Un faux blond à qui il ne manque qu’une moustache

par morice
mercredi 26 mars 2008

Chez nous, en France, politiquement, on a de beaux personnages, parfois hauts en couleur. De grandes gueules comme on dit. Des politiciens-tribuns, capables de sortir des insanités avec un aplomb pas possible, le sourire aux lèvres les trois quarts du temps, histoire de faire passer la pilule. Le phénomène touche tous les partis politiques. Deux hommes émergent ces vingt dernières années du lot : Charles Pasqua, truculent bonimenteur de pastis au départ, et responsable des pires coups tordus de la République gaullienne à l’arrivée, et Jean-Marie Le Pen toujours prêt à faire un bon mot pourvu que ce soit une idée nauséabonde. Le plus souvent, leurs saillies se terminent au tribunal, même si parfois ça prend vingt ans comme pour Charles Pasqua (condamné il est vrai pour autre chose qu’un simple jeu de mots !). D’autres prétendants au titre de député le plus imbécile frappent à la porte, et certains depuis des années déjà : Maxime Gremetz et George Frêche ne sont pas loin de prendre bientôt la place des deux premiers prétendants. Eux aussi ont déjà fait un détour par le tribunal, même si chez le second le résultat n’a pas été très (ou assez) probant. A droite, on attend les prochaines sorties de Nadine Morano dont la carrière journalistique à ce jour augure bien d’un bel avenir judiciaire. Mais, au final, nous n’avons pas encore ce qu’est en train de subir la Hollande avec un seul homme, qui menace à lui seul tout le pays depuis des mois par son attitude, ses propos... et ses menaces.

Il s’appelle Geert Wilders et fait la une de tous les journaux avec ses cheveux fournis teints en blond : l’homme a l’air d’un imbécile, mais est aussi un imbécile, qui aura réussi en fort peu de temps à mettre tout un pays dans l’embarras avec ses provocations, qui sont bien plus graves que le choix de ses cravates immondes quand il passe à la télévision néerlandaise. L’homme se dit ouvertement populiste, à savoir qu’il n’a pas d’autre programme politique que celui qui consiste à brosser le public dans le sens du poil, un poil passablement hérissé en Hollande comme ailleurs par le communautarisme et certains quartiers devenus des ghettos véritables aux yeux des Hollandais. Ce qui n’a rien de différent à ce stade d’avec la France, et c’est pour ça qu’on vous en parle.

Sa dernière trouvaille pour faire parler de lui est une catastrophe, car elle met en branle les fondements mêmes du pays, qui, comme beaucoup d’autres, à la fin de la colonisation a accueilli sur son sol des populations d’origine du Maghreb ou d’Indonésie à religion musulmane. L’homme vient en effet de menacer de diffuser un brûlot, un film montrant selon lui que le Coran est, je cite un "livre fasciste", avec moult décapitations et autres mutilations, lapidations ou pendaisons comme illustrations histoire de bien provoquer un public béat et consentant. On le voit, notre homme ne fait pas dans la dentelle de burka, c’est le moins qu’on puisse dire.

Cet ancien assistant parlementaire de Frits Bolkestein, ce faisant, se positionne dans la descendance directe de Pim Fortuyn, le fondateur d’un droite musclée néerlandaise assassiné en 2002, et bien entendu admiré par Wilders. Et, comme lui, son successeur peroxydé fait dans le populisme, dont la définition même inclus de faire appel aux plus bas instincts humains, y compris le désir de meurtre, le lynchage ou la diffamation. Depuis, Wilders, cet irresponsable, a réussi une prouesse extraordinaire : personne n’a vu la moindre image de son film sulfureux de 15 minutes, mais tout le monde en parle comme s’il l’avait déjà vu. L’inverse de Bienvenue chez les Ch’tis en quelque sorte, l’humour ravageur en moins, la folie furieuse en plus. La provocation, en Hollande, dure depuis des mois et, ce week-end, une couche supplémentaire a été ajoutée au problème Wilders avec le refus d’un fournisseur d’accès américain qui devait diffuser son film, NetWorksSolutions, de mettre en ligne le film provocateur. Le refus de NetWorkSolutions a été expliqué par la firme comme étant la suite logique de son règlement intérieur que voici :

