Un magistral coup tordu

par Jean Dugenêt
jeudi 22 août 2019

 Nous avons vu, dans un article précédent intitulé « Le Président des milliardaires », comment Emmanuel Macron, toujours soucieux de se faire bien voir par les puissants, a réussi, au moment où il était banquier, à se faire admettre dans un club de trois milliardaires : Bernard Arnault, Xavier Niel et David de Rothschild. Le couple des Macron a d’ailleurs des relations suivies avec Xavier Niel et sa compagne Delphine Arnault, la fille ainée de Bernard Arnault. Peu de temps après être entré à l’Elysée comme secrétaire adjoint, il va devenir intimement complice avec un quatrième milliardaire : Patrick Drahi. Il va pour cela manœuvrer en organisant un magistral coup tordu. C’est ce que nous allons vous raconter maintenant en commençant, à l’instar de ceux qui écrivent des romans, par présenter les personnages qui vont intervenir dans l’intrigue.

 Dans cette affaire, le principal gagnant va être Patrick Drahi, un très riche homme d’affaire français assez énigmatique. Il est exceptionnel à plus d’un titre et notamment parce qu’il est surendetté ce qui est très rare pour un homme riche. C’est un israélien d’origine marocaine. Il vit en Suisse et planque son fric à Guernesey. Il a aussi un passeport portugais. En fait, comme tous les personnages de son acabit sa vraie patrie c’est le fric. Ses enfants étudient à Bristol, Genève et Tel-Aviv. S’il est néanmoins français c’est bien en tant qu’homme d’affaire. Il est classé comme ayant la 10ème plus grande fortune française par la revue Challenge. Personne ne précise comment sont évalués ses dettes et le fric qu’il planque

 Le montage financier de ses affaires est un modèle du genre pour qui veut échapper au fisc. En termes plus orthodoxes, c’est un best off de l’optimisation fiscale. En voici la description donnée par le Huffington Post du 14 mars 2014 :

 « Derrière les dizaines de sociétés qu'il possède, Patrick Drahi a mis en place une structure performante pour diriger. Son nom : Altice, une holding de droit luxembourgeois, cotée à la Bourse d'Amsterdam (oui, on voyage beaucoup avec Patrick Drahi) et dont il détient 75%. Cette participation ultra-majoritaire est supportée par sa propre holding, elle-même hébergée à Guernesey. Moins connu que Jersey, c'est un paradis fiscal situé dans les îles anglo-normandes britanniques ».

 Alors que la plupart des grosses fortunes négocient leurs impôts avec Bercy, Patrick Drahi entend bien ne rien payer sans même avoir à négocier. Et, il ne s’en cache pas. Il a expliqué devant la commission des affaires économiques du sénat, le mercredi 8 juin 2016  : « quelqu’un qui optimise sa fiscalité, c’est quelqu’un de malin ». Et, les sénateurs n’ont rien trouvé à y redire

 Vous l’aurez compris : il est non seulement énigmatique et exceptionnel mais aussi obscur, étrange et même un peu louche. Il nage en eaux troubles dans des affaires risquées et suspectes.

 Il fait fortune en France, puis à l'étranger grâce à une technique particulière de gestion d'investissements qu’on appelle LBO (leveraged buy-out). Il s’agit de s'endetter fortement pour acheter une entreprise puis la restructurer pour en augmenter les profits afin de rembourser les emprunts. Ces opérations financières « acrobatiques » inquiètent certaines banques mais elles semblent, pour l’instant, lui avoir réussi. Le discours qu’il tient aux banques est simple. En clair voilà ce que signifie LBO. Il dit : je rachète une affaire qui n’est pas en très bon état et, dès que j’aurai les rênes, je pourrai faire d’énormes économies de gestion : plan drastique de suppression de personnel, remise en cause des réglementations… Dans ces conditions l’entreprise va rapidement devenir très rentable et je pourrai vous rembourser. Et, en effet, derrière lui, beaucoup d’employés souffrent mais aussi les fournisseurs, puisqu’il se permet, en toute illégalité, de cesser de les payer pour ensuite négocier avec eux des remises. Les techniques illégales ne l’effraient vraiment pas puisqu’il est sous le coup d'un redressement fiscal. Depuis le 17 février 2014 Bercy lui demandait 36,3 millions d'euros. « Cette somme représente la TVA impayée par le câblo-opérateur entre 2006 et 2010 ainsi que des charges de prestations de services contestées », précise l’Express de mars 2014. C’est carrément du vol puisqu’il fait payer de la TVA à ses clients et la garde pour lui. Nous ne savons pas si cette dette a été réglée depuis ni où en sont ses démêlés avec la justice à ce sujet.

