Une arnaque
par alinea
jeudi 21 décembre 2017
Personne n’aime être pris pour un con ; personne n’aime être tombé dans un piège grossier ni s’être laissé étouffer par un filet aux mailles larges. Personne ne fait de publicité autour de cette expérience. Les arnaqueurs en tous genres ont de beaux jours devant eux.
« Mais tu aurais pu ne pas signer », voilà la phrase que j’ai entendue d’à peu près tout le monde après que j’eus été passée par le hachoir à humains dénoncés comme non conformes à la norme.
La niaise
Je garde le féminin, parce que je ne suis pas conforme et que je n’obéis pas aux injonctions qui sont ineptes mais aussi et surtout parce qu’il me semble que les femmes sont plus sujettes à la niaiserie, qui les laisse sans défense devant un piège qui touche leurs fibres empathiques, alors que les hommes le sont peut-être plus qu’elles devant un piège flatteur. Mais c’est un point de vue, et ça tombe bien car cela n’a aucune importance.
La niaise que je suis a quelques excuses ; je ne vous les donnerai pas toutes, mais en nommerai trois qui semblent communes à toutes : empathie ; générosité, et ignorance qui elle s’adresse à tout le monde dans tous les cas.
Le quart d’heure flagellation
...parce que je suis bien convaincue que tous les commentateurs diront qu’ils connaissaient cette arnaque et me répondront, comme tous les proches à qui je l’ai racontée : « Mais c’est pas possible !! t’as pas marché ?! » et de m’énumérer tous ceux à qui c’est arrivé, d’un côté ou de l’autre de l’arnaque !
Je voudrais insister sur le fait que, à partir du moment où l’on sait, notre regard se transforme, et notre attitude ignorante nous paraît à nous aussi complètement insensée. Je suis loin d’être à l’avant-garde, mais quand j’apprends quelque chose, je le partage. Inutile de vous dire que neuf fois sur dix, l’autre le savait déjà ! Mais je persiste.
J’ai marché dans l’arnaque avec, depuis les premiers mots, une conscience que je ne veux pas appeler doute, car, dans le doute abstiens-toi, c’est bien connu, mais une conscience parallèle de l’incongruité, qui a fini par faire taire le « et si elle était vraiment dans la merde » après que je m’en fus assurée par un subterfuge.
Les faits :
« Coucou,
Tu vas bien ? Pouvons-nous échanger par mail ?
C'est personnel et très urgent.
Marianne »
Marianne est une femme que je connais depuis toujours, la génération juste après moi, une très chouette artiste que je n’avais pas vue depuis deux ans, et ne savais pas, de ce fait,où elle en était de sa vie. Pour agrémenter le tout, j’ai l’habitude qu’on pense à moi pour me demander un service, que ce soit un travail, une écoute ou une aide financière dans la mesure de mes moyens que ceux que je connais connaissent !
« Je vais très mal après avoir oublié mes affaires ( mon téléphone, carte de crédit, argent) dans un taxi ici où je suis actuellement pour 2 jours. Je souhaite que cela soit confidentiel pour ne pas inquiéter mon entourage. Y'a t'il un bureau de tabac non loin de toi ? »
le « non loin de toi » me hérisse, tellement inutilisé dans les relations personnelles. Mais la bêtise, plus que l’amour, reste aveugle.
S’ensuivent plusieurs mails qui me briefent sur la manière de lui faire passer… 1250 euros !
Je tique, lui réponds que c’est beaucoup d’argent, m’inquiète de savoir si elle n’est pas harcelée !
Puis me résous à vider mon compte pour la sortir de la mouise, en toute confiance, légitime quant à la personne.
J’ai opté pour la version transfert par Western Union, plutôt que des coupons à acheter au bureau de tabac ; bien m’en a pris de ne pas trop aimer les buralistes ! Quant à la postière, elle me dit d’emblée : oui, le transfert est possible, mais vous êtes bien sûre de la personne, Western Union est un nid d’arnaques !
Ce n’est pas tout à fait la moitié de moi-même qui fait le transfert, mais je le fais ; la note s’alourdit de 56 euros de frais ; au diable l’avarice et la suspicion. Mais j’avais quelques kilomètres à faire en roulant avant d’envoyer les précieux chiffres qui faisaient code pour que le destinataire puisse retirer l’argent, et j’arrive chez moi résolue à écrire : Marianne, écris-moi un message personnel, je me suis renseignée, Western Union est un nid à embrouilles.
Quasi à l’instant , je reçois une réponse, tout à fait inspirante : « Oui, je suis là, j’attends ; je ne comprends pas ton message, que veux-tu que je te dise ! »
Là, ma bêtise a cédé le lest à la lucidité, et je suis repartie dare-dare annuler ce foutu transfert ; non sans avoir laissé le doute en écrivant : c’est bon, j’y vais, mais il faut bien compter une bonne demi-heure.
Je ne sais pas pourquoi j’ai écrit cela, mais ça m’a valu une dizaine de mails répétant : « j’attends », avec des titres variés : impatience, inquiétude...
Récupérer le montant du transfert m’a coûté quinze euros. Bon soixante dix euros, ça représente une bon repas de Noël, ça tombe bien, je ne voulais rien faire.
Depuis que ma voisine, calomnieuse mais soutenue par les autorités, m’a piqué sept mille euros, je sais que l’argent n’est rien, ne représente rien, ni en labeur ni en peine et ce n’est pas un pour cent de cette somme qui m’empêchera d’aller couper du bois cet après-midi.
Néanmoins j’étais glauque, j’ai déjà tellement l’impression qu’une nasse se resserre autour de nous, de moi, dans ce putain de monde, là, ça prenait des allures plus précises, plus personnelles ; trois jours avant les Polonais me piquent ma bagnole, là ce genre d’arnaque vient d’Europe de l’est ou d’Afrique de l’ouest ! « Ils ne parlent peut-être même pas français » me dit Marianne quand, après l’avoir appris de mon amie, sa tante, elle m’a appelée le soir !
Tous ceux à qui j’en ai parlé après m’ont dit être au courant, j’ai dit merci de m’avoir prévenue, et je les voyais, subjuguée, traiter l’histoire comme on vire une miette de la nappe d’un revers de main.
Cela fait longtemps bien sûr que j’ai remarqué que quelque chose ne tourne pas rond chez moi, et d’avoir mis un mot dessus n’a rien changé à la réalité évidemment.
Alors, ce petit texte écrit vite fait sur le gaz, c’est juste au cas où, parmi ceux qui le liront, il y en aurait qui ne sont pas au courant. J’en doute, car, en général, je suis tout en bas de la chaîne alimentaire !!
Et puis, le fol espoir que quelqu’un, enfin, m’explique comment il est possible de vivre dans ce monde sans devenir fou ; pour ne pas subir il faut se retrancher, je l’ai fait jusqu’à la limite au-delà de laquelle c’est un autre type de folie que je provoquerais. On m’a dit, mais non, n’arrête pas internet, il y a des trucs chouettes quand même ; déjà que je voulais interrompre ma ligne téléphonique tant je ne supporte plus les pubs ou les marchands d’économie d’énergie.
Cette désespérance qui court autour du fric, partout dans le monde, de toutes les façons selon la classe sociale, handicape terriblement mon empathie. Et sans elle, je ne vois pas comment je peux avoir contact avec mes semblables !