Un Monde Global Mafiosé

par George L. ZETER
jeudi 30 novembre 2017

Récemment je regardais quelques épisodes de la série italienne "Gomorra", et cela me sauta aux yeux, que notre monde capitaliste se comporte tel le dernier des cartels mafieux, d'Europe ou d'ailleurs. Contrôler un territoire, toujours vendre plus, augmenter ses marges, trouver des nouveaux clients et les accrocher/fidéliser, racheter ou éliminer la concurrence. Exploiter des employés/dealers jetables, corvéable. D'ailleurs comme à Naples où la Camorra emploie des gamins encore mineurs, les Apple et autres "High Tech" font de même chez Foxconn en Chine. Toujours plus de blé, en s'en foutant comment il pousse.

Les clients Apple sont aussi peu concernés par ces ados bossant 60 heures par semaine, que ces clients de dealers, bien souvent adultes, plutôt aisés, (la coke), qui s'en contrebalance de ces Minos ayant quitté l'école dès leur 14 ans... Tout ça est dans la même logique, un monde binaire fait de deux couleurs : la blanche pour les profits, la noire pour le pouvoir et le contrôle.

En amont les grands groupes, en aval les consommateurs. Depuis 30 ans le nombres de géants financier/industriels a diminué, ou plutôt est devenu une poupée russe, où tout s'emboite, tout se raccorde et s'interconnecte. De l'autre, une multiplication du potentiel de consommateurs ; que ce soit dans les pays occidentaux où la frénésie dépasse l'achat compulsif, il y en a même qui doivent aller en des clubs tels les AAA pour se désintoxiquer, et les pays du tiers monde qui eux aussi connaissent cette frénésie, mais avec comme produits d'appels nos vieux rogatons mis au rebuts chez nous par la dernière mode d'occident. Une planète frénétique, qui ne vit plus, mais produit/consomme et non pas l'inverse... Cette frénésie m'a fait penser à ces chalutiers qui avec leurs filets lestés raclent le fond des océans. Ils ramènent à la surface absolument tout, puis on trie, et on rejette à la mer plus de 50% de poisons morts qui n'ont pas passé le casting ; apte au service, direct l'étalage.

Les "héros" de cette série "Gomorra" ne sont pas plus cyniques et violents qu'un PDG du CAC40 ; les "managers" mafieux, eux vont au bout de la logique : "tu a faux, tu meurs !" Dans le petit monde feutré des sièges sociaux, c'est le meurtre en sourdine, le harassement, les brimades qui souvent se terminent en suicide, dépression.

Dans le journal Le Monde : "Les camorristi sont des vrais samouraïs du libéralisme. Ils se considèrent comme des entrepreneurs et leur modèle est celui d'une entreprise qui doit se développer sans limites dans un contexte mondialisé. C'est pour cela que la Camorra n'est plus un phénomène simplement napolitain. Elle a gangrené l'Italie et maintenant se développe beaucoup à l'étranger, y compris en France. Son modèle d'ailleurs est très différent de celui de la Mafia sicilienne, qui essaie toujours d'infiltrer le monde de la légalité et le pouvoir politiques. La Camorra ne pense qu'aux affaires."[1]


Il est à souligner aussi le jumélité du style de vie de ces deux mondes : Un mafieux de haut vol tel un PDG se déplace en voiture avec chauffeur, craint de se faire kidnapper, utilise des hélicos et jets privés pour changer de ville ou de continents, ne vit pas dans une seule demeure mais dans de nombreuses propriété disséminées autour du globe. Le VIP de notre monde ressemble à s'y méprendre à un King du crime.

Dans son livre sur la mafia camorra de Naples Roberto Saviano décrivait très bien le glissement de nos sociétés qui chaque jour se criminalisent. Tout à chacun sans le savoir donnons notre écot à ces organisations criminelles ; un teeshirt fabriqué en un pays corrompu par "sa" mafia locale vendu au supermarché pour moins de 10 euros, des aliments frelatés payés au prix du bon, des imitations de "marques" et beaucoup d'autres mafioseries. Chaque année depuis la seconde guerre mondiale est injecté dans l'économie "propre", les bénéfices de l'économie souterraine/sale ; et c'est en centaines de milliards. Donc, les organisations criminelles ont compris depuis longtemps qu'il fallait recycler... leurs bénéfices en achetant, des commerces, des usines, des actions boursières, de l'immobiliers, des infrastructures publiques et même dans le cinéma, la chanson et les arts.

Nos "démocraties" ne tiennent plus ; ce sont les multinationales et les banques qui gouvernement, la main dans la main avec les mafias de toutes couleurs : Italiennes, Russe, Chinoise, Japonaise pour les plus connues. Au centre, "le citoyen", qui lui est happé par ces deux pôles. Il en résulte une déliquescence totale de principes humains et sociaux ; plus aucune éthique. Marcher sur l'autre ou être piétiné.

Pourtant, pourtant...

Connaissez-vous le Darwinisme social ? Pourtant notre civilisation donne le vent en poupe à cette théorie. Mais qu'est-elle ?

"Le darwinisme social considère que la lutte pour la vie entre les êtres humains est l'état naturel des relations sociales et que les conflits sont aussi la source fondamentale du progrès et de l'amélioration de l'être humain. Ainsi, la concurrence entre les êtres ou groupes humains ne doit pas être entravée par des obstacles comme les mesures de protection sociale et d'assistance de l'Etat Providence, la solidarité ou la charité. Ses partisans prônent la non intervention dans la lutte pour l'existence, afin que la sélection naturelle favorise la survie des "plus aptes" et l'élimination des "moins aptes".[2] Si, vous ne voyez pas dans notre aquarium sociétale la confirmation de ce qui est écrit plus haut, c'est que vous souffrez de maladie de déni aiguë. On y est en plein, non ? Pourtant d'autres théories, surtout une, me parait intéressante : "Le primatologue néerlandais-américain Frans de Waal, qui a étudié au début du XXIe siècle le sentiment d'empathie chez les animaux, en déduit que le darwinisme social « est une interprétation abusive : oui, la compétition est importante dans la nature mais, on l'a vu, il n'y a pas que cela. (...) Nous sommes aussi programmés pour être empathiques, pour être en résonance avec les émotions des autres."[3]

Je pense que nos société se divisent entre ces deux visions : "loi de la jungle" = le plus fort gagne et les autres se soumettent contre empathie = protection des plus faibles, des moins doués... Et devinez qui gagne ?

Georges Zeter/novembre 2017

GOMORRA de Roberto Saviano. Ed. Gallimard, 362 p.


[1] http://www.lemonde.fr/livres/article/2007/10/18/roberto-saviano-le-pourfendeur-de-la-camorra_968220_3260.html

[2] http://www.toupie.org/Dictionnaire/Darwinisme_social.htm

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Darwinisme_social


Lire l'article complet, et les commentaires