"... material that is obscene, defamatory, libelous, unlawful, harassing, abusive, threatening, harmful, vulgar, constitutes an illegal threat, violates export control laws, hate propaganda, fraudulent material or fraudulent activity, invasive of privacy or publicity rights, profane, indecent or otherwise objectionable material of any kind or nature."

On comprend aisément la résolution de NetWorksSolutions, mais ce n’est pas si simple que cela : des petits malins ont déjà fait le tour du fournisseur d’accès et se sont rendus compte que ce dernier avait en ligne un site, dont le nom de domaine était Hizbollah.org, et était bien celui d’un libanais affichant "The Home Page Of The Representative Of The Imam Khamenii In Lebanon" et qui est bien celui de Sayyed Hassan Nasrallah, le leader effectif du Hezbollah ! L’affaire se complique sérieusement car le moins que l’on puisse dire c’est que les déclarations de notre homme ne sont pas pour la paix dans le monde, loin de là, Nasrallah prônant la disparition pure et simple de l’Etat d’Israël ! Ce qui est effectivement bien en évidence sur le site... du "Parti de Dieu". Tout un programme, effectivement !

Wilders joue donc sur du velours, avec cette révélation de plus, car on trouvera toujours quelque chose pour expliquer que lui-même est déjà un martyr et que s’il n’est pas diffusé c’est à cause obligatoirement d’un "lobby islamique", terme qui en rappelle un autre de sinistre mémoire. Un Wilders qui a déjà subi des menaces de mort, que l’homme a tout intérêt à révéler s’il veut garder son statut de provocateur-né. Depuis l’assassinat du cinéaste Theo Van Gogh, le 2 novembre 2004, par un jeune islamiste avéré, les autorités néerlandaises sont en effet sur leurs gardes, et Wilders les attise pour se faire encore davantage de publicité. La provocation chez lui ne s’arrête donc pas à la couleur des cheveux : tout lui est bon pour faire parler de lui, à défaut d’expliquer clairement ses ambitions politiques qui demeurent floues.

Heureusement, des gens, en Hollande comme ailleurs, veillent. Parmi ceux-ci... des juifs, qui voient dans l’attitude de Wilders des relents de fascisme, sinon un fascisme évident avec cette façon de provoquer et d’attiser la haine entre les peuples. Harry de Winter, le directeur du De Volkskrant, a bien vu à qui il avait à faire : "si Wilders avait dit sur les juifs (et l’Ancien Testament) ce qu’il débite maintenant sur les musulmans (et le Coran), il y a déjà longtemps qu’on l’aurait envoyé promener et qu’il aurait été condamné pour antisémitisme", a-t-il déclaré sans hésiter. Condamner pour anti-islamisme n’a semble-t-il pas encore la même place aux yeux des populations que la façon de s’enflammer pour le moindre heurt avec la communauté juive ou la moindre atteinte à la souveraineté d’Israël. A moins d’un holocauste, ce n’est pas encore demain la veille que ça se produira. Certains pourtant l’évoquent depuis des années, en demandant par exemple qu’une commission internationale examine ce qui s’est vraiment passé lors de la reprise par les Américains de Falloujah, devenu bastion islamiste dur, où le phosphore, le napalm et les exécutions sommaires ont eu lieu sur place. Amnesty international était alors intervenu en vain. C’est à Fallouhjah que deux mercenaires de Blackwaters tués avaient été exhibés carbonisés et dépecés par la population folle furieuse qui en avait accroché les restes aux montants d’un pont d’acier. Dans l’indifférence générale et dans la chape de plomb de la propagande télévisuelle américaine. Parmi les insurgés de Fallouhjah, on retrouve parfois de tout, y compris des islamistes... belges qui racontent leur parcours et les combats à l’intérieur du quartier de Bagdad. Saura-t-on pour autant un jour ce qui s’est réellement passé à Fallouhjah, rien n’est moins sûr.

