Une affiche du parti d’extrême-droite suisse jugée xénophobe : mais est-ce si simple ?
par Paul Villach
jeudi 29 octobre 2009
Une affiche du parti suisse d’extrême-droite, l’Union démocratique du centre (UDC), n’est pas passée inaperçue dans la campagne du référendum « anti-minarets » qui aura lieu le 29 novembre prochain. Il faut dire qu’elle a été conçue pour avoir le maximum de force de frappe, non seulement pour capter l’attention mais pour stimuler les réflexes socio-culturels conditionnés voulus.


Un concentré de symboles
C’est un dessin dont la stylisation propre au symbole, s’accompagne en retour de schématisation et de simplification outrancières. Le territoire suisse, symbolisé lui-même fort logiquement par le rectangle de son drapeau rouge à croix blanche, fait penser, par intericonicité, à un jeu d’échecs, vu en plongée, hérissé de pièces dont il ne reste que les pions noirs et leur dame. Une autre intericonicité ne laisse aucun doute sur ces pions filiformes : ils ressemblent à des minarets jetant leur ombre sur le pays ; et si doute il y a, il est levé par la présence en premier plan de la silhouette noire et massive d’une femme couverte du voile islamiste avec sa meurtrière à hauteur d’yeux qui, selon le procédé de mise en abyme, paraît guetter dans l’ombre le spectateur. Mais une troisième intericonicité suscite une ambiguïté volontaire : ces minarets fuselés peuvent très bien faire penser aussi à des missiles dressés vers le ciel, assimilant les manifestations de cette culture à des armes ! D’ailleurs, n’est-ce pas Kateb Yacine, le dramaturge algérien, lui-même, qui voyait dans les minarets des fusées ? Mais ils les jugeait incapables de décoller.
Les couleurs sont particulièrement étudiées : le rouge et blanc sont les couleurs nationales suisses et visent, à elles seules, à stimuler le réflexe patriotique, mais pas seulement. Elles entrent en contraste violent voire en collision avec le noir des minarets et du voile. Or, la couleur noire a une charge culturelle symbolique en Occident : elle est originellement la couleur du mal, de la mort, du deuil et de la culpabilité. Le blanc, forcément, est son contraire : il est le symbole du bien, de la vie, de la lumière, de l’innocence. La croix suisse est, quant à elle, le symbole du Christianisme, à elle toute seule.
Deux métonymies et une métaphore
Lui sont ainsi opposés dans un autre contraste minarets et voiles comme deux métonymies présentant la partie pour le tout et l’effet pour la cause appartenant à une culture étrangère, l’Islam. Le minaret est, en effet, une partie de mosquée qui, elle-même, est le temple de la religion musulmane. De son côté, le voile est l’effet dont cette religion est la cause : et il représente, lui-même, l’effet de la condition féminine que prescrit cette religion ; il est l’image de l’asservissement que celle-ci impose à la femme en réglementant d’abord son apparence sociale par le vêtement. Loin d’être comme en Occident une mise en scène avantageuse du corps féminin et de l’épanouissement d’une personnalité, le voile n’est que dissimulation et incarcération de la femme soumise à l’homme.
Ces deux symboles de l’Islam comme de sa variante, l’Islamisme, sont ici, dans le même temps, les éléments constitutifs d’une métaphore : celle de l’invasion et de la suprématie. Ils envahissent, en effet, l’affiche au sens propre comme ils colonisent au sens figuré la Suisse représentée par son drapeau.
De leur côté, les deux mots du slogan s’opposent aussi dans un autre contraste qui ne se limite pas à celui des couleurs noire et rouge de leurs caractères gras. Le premier mot « Stopp » barrant en noir l’affiche, tire un élan de la ligne oblique ascendante de gauche à droite, qui est celle du mouvement, comme le trait rageur qui raie ce dont on ne veut pas. Le second « Ja » en rouge, au contraire, a l’assise horizontale et verticale d’une décision carrée et nette : c’est la réponse attendue des électeurs à la demande d’interdiction des minarets.
Le réflexe patriotique de la forteresse assiégée
On ne saurait exprimer graphiquement avec plus de force le stimulus visant à déclencher d’abord le réflexe inné de peur de l’invasion d’une culture étrangère si opposée à la culture suisse. L’ennemi désigné est toutefois original : d’armes, il n’en a pas à proprement parler, sauf à assimiler par amalgame les minarets à des missiles aux mêmes effets dévastateurs. Il n’arbore qu’instruments apparemment inoffensifs ; c’est justement, selon l’affiche, ce qui le rend plus redoutable en tirant une force d’autant plus efficace de la domination religieuse et de l’asservissement des femmes, dont il fait des armes.
La peur suscitée doit être à son tour le stimulus du réflexe patriotique de la forteresse assiégée, déjà envahie. Il ne reste sur l’échiquier que les noirs avec leurs pions et leur dame : par métonymie, doit-on en déduire, c’est l’effet d’une éviction des blancs. La mise hors-contexte du « jeu » montre enfin que tel est le problème majeur que la Suisse doit affronter : en regard, toutes les querelles internes deviennent subalternes. Une seule cause doit réunir la nation dans une « Union sacrée » autour de son drapeau face à l’ennemi islamiste commun déjà dans la place.
« Xénophobie ! Racisme ! » crie-t-on ça et là. La ville de Bâle a interdit l’affiche. La Commission fédérale contre le Racisme a estimé qu’elle « (attisait) la haine ». Un expert du Comité des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé une campagne d’ « affiches sinistres ». Est-ce aussi simple ? Cette affiche simplificatrice et outrancière aurait-elle pu voir le jour si l’Islamisme ne donnait pas d’abord prise à cette caricature, si le voile islamique ne paraissait pas plus répandu aujourd’hui qu’il y a vingt ans, si la laïcité n’était pas régulièrement bafouée avec les plages horaires de piscine réservées aux femmes, les repas de cantine satisfaisant aux exigences alimentaires religieuses ? Imagine-t-on, pour s’en convaincre, une affiche électorale semblable, mais symétriquement inversée, exhibant une femme en bikini et devant le drapeau d’Arabie saoudite hérissé de clochers d’église ? Paul Villach