Un jugement de Salomon au temps des empereurs gaulois
par Emile Mourey
jeudi 3 mars 2011
Lorsque j'ai présenté à un archéologue de mes connaissances mes premières études sur la Gaule, notamment celle où je remettais en question la localisation de Bibracte, il m'a déclaré très franchement qu'il me faudrait bien trente ans pour arriver à convaincre la communauté scientifique. Cela fait plus de trente ans et j'en suis toujours au même point. Il m'arrive de rêver que je me rends au siège du ministère de la Culture et que je secoue Frédéric Mitterrand en lui prenant les épaules et en lui criant : « Réveillez-vous, que diable ! » Et puis, je me rendors.
I. Rappel biblique
Portant cuirasse et manteau, coiffé de la couronne radiée aux cinq rayons solaires des empereurs du III ème siècle, un nouveau Salomon au visage de David trône sur un siège monumental aux accoudoirs de dragons, symboles des forces telluriques qui agitent le monde (cf. ci-après décor moulé en fer en forme de plaque de cheminée).
A sa droite, une femme est à ses pieds et l'implore. A sa gauche, une autre femme est debout, l'épée au côté. La scène évoque le célèbre jugement de Salomon que la Bible rapporte et dont voici le résumé.
La première femme dit à Salomon : « Seigneur ! moi et ma compagne, toutes deux prostituées, vivons dans la même maison. J'ai accouché d'un garçon et trois jours après, ma compagne a également accouché d'un garçon. Or, pendant la nuit, cette dernière a étouffé le sien en se couchant sur lui. Alors, elle m'a pris le mien pendant mon sommeil et elle a placé auprès de moi l'enfant mort. Quand je me suis réveillé, je voulus l'allaiter, et voilà qu'il était mort. Mais au matin, quand le jour se leva, je m'aperçus que ce n'était pas celui dont j'avais accouché. »
La deuxième femme lui répondit : « Non ! ton fils est celui qui est mort. Mon fils est celui qui est vivant. » (L'enfant mort a été représenté en bas, couché sur les dalles de pierre).
Salomon se tourna vers ses soldats et leur dit : « Prenez l'enfant qui est vivant et préparez-vous à le couper en deux, de façon à satisfaire ces deux femmes. » Mais la première femme, aussitôt, s'exclama : « Non ! ne faites pas cela ! Donnez l'enfant à cette femme. » Quant à celle-ci, mettant sa main entourée d'un serpent sur le pommeau de son épée, elle s'écria : « Tuez l'enfant ! ».
Alors, Salomon jugea : « Donnez, dit-il, l'enfant vivant à cette femme qui se trouve à ma droite, car c'est elle la véritable mère. »
II. Explication géographique
La colonne. Les Actes de saint Marcel nous apprennent qu'en l'an 177, à deux mille pas de la ville, se trouvait le sanctuaire d'Ammon, le dieu d'Egypte ; sa statue toute en verre couronnait le faîte d'une colonne. Ce vestige païen n'existe évidemment plus de nos jours mais il est intéressant de constater qu'au III ème siècle, sa base était toujours là, le sanctuaire d'Ammon étant bien entendu notre castrum.
Le palais de l'empereur. Difficile de s'imaginer cette scène de jugement dans une des petites pièces du castrum. En revanche, tout s'explique si nous la situons dans une construction à laquelle les archéologues ont donné le nom de "villa de la vigne aux saules" et dont ils ont mis au jour les importants vestiges lors de la construction de l'autoroute A6.
Le temple de la ville de Chalon. Comme de juste, le temple de Chalon apparaît à gauche de la tour et plus loin. S'agit-il déjà de notre cathédrale de Chalon-sur-Saône mais évidemment sans les tours-clochers et contreforts qui lui ont été rajoutés plus tard ? Bien qu'on y voie un oculus pouvant préfigurer la rosace actuelle, le bandeau horizontal de la façade et ses deux portes d'entrée jumelles me conduisent toutefois à penser qu'il ne s'agit là encore que d'un projet de construction, notre cathédrale actuelle ne présentant qu'une seule entrée monumentale.
III. Explication sociologique
Quel est cet empereur au visage de David qui rend ainsi la justice ? Seul Posthumus satisfait au contexte historique d'un empereur puissant régnant à Chalon. Le problème est que notre
Or donc, si dans ce tableau, Salomon est en réalité le jeune empereur Salonin, que représentent ces femmes sinon des populations comme nous l'avons vu dans mon précédent article ? Que représentent ces garçons nés d'elles sinon des conseils que ces populations ont élus ? On devine le problème qui s'est posé. Des deux conseils, quel était celui qui devait gouverner la cité ? A quel endroit devait-il-il siéger ? Dans l'ancien castrum comme par le passé ou dans la nouvelle ville ? Etc... etc...
Ce problème est exactement le même que relate Flavius Josèphe lorsque la question s'est posée au sujet du conseil galiléen. Fallait-il qu'il continue à siéger à Séphoris ou fallait-il qu'il descende dans la nouvelle ville de Tibériade ?
IV. Explication politique
Nous sommes à un tournant de l'histoire de la Gaule qui se joue à Chalon-sur-Saône. Sur la hauteur de Taisey, il y a l'oppidum de la tradition et les habitants plutôt pro-romains partisans du statu quo. Au bord de la Saône, il y a une agglomération en pleine expansion et des habitants en partie nouveaux venus, partisans du changement.
La première vit au pied de la tour de Taisey. L'enfant/conseil romanophile qu'elle a enfanté est mort. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela. L'enfant/conseil judaïque enfanté par la ville de Chalon, lui, est bien vivant. La population romanophile demande à Posthumus que le conseil en exercice de la ville de Chalon, bien que judaïque, vienne siéger, conformément à la tradition, dans la chambre haute de la tour de Taisey. Bien qu'elle ne soit pour rien dans la naissance et la formation de ce conseil, elle dit : « C'est mon conseil (puisque c'est celui de Chalon), c'est mon enfant. » Mais les nouveaux habitants de la ville implorent l'empereur et lui disent : « C'est nous qui avons enfanté ce conseil. Cet enfant est le nôtre, il doit donc siéger dans la ville. »
Salonin et Posthumus, eux, ne cèdent pas. Salonin étend son sceptre vers la partie romanophile de son armée pour lui interdire de pourfendre l'enfant (étonnant légionnaire aux hautes bottes). Il retient la lance de l'autre partie de l'armée qui lui est fidèle. Et il rend le jugement suivant : « Que le nouveau conseil siège en ville de Chalon, au milieu de la population qui l'a élu. »
Ensuite, après la mort suspecte de Salonin, Posthumus, devenu empereur, quittera sa villa de la Vigne-aux-saules et il viendra habiter en ville de Chalon, dans un palais, à côté de sa basilique.
Note 1.
Pour répondre à Antenor qui repose la question : qui a construit le temple de Chalon devenu la cathédrale ? Je réponds : l'empereur Posthumus. Avant qu'il règne, ce tableau montre que le bâtiment n'en était qu'à l'état de projet. Mes médaillons précédents - qui sont une satire dirigée contre lui et son César - montrent qu'il était construit à cette époque puisque sa nef latérale voûtée y est représentée.
Note 2