 Dès 2002, il mise tout sur le secteur du câble et détient vite 99 % des réseaux câblés de France avec son entreprise Numericable. Qu’une entreprise ait ainsi une situation de monopole privé n’est assurément pas sain.

 Nous l’avons classé, dans notre article « Qui dirige la France ? », parmi les 15 personnes qui sont les véritables dirigeants du pays parce que le domaine médiatique qu’il possède est énorme. Son groupe SFR Presse chapeauté par Altice contrôle en effet à l’heure actuelle : les journaux Libération, l’Express, l’Expansion, Stratégie, Studio Cine Live, Lire, Mieux Vivre Votre Argent, Classica, Pianiste ; les revues professionnelles spécialisées Mesures, Électroniques, Point Banque, La Revue des Collectivités Locales, IT for Business ; la chaine d’information israélienne i24news dont Patrick Drahi détient 85% via sa société Altice IV SA elle-même détenue par la société panaméenne Jenville SA (Tout va bien !) ; les chaînes thématiques françaises comme Vivolta, Shorts TV, Kombat Sport, Ma Chaîne Sport (MCS Extrême, MCS Bien-être, MCS Tennis, MCS International). En juillet 2015, il s’est rallié à Alain Weill pour racheter les chaînes BFM-TV, RMC Découverte et BFM Business ainsi que la station de radio RMC. Il avait auparavant commencé par financer la chaîne de télévision i24news en Israël.

 Il reste discret sur ce qui concerne la politique d’Israël mais il est à l’évidence sioniste. L’ineffable Bernard-Henry Levy n’a pas manqué de lui manifester son soutien. Il s’est fendu d’un éloge dithyrambique dans une allocation le 18 mars 2015, à l’occasion de la remise à Patrick Drahi du Prix Scopus de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Il trouve formidable que celui-ci soit un homme très secret dont on ne sait pas grand-chose et, quand il n’a rien à dire, Bernard-Henry Levy parle beaucoup pour vanter les mérites des exploiteurs. Quel grand philosophe ce BHL !

 Le deuxième personnage qu’il nous faut présenter s’appelle Bernard Mourad. Emmanuel Macron a fait sa connaissance alors qu’il était encore dans la « Commission Attali » et cherchait à s’orienter vers les banques. Il s’est présenté chez Morgan Stanley avant d’entrer chez Rothschild. Pour être plus précis sur les circonstances de leur rencontre nous allons citer un article de Sophie Des Déserts paru dans le numéro 64 (décembre 2018-janvier 2019) de "Vanity Fair France" sous le titre  : « Frères d’armes : Bernard Mourad, le banquier qui n’épargne rien à Emmanuel Macron. » Cela permet de voir que Bernard Mourad est bien placé pour faire le lien entre Emmanuel Macron et Patrick Drahi puisqu’il connaît les deux hommes et en plus il connaît aussi Xavier Niel. Il s’agit de tout un petit monde étroitement connecté.

 « Lui, (Bernard Mourad) le double diplômé Sciences Po-HEC, brille au bureau parisien, après des débuts remarqués à Londres dans les télécommunications. À son actif, quelques jolis « deals », comme le rachat de l’opérateur Alice pour Xavier Niel, et une relation privilégiée avec un client alors peu connu mais vorace, Patrick Drahi, le patron de Numericable, déjà propriétaire de 99 % du câble français. Le polytechnicien a vite repéré Bernard, ce banquier futé dont il apprécie la chaleur méditerranéenne, héritée d’une mère juive de Casablanca, comme lui, et d’un père libanais. Les racines levantines sont là, bien ancrées dans le cœur de cet enfant né à Beyrouth, exilé à 2 ans, en pleine guerre, à Issy-les-Moulineaux ; tête de classe, toujours, pour honorer papa, resté au pays sous les bombes.

 Peu à peu, Drahi l’embarque dans ses conquêtes et lui confie ses montages financiers au côté d’un autre virtuose de son écurie, l’Américain Dexter Goei. Il l’invite dans sa maison au bord du lac Léman, lui présente sa famille, propose de l’embaucher dans son groupe à Genève. Mais le jeune homme a préféré rester à Paris, chez Morgan Stanley, où il continue de s’occuper des affaires de Drahi.

