Un déodorant Bourjois pour pieds nickel

par Paul Villach
mardi 9 juin 2009

Comment rendre sensible l’odeur par l’image ? Vue et odorat sont des sens aux perceptions si étrangères l’une à l’autre. La publicité pour parfums n’en a pas été pour autant contrariée. Elle sait depuis longtemps contourner l’obstacle par des leurres efficaces : la métonymie somme, par exemple, le lecteur d’établir une relation entre un effet exhibé, comme l’étreinte de deux amants, et sa cause prétendue attribuée aux fragrances irrésistibles du parfum promu.

Les cosmétiques Bourjois avaient une difficulté supplémentaire à résoudre : comment montrer non seulement la bonne odeur d’un déodorant mais aussi son pouvoir de chasser la mauvaise odeur des pieds ? Aux grands défis, les grands moyens. Bourjois n’a pas lésiné.

 
Une intericonicité manifeste

Sous réserve que le lecteur, à la culture suffisante, garde en mémoire la scène célèbre, l’attention est aussitôt captée par une intericonicité manifeste. Dans une mise hors-contexte sur fond beige uni pour écarter toute distraction, un pied féminin et une main masculine, en gros plan, se tendent simplement l’un vers l’autre. On reconnaît particulièrement leur genre à la métonymie des ongles, rouges pour le premier et ras pour la seconde. Un relief saisissant leur est donné par le contraste  entre leur carnation un peu hâlée et le halo de lumière projeté en arrière plan mais censé émaner du pied ainsi sacralisé.

Comment alors ne pas songer à deux autres mains tendues pareillement l’une vers l’autre ? C’est ainsi que Michel-Ange a peint sur la voûte de la Chapelle Sixtine au Vatican la création de l’homme par Dieu. L’acte créateur suprême y est symbolisé par deux seuls index à la rencontre l’un de l’autre : planant en majesté dans les cieux, le Tout-Puissant dresse le sien en direction de l’homme, sa créature, comme si le désigner avait suffi à lui donner sa forme. L’index d’Adam au contraire retombe, dans une métonymie du détachement et de sa définitive mise au monde sur cette planète où il vient d’échouer et qui déjà l’emporte dans l’univers.


Une image tempérée par l’humour

L’humour qui consiste à parler gravement de ce qui est léger et inversement, excuse ici, bien sûr, l’audace insensée et mégalomaniaque de la métaphore : peut-on assimiler l’acte créateur de la Genèse à celui accompli par un déodorant qui neutralise la mauvaise odeur des pieds, ou même seulement l’en rapprocher ? C’est ridicule ! N’empêche ! Par cette parenté d’images, c’est bien à une recréation que Bourjois veut faire croire. Il est vrai que l’odeur des pieds est un réel handicap social pour qui en est affligé. Les relations avec son entourage peuvent en être affectées. Et promettre de la supprimer est, à n’en pas douter, l’espoir d’une nouvelle vie, une création en somme.

En outre, selon le leurre de la flatterie qu’affectionnent les marques envers leurs clients en se disant à leur service, la position haute du pied par rapport à la main est à la fois la métonymie et le symbole de cette hiérarchie : Bourjois se présente humblement aux pieds de ses clientes. Son empressement se traduit d’ailleurs par l’alignement du pied et de la main dans la diagonale du cadre à 45 ° qui confère à l’acte (re-)créateur un élan propre à la charge culturelle de la ligne oblique qui est celle du mouvement. 

Un paradoxe 

Enfin s’ajoute un paradoxe. Ce n’est pas une bombe de déodorant que tient la main masculine : elle s’apprête au contraire à offrir aux doigts du pied féminin qui s’avancent, une bague de diamant qui brille de tous ses feux. La contradiction apparente saute aux yeux. A-t-on jamais proposé pareil bijou à des doigts de pieds ? L’énigme, en fait, qui vise aussi à retenir plus longtemps l’attention, est aisée à résoudre pour peu qu’on voie dans la bague la métaphore même du produit déodorant : son odeur bienfaisante ainsi visualisée est assimilée à la parure la plus luxueuse qui soit. Une autre  intericonicité vient alors spontanément à l’esprit : l’offre de cette bague en diamant ne fait-elle pas penser à l’acte inaugurateur de deux amants qui s’unissent ?

Ainsi la marque Bourjois, pas plus que quiconque, ne peut-elle donner à respirer un parfum par la seule médiation d’une image. Mais elle réussit à faire davantage : elle tente de faire croire au pouvoir créateur quasi divin de son déodorant et à l’éclat qu’il donne aux pieds féminins, comme le ferait un diamant. Rien décidément n’est trop extravagant pour des pieds nickel. Paul Villach 


 
 

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