombre d’entre eux votent à droite ou au centre-droit. Par sa récente visite au Vatican, le président de la République a ainsi tenté de rassurer son électorat catholique après des frasques et des mesures législatives qui avaient pu le heurter et le détourner de lui dans la perspective de la prochaine présidentielle : « Le chanoine du Latran chez le pape Benoît XVI : Sarko à confesse  », a titré un hebdomadaire en couverture. Saura-t-on deviner lequel ? Non, ce n’est pas Le Canard Enchaîné, mais l’organe d’ un mouvement catholique, Golias.
 
« Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas »
 
Ne pas tenir compte de l’Histoire expose donc à deux erreurs graves. 1- L’une est de minimiser le parcours que l’Islam a à effectuer pour se résigner à vivre dans une société laïque : le témoignage de Faïza permet de prendre la mesure de la « conversion » qui est attendue de lui. 2- L’autre est d’ignorer le parcours déjà effectué par une majorité de catholiques qui parfois se montrent plus exigeants en matière de laïcité que des laïcs eux-mêmes.
 
Le déjeuner-débat de Vaux-le-Pénil était donc passionnant. Les laïcs doivent ne pas se tromper d’adversaire et savoir reconnaître leurs alliés. En somme, les termes du problème posé par Aragon dans son poème « La Rose et le Réséda  » qui évoque la fraternité de la Résistance, sont et seront toujours d’actualité : il importe que « celui qui croit au ciel  » et « celui qui n’y croit pas » sachent se respecter et même s’apprécier pour qu’au moins la vie sur terre ne soit pas un enfer. Le président de la République partage-t-il ce point de vue, lui qui, dans son discours de Riyad, a aussi prétendu « respecter ceux qui croient au Ciel autant que ceux qui n’y croient pas  » ? On voudrait encore le croire… Paul Villach
 
(1) Pierre Baracca, Amandine Briffaud, Anne-Gaêlle Cogez, Danielle Demaire, Faïza, Malika Messad, « Les animateurs face à l’intégrisme religieux et à l’oppression des femmes – Témoignages, discussion, enjeux de formation  », Éditions L’Harmattan, 2010.
 
(2) Paul Villach, « « La cité du mâle » : France Culture a tenté de discréditer l’émission d’Arte  », AgoraVox, 1er octobre 2010.
 
La photo d’illustration est celle de deux jeunes filles qu’on voit dans le documentaire au moment où elles admettent qu’une femme peut être frappée par un homme et qu’ « une claque n’a jamais fait de mal à personne ».
 

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