 Ce printemps 2008, il fait passer un entretien d’embauche à un jeune énarque nommé Macron, qui se présente avec son sourire du bonheur et son blazer mal coupé. "On sympathise tout de suite, se souvient Mourad. Je lui dis qu’il va perdre son temps dans une banque américaine où il démarrerait en junior. Je lui conseille d’aller plutôt quelques mètres plus loin, chez Rothschild, où s’épanouissent nombre d’anciens de l’inspection des finances." Quelques semaines plus tard, Mourad reçoit un SMS de remerciement : Macron est entré chez Rothschild. »

 Afin de décrire leur relation, nous allons maintenant citer l’article d’Anthony Verdot-Belaval intitulé : « "Mon lapin", "ma poule" : les drôles de SMS entre Emmanuel Macron et son ami banquier. Une histoire qui débute en 2008 ». Cet article est paru dans Gala le 21 novembre 2018 c’est-à-dire plus d’un an après l’élection présidentielle. Bernard Mourad a alors rejoint depuis septembre 2018 « Bank of America – Merril Lynch » en tant que directeur du siège parisien. Il a eu à traiter la cession d’Alstom à General Electric et il a maintenant dans ses dossiers la privatisation de « aéroports de Paris ADP ». Bref ! il participe maintenant à tous les sales coups d’Emmanuel Macron. Mais contentons-nous pour l’instant de citer l’article en question :

 « Le Président de la République Emmanuel Macron et le patron de Bank of America France, Bernard Mourad, sont amis depuis de nombreuses années. Le banquier a eu un grand rôle dans la carrière du chef de l’Etat.

 C’est une relation du passé. Un ami du temps où « Manu » était encore banquier. Bernard Mourad, 43 ans, nouveau patron de Bank of America en France, est l’un des plus fidèles compagnons de route d’Emmanuel Macron. Pour ne pas dire l’un des plus anciens et atypiques. Un statut qui lui permet (toujours) de dire la vérité au président de la République. Qu’elle soit « cash », voire même « insultante  ». Bernard est libre car il n’a pas souhaité faire partie intégrante de la Macronie. Bernard connait le Tout-Paris, des financiers aux journalistes en passant par les grandes fortunes. Bernard est aussi politique et politisé, dévoué durant la campagne à son ami d'En Marche  ! Il a donc des idées très arrêtées et les partage, bombardant de SMS – sur messagerie sécurisée – le chef de l’Etat. Les sujets sont divers : business, politique intérieure ou visites à l’étranger. Les accroches sont familières, avec mots tendres à la clé : "mon lapin", "forza", "ma poule", "love u" … »

 Venons-en maintenant à l’affaire qui nous intéresse. Plus exactement d’ailleurs deux affaires sont en cours : celle de la reprise de la filiale télécom SFR de Vivendi et celle du journal « Libération ».

 L’affaire de la reprise de SFR que Vivendi abandonne est de première importance. Il n’y a que quatre opérateurs mobiles de réseaux en France : Orange, SFR, Bouygues et Free. En fait, France Télécom a été scindée en quatre parts et l’une d’elle reste une entreprise de l’Etat. Elle s’appelle maintenant Orange. La décision appartient à l’état français de désigner les trois personnes ou sociétés qui se partagent le reste du gâteau et l’état garde un droit de regard sur les gestions de ces trois opérateurs avec l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes) qui est chargée de veiller à une concurrence saine entre les quatre. Cependant, dans le cas d’une reprise, vendeur et repreneur doivent se mettre d’accord puis l’état doit donner son autorisation. L’exemple des télécoms est particulièrement illustratif du fait que la fortune de plusieurs milliardaires dépend, en partie, ou entièrement, des commandes de l’état tout comme tout ce qui concerne l’armement.

 Pour la reprise de SFR, deux candidats sont en compétition : Bouygues ou Patrick Drahi. Arnaud Montebourg qui est alors Ministre de l’économie et du redressement productif semble être celui à qui il appartient de faire le choix. Or, il préfère Bouygues ce qui d’ailleurs ramènerait à deux le nombre d’opérateurs privés.

