Un tout petit monde

par alinea
mardi 26 mai 2015

J'emprunte à David Lodge ce titre ; j'espère qu'il me pardonnera ! Parce qu'en réalité, il ne s'agit pas du tout du même monde.

Je suis tombée sur un article – ou plutôt un extrait de l'étude qu'a menée Dominique Guillet de Kokopelli, article qui enfonce le clou, sans délicatesse aucune et avec force détails- dans nos chairs sensibles : le bio est la propriété de Monsanto et de Goldman Sachs, pour faire court et percutant. Sinon à ses potes, ceux de ce tout petit monde.

Ça fait belle lurette que je m'insurge contre ce bio récupéré comme marque, avec comme cible privilégiée, les bobos, ceux qui prennent soin de leur santé et qui savent que la nourriture en est la clé, effet de mode facile dont bien sûr il faut se méfier.

Ça fait longtemps aussi que je me bagarre, en pure perte, avec les copains éleveurs, apiculteurs ou paysans, qui sont inscrits sur les listes élitistes des « bios » et à qui je reprochais de ne pas être écolos.

Paille bio qui vient de Tataouine, luzerne d'Italie, vente du miel en Allemagne, ici, ma foi, on peut se brosser, et tout à l'avenant. Mais j'étais jeune et pleine d'énergie, car c'est du pipi de chat comparé au c'est bio c'est bjorg, et même à l'éthiquable !!

On a beau faire, on donnera toujours notre fric aux mêmes ! Bio ou pas d'ailleurs, c'est la limite du pamphlet : quoique l'on achète dans ces saletés de grandes surfaces, on fait du mal à tous sauf au portefeuille de quelques-uns.

Pauvreté aidant, cela fait quelques temps que je n'achète plus de gâteaux bio, jamais rien de tout préparé de toutes façons, et que je fais moite moite café/chicorée.

Ma haine de la grande distribution n'est pas une pose mais viscérale ; du reste, j'ai expérimenté en tous domaines, que c'est moins cher ailleurs ; soit le modèle de l'an passé pour son frigo ou sa hotte, soit d'occase bien sûr. Ma propension à la simplification et à la synthèse m'aide beaucoup. Seulement, je sais bien que je ne suis pas seule sur terre et surtout pas un exemple ni un modèle.

Quand Kokopelli était mon voisin, j'y achetais mes graines ; hors de prix, d'autant plus que je cédais à l'audace et la curiosité et leurs quelques centaines de variétés de tomates, de courgettes, de tout, me faisaient de l'oeil et comme, en plus c'était pour la bonne cause... et puis, dans un sachet parfois pas dix pour cent de graines qui germent ! Mais c'était comme la nature où les printemps ne se ressemblent pas, ni les étés ni les hivers ; on s'adapte, on fait avec, ma foi on ne mangera pas de potimarron cette année, tant pis. Car le potimarron et la longue de Nice présentaient quelques ressemblances, contre tout attente, et, surtout, n'avaient aucun goût au point que cette fadeur était vomitive ; les cochons de Dédé n'avaient pas craché dessus.

Ils proposaient des stages pour apprendre à garder et sélectionner ses propres graines mais ils gardaient leur gratuité pour les pays lointains puisque le blanc d'occident est, par définition, pété de tunes.

C'est très compliqué de sélectionner ses graines et pas toujours facile de les récupérer de la manière idoine- qu'il faut connaître- et de les stocker dans de bonnes conditions. Mes souris aimaient beaucoup celles que j'avais eu la maladresse de conserver dans des sachets rangés dans des boîtes en carton.

Je m'apercevais que les hauts placards splendides avec leur multitude de petits tiroirs, n'étaient pas du snobisme, qu'après leur avoir fait connaître le gel ou l'humidité ou la fermentation, bien propres et sèches, la température idéale n'était pas un coup chaud un coup froid et que ces cases, en plus d'être belles, étaient efficaces ! Bref, un métier, un savoir-faire qu'on n'acquière pas en trois jours et là, comme souvent, on apprend à ses dépens.

Les graines bio des boutiques, donc des salauds de l'agroalimentaire, sont souvent des hybrides et quand je dis souvent, c'est relatif, car il est rare d'en trouver dans nos campagnes.

