Un proscrit nommé Poutine
par Lucchesi Jacques
vendredi 24 mars 2023
Vladimir Poutine visé par un mandat d’arrêt émis par la CPI : l’annonce pourrait faire sourire si elle n’actait pas, à l’échelon international, sa situation de dirigeant hors la loi.
Vendredi 17 mars, la Cour Pénale Internationale de la Haye (CPI) a donc émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, pour crimes contre l’humanité. D’un crime en particulier, puisque c’est pour la déportation de plusieurs milliers d’enfants ukrainiens vers les territoires russes que le maître du Kremlin fait l’objet de cette sanction. Avec lui est également inculpée la commissaire russe aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova. Concrètement cela signifie que ces deux personnalités pourraient être arrêtées et déférées à la Haye pour y être jugées si elles venaient à se trouver dans l’un des 123 états (sur 193) qui reconnaissent le pouvoir de cette juridiction – ce qui n’est pas le cas, bien sûr, de la Russie, pas plus d’ailleurs que celui des USA.
Ces arrestations semblent, évidemment, très improbables, surtout dans le contexte actuel. On est encore très loin d’être à l’heure du bilan dans le conflit russo-ukrainien et Vladimir Poutine sait parfaitement où il peut se déplacer en toute impunité. Cela ne l’a pas empêché de réagir, trois jours plus tard, en lançant une enquête pénale contre le courageux procureur Karim Khan et trois autres juges de la CPI pour « décision illégale à l’encontre d’une personne innocente ». Cette volte-face, qui ressemble à un coup d’échecs, est-elle seulement dictée par son orgueil ou se sent-il réellement menacé ?
L’annonce de la CPI a tout pour faire rire les cyniques, tant elle ressemble à un pétard mouillé. Mais elle n’en est pas moins un coup de semonce dont la portée, dans un futur proche, est loin d’être négligeable. Car l'Assemblée Générale des Nations Unies et les institutions qu’elle a générées depuis 1946 ne sont pas qu’une vision occidentale vaguement idéaliste : ils constituent la norme internationale de la justice, tout comme les Droits de l'Homme définissent le droit des personnes depuis 1948 et sont, à ce titre-là, appelés à faire autorité sur toute la planète. Evidemment ce processus est encore loin d’être achevé mais il est, néanmoins, lancé.
Certes, entre les régimes libéraux et les régimes hiérarchiques – pour reprendre la dichotomie de John Rawls -, l’écart est encore grand. Mais personne aujourd’hui, dirigeants ou simples citoyens d’un état organisé, ne peut les ignorer, quelles que soient ses convictions politiques et religieuses. On ne peut efficacement gouverner sans un minimum de justice sociale à l’intérieur de ses frontières. Pas plus qu’on ne peut se permettre des guerres d’agression contre ses voisins en toute bonne conscience. Pour détourner le mot célèbre de Goebbels, « charbonnier n’est plus maître chez soi », du moins de façon absolue dans la configuration actuelle du monde.
Vladimir Poutine – comme tous ceux qui le soutiennent – peut hausser les épaules et ne tenir nullement compte de cet appel à comparaître. Il sait néanmoins qu’il devra, un jour ou l’autre, rendre des comptes à l’humanité tout entière pour la violation du droit du peuple ukrainien à s’auto-déterminer – quand bien même il pense que l’Ukraine fait partie historiquement de la Russie. Ce jour n’est pas encore arrivé mais, dans tous les cas, il est annoncé et daté. En cela ce mandat d’arrêt ne vient pas trop tôt mais à point.
Jacques Lucchesi