 Il se fait peut-être encore quelques illusions sur les qualités de « socialiste » du président François Hollande car il craint une nouvelle vague de licenciements si c’est Patrick Drahi qui emporte le marché. C’est en effet, comme nous l’avons vu, une pratique courante après chacune de ses acquisitions. De plus, il a l’intention de faire payer un peu d’impôts à Patrick Drahi. Voici ce qu’il déclare sur Europe 1 le vendredi 14 mars 2014 (voir sur YouTube la vidéo intitulée : « Arnaud Montebourg, invité d’Europe 1  » :

 « Il y a un problème fiscal, puisque Numericable (l’entreprise de Patrick Drahi) a une holding au Luxembourg, son entreprise est cotée à la Bourse d’Amsterdam, sa participation personnelle est à Guernesey, dans un paradis fiscal de sa Majesté la Reine d’Angleterre, et que, par ailleurs, lui-même est résident en Suisse. Donc va falloir que M. Drahi rapatrie l’ensemble de ses possessions, biens, à Paris, en France. Et donc, nous avons des questions fiscales à lui poser ! »

 Bref ! Arnaud Montebourg semble vouloir négocier avec Patrick Drahi comme avec les autres grandes fortunes pour lui faire payer des impôts. Par ailleurs il reproche à Patrick Drahi sa pratique du LBO et il s’inquiète du surendettement de Patrick Drahi lié à cette technique. Il déclare sur Europe 1 : « Numericable est une petite entreprise par rapport à ce qu'est SFR. C'est une entreprise de cinq milliards qui s'endette à hauteur de dix milliards pour acheter plus gros que lui. Quand on a les yeux plus gros que le ventre, on risque de se mettre en danger ». Il s’inquiète aussi de la position de monopole de Drahi dans le câble puisqu’il n’a pas de concurrence. Cela fait en effet bien des arguments qui justifient pleinement qu’Arnaud Montebourg préfère Bouygues.

 Mais, il faut garder à l’esprit qu’il y a une deuxième affaire qui préoccupe François Hollande : le rachat du quotidien « Libération ». Petite affaire puisque le montant est mille fois inférieur à celui demandé pour SFR. Mais l’affaire est sensible et François Hollande tient à ce que le titre soit repris. Emmanuel Macron joue alors pleinement son rôle de conseil aux côtés de François Hollande. Le contact avec Patrick Drahi est assuré par l’intermédiaire de son ami Bernard Mourad. Finalement François Hollande, conseillé par Emmanuel Macron, accepte la reprise du quotidien par Patrick Drahi, conseillé par Bernard Mourad.

 Soudainement, la situation change pour la seconde affaire. C’est maintenant Patrick Drahi qui est préféré au détriment de Bouygues pour le rachat de SFR. Il y aurait-il une relation de cause à effet entre les deux affaires ? Les deux conseillers ont-ils continué à agir pour cette seconde affaire ? Il est fort probable que les deux conseillés aient globalisé les deux affaires pour que François Hollande accepte le deal. Quoi qu’il en soit, le journal « Les Echos » rapporte que « L’Elysée ne s’opposera pas à la vente par le géant Vivendi de SFR à Numericable ». La vente sera actée le 5 avril 2014 entre Vivendi et Numericable. En effet, Vivendi le vendeur s’était entre temps prononcé en faveur de Patrick Drahi. Mais, le feu vert de Bercy restait nécessaire suite au décret sur les investissements étrangers, signé le 14 mai 2014, précisément, par Arnaud Montebourg. Ce décret soumet à l’approbation de Bercy tout rachat dans les télécoms. La solution simple pour François Hollande et Emmanuel Macron est de changer le ministre de l’économie. Finalement, Arnaud Montebourg doit ravaler sa salive et aller voir ailleurs. Il est remplacé le 26 août 2014 sur son poste de ministre par Emmanuel Macron. Il n’y a donc plus de problème pour que l’autorisation de Bercy soit donnée. Emmanuel Macron signe le décret le 28 octobre 2014. Circulez Monsieur Montebourg, il n’y a rien à voir ! Voilà ce qui arrive quand on veut faire payer des impôts à ces gens-là ! Cette information a été commentée dans plusieurs journaux notamment dans « Le Point » et « Ouest-France ». Du point de vue d’Emmanuel Macron, c’est donc un succès complet puisque l’important pour lui était de s’assurer l’appui, le soutien voire la sympathie de ce milliardaire et « l’effet de bord » qui lui assure un poste de Ministre lui convient également d’autant plus qu’il sait qu’il est déjà « en marche » pour gagner les présidentielles.

C’est en effet probablement au moment où se traitait cette reprise de SFR que les milliardaires ont décidé de faire d’Emmanuel Macron le prochain Président de la République.

 


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