Les graines sont hors de prix, pas seulement celles de Kokopelli ! C'est fou. Comme rien n'est simple dans notre monde, comme l'organisation, la moindre, prend des allures d'industrie pour être viable, comme les petits ateliers sur des espèces locales n'existent pas et comme les échanges entre copains sont plus du domaine de l'inopiné que du fiable, je navigue à vue tandis que les autres achètent au revendeur local sans questionnement.

Je leur proposerais bien, à Kokopelli, de vendre par correspondance, je veux dire hors ligne, pour les dinosaures qui ne possèdent pas de carte de crédit, mais cela certainement rendrait l'association encore plus piégée dans les obligations capitalistes, déjà qu'ils ne s'appartiennent plus.

Il faut être entreprenant sinon entrepreneur pour monter les réseaux locaux, créer les échanges avec d'autres locaux, si affinités, parce que le travail en équipe et les relations horizontales sont passés de mode, et ce serait reparti dans la roue folle, un peu comme on a du mal à ne pas retomber dans l'ornière d'un chemin creux par temps pluvieux !

Vous sentez ce piège ? Chacun pour sa pomme, en démerde occasionnelle, ou bien, va pour l'achat aux gros ! Soumission.

Pour en revenir au lien que je vous donne tout de suite, c'est un constat : sauf à l'échange entre trois copains, c'est à dire acquiescer à l'individualisme, on est les pigeons contraints de cautionner le gigantisme, le vol, le viol des autres, lointains, sur qui s'appuie notre fébrile dictature du capital.

À nous rendre anorexiques.

En tout cas, le Toshiba sur lequel je vous écris, le Toyota avec lequel je circule ou l' Echo avec laquelle je maintiens l'exubérance de la nature, ne me posent pas autant de remords que ça : les graines, si, c'est une autre histoire. Une histoire d'amour, de liens, de respect et de savoir, de vie quoi.

Mais c'est vrai ! La vie n'est qu'artifice pour le civilisé. Quand ce n'est pas la procréation qui l'est, c'est la mise bas, et puis la mort qui lui paraît indigne. Quelqu'un a-t-il déjà vu un animal mourir sans « dignité » ? L'homme si, après une vie d'artifice, la mort lui est une violence de la Nature, et la Nature lui est indigne ! C'est bien sûr une autre histoire, mais pas tant.

http://kokopelli-semences.fr/quoi_de_neuf/bio_pirate

Il est notable que le « bio » de Nature et Progrès, celui qu'on trouvait jadis dans les boutiques de la Vie Claire, celui qui s'apparentait à une quasi secte, n'existe plus guère. Mais il existe encore ; les normes pour ces adhérents sont extrêmement strictes et contraignantes, vous savez, cette contrainte qui est liberté, respect et aujourd'hui combat. Cette contrainte qui n'avait pas imaginé qu'on pût cultiver bio « hors sol », qui le confondait avec l'adéquation au monde, une appartenance et puis, aussi ou surtout, au bonheur inégalé du travail bien fait qui visait toujours plus de perfection.

Que veulent dire des tomates bio en janvier, des avocats bios qui traversent le monde ? Adaptation ? Répondre à la demande ? Il faut bien vivre, à défaut de vivre bien ?

Le jour où les politiques, ces bons élèves soumis aux diktats du capital, ont trouvé le slogan « cela crée des emplois », faisant gober tout et n'importe quoi, et faire toutes les ignominies, ceux-là ont gagné le pompon.

Le jour où les puissants ont trouvé le slogan « pour nourrir ces milliards d'humains, il faut tuer la terre, l'eau et l'air », ils ont gagné le pompon !

Alors, le jour où chacun s'interrogera vraiment, -je veux dire avec sa tête, son esprit, ses tripes -, sur cet oxymore, nous serons sur la bonne voie. Car faire gober cela, avouez que c'est fort !

Il y a, évidemment, comme arbre qui cache la forêt, le pognon, saint Fric, mais ce saint a bien des allures de déchu du paradis, non ? Car il ne s'agit pas seulement de savoir dans quelle poche va notre argent ; d'un certain côté, on peut s'en foutre, mais bien ce que ces poches cachent.

En attendant, que ceux qui comprennent et savent, soient incorruptibles, intransigeants. Les combattants de l'ombre.

 

(Si vous pouvez faire dérouler normalement la version française, merci de nous en faire profiter !!) :


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