Wilders, lui, est xénophobe et ne s’en cache aucunement. Une xénophobie et un racisme évident, devenus islamophobie pour encore davantage marquer les masses. Selon lui, en effet, l’islam relève d’une « culture arriérée » et il est « incompatible avec la démocratie  »... or ces mots ne sont pas anodins. Ce sont EXACTEMENT ceux qu’a écrit il y a plus de deux décennies maintenant Bernard Lewis, un Anglais, et repris par Samuel Huntington, un Américain auteur d"une thèse hasardeuse intitulée Le Choc des civilisations et qui sert depuis 2001 de viatique à tous les néo-cons qui dirigent aujourd’hui l’Amérique. Une théorie qui plaît même à certains de nos lecteurs semble-t-il, et qui a servi d’excuse à l’intervention en Irak. L’Amérique est en croisade, a-t-on entendu ici et là depuis 2001. Chez Wilders, c’est tout aussi grave, car l ’implication de ce qu’il prône va aujourd’hui à l’encontre des intérêts américains et hollandais en Afghanistan, et c’est bien là tout le paradoxe actuel. En effet, le responsable même de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer, un Hollandais justement, a écrit à Wilders pour lui exprimer ses craintes de la diffusion de son film auprès des 1 665 soldats néerlandais, en mission en Afghanistan. Ces derniers risqueraient gros, alors que leur groupe est un de ceux qui réussit le mieux sur le terrain, au point où certains soldats hollandais se promènent aujourd’hui sans casque dans les villages comme le notait un très bon article du New York Times. Des responsables hollandais qui expliquent pourquoi ça marche avec eux : "The central idea is that if foreign military forces show restraint and respect, and help the local government to govern, then these areas will expand, slowly but persistently, like an oil stain across a shirt. As they grow, the theory says, the Taliban’s standing will decline". L’approche hollandaise est en effet toute différente de celles des Américains sur place : "dutch commanders say they also draw from their army’s experiences in southern Iraq from 2003 through 2005, where similar tactics were used. They say their units had better relations with Iraqis, and faced less fighting, than did American units. Civilian deaths and property damage caused by American tactics in Iraq and Afghanistan, they said, have hardened villagers’ attitudes, which helps the insurgents with recruiting, intelligence and protection".

Wilders, en dix minutes, ruinerait ainsi cinq ans d’approche des populations locales, cinq années de travail risqué pour ne plus passer pour des envahisseurs, mais des soldats pouvant aider véritablement les populations à combattre les Talibans. Les Hollandais sont à part depuis le début de leur intervention en Afghanistan, et se sont d’ailleurs une bonne paire de fois heurtés au commandement américain qui n’est pas partisan de leur approche faite de respect mutuel et d’échanges fréquents avec les populations. Les Hollandais, pourtant, conclut le New York Times étaient en passe de réussir là où les Américains ont échoué ! Et Wilders de tout mettre par terre, car sa réponse au commandant de l’Otan a été à la hauteur de l’illuminé qu’il est : « le cabinet peut se courber et s’incliner devant l’islam. Moi, jamais je ne capitulerai ». Après lui, le déluge, la vie de ses propres ressortissants et de ses soldats n’est visiblement pas son problème. Seule compte son islamophobie.

Un homme seul peut-il mettre autant en danger les soldats d’une nation qui font sur place un travail admirable, tout le monde s’accorde à le dire. Oui, semble-t-il, car cet homme est un diviseur, qui ne souhaite diviser que pour régner. Ses propos sur l’islam ne sont qu’un prétexte à sa folie. Mettez-lui une moustache et une mèche sur le front, vous retrouverez quelqu’un de connu.


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