Une autre idée de la colonisation grecque en Gaule

par Emile Mourey
lundi 10 août 2009

Internet est un formidable accélérateur de la connaissance, d’ouverture et de liberté. Durant près de 30 ans, je me suis heurté à une technostructure archéologique qui refusait tout débat et voici qu’avec aujourd’hui Agoravox, je peux m’exprimer, échanger, me conforter ou me corriger, bref, avancer. Aventure passionnante que de découvrir, au lieu d’une Gaule qui n’est rien, qui n’existe pas, un pays à l’histoire antique riche de multiples facettes, ce que résume mon interlocuteur Antenor en une courte phrase : Atlas, Gorgones, Persée, Galatée, Hérakles et les Troyens, Tyriens, Pythgoriciens, Esséniens... ce ne sont pas les visites qui nous ont manqué (cf mon article du 27 juillet, questions au journal Le Monde).

Et n’oublions pas non plus la Grèce qui s’est implantée sur notre côte méditerranéenne bien avant les Romains.

Une sculpture ancienne dans la cathédrale de Vence. 

Le Baou est une montagne massive qui domine la ville de Vence. Montagne massive, impressionnante, terriblement mystique. ‘’Enchâssée’’ dans une colonne de sa vieille cathédrale, une petite sculpture à laquelle personne ne prête attention. Dans cette sculpture, c’est bien le Baou que le sculpteur a voulu représenter (voyez l’image suivante).
 
A l’intérieur de la montagne dont le sculpteur a ébauché le contour se trouvent un oiseau et son petit. Cet oiseau n’est ni un faucon phénicien, ni un aigle romain ; il s’agit d’une cigogne. Instruit par un texte de Platon dans lequel il est dit qu’une cité doit se conduire à l’égard de ses colonies comme un mère avec ses petits, j’identifie la cigogne à une cité-mère et le cigogneau à sa colonie : Vence.
 
Vence - qui vient d’être enfanté - se trouve à la fois dans un œuf – un œuf de cigogne – et dans une amphore agrémentée de deux anses (car elle reçoit sa nourriture par un ravitaillement envoyé par la cité-mère ?). Il s’agit là d’une représentation symbolique qui nous en dit autant, sinon plus, que n’importe quel écrit d’auteurs “étrangers”. Par le col de l’amphore, la mère cigogne nourrit son petit.
 

Question  : de quelle cité-mère les colons fondateurs de Vence étaient-ils originaires ? Autrement dit : quelle est la cité antique dont la cigogne était l’emblème, ou tout au moins l’oiseau protégé ?

Réponse  : il s’agit de la Thessalie, en Grèce. Il était défendu, en Thessalie, de tuer les cigognes, d’autant plus qu’elles délivraient les habitants des serpents. Et, en effet, c’est bien un serpent que le sculpteur a représenté sur le flanc gauche de la montagne évoquée. Et voilà que nous retrouvons ici, à Vence, le formidable secret ‘’gaulois’’ que j’ai extrait du sol de Gergovie (cf. mon Histoire de Gergovie et mes articles). De même que les Arvernes de Gergovie voyaient dans la montagne de La Serre qui les dominait, le mal (le serpent) et le bien (la salamandre), de même les colons fondateurs de Vence dans leur allégorie imagée du serpent et de la cigogne.

Le fameux Baou de Vence

 

Mon interprétation m’amène à repenser l’histoire de la région d’avant la conquête romaine.

Rappelons, tout d’abord, les centaines de milliers d’années d’évolution préhistorique qu’a connue la Côte d’Azur. Et puis, comme en d’autres lieux de la Gaule, il s’est passé quelque chose à Vence… bien avant l’arrivée des Romains. La population préhistorique locale n’a pu s’opposer à l’implantation des colons venus de Thessalie, mieux organisés et surtout mieux armés. Et c’est au pied du Baou, dans l’esprit d’une étonnante mythologie, que ces colons ont élevé un oppidum en bonnes et solides pierres, forme d’œuf de cigogne, … pour se protéger des autochtones.

Cet oppidum figure dans le plan de la ville. Il est désigné sous le nom de “cité historique”. Le temps passant, on a oublié son antique origine et on a attribué aux Romains et aux évêques tout un ensemble de constructions qui existaient déjà là, bien avant la conquête romaine.

Les habitants antiques de Vence – colons thessaliens – portaient le nom de Nerusii. Le pagus sur lequel ils exerçaient leur autorité correspond à ce que j’ai trouvé dans mes recherches sur les autres cités gauloises. Le village de La Gaude leur appartenait. Vaincus par les Romains vers l’an 6 avant J.C., leur nom figure sur le trophée d’Auguste à la Turbie.

Vence, son centre Historique

 
 

Le mot de Nerusii trouve son étymologie dans Nérée ; c’était un vieux dieu marin, doux et bienveillant dont les parents étaient Pontos (le Flot) et Gaia (la Terre). Il avait le pouvoir de changer de forme comme la plupart des divinités marines et des dons de voyance. Il épousa Doris, la fille d’Océan avec qui il eut cinquante filles : les Néréides. Personnifiant le mouvement rapide de la mer et ses aspects riants et bienveillants, ces Néréides étaient les nymphes de la mer. Au nombre de cinquante, elles formaient le cortège d’Amphitrite ou de Poséidon. Elles sont représentées par de belles jeunes filles, aux cheveux ornés de perles et montées sur des dauphins ou des chevaux marins. (cf. Mythologie gréco-romaine : Néréides).

Les Néréides étaient particulièrement honorées en Thessalie, au pied du Pélion, et sur les côtes de Laconie (confirmation de mon interprétation thessalienne).

A l’est du territoire des Nerusii, le golfe de Gênes était tenu par la très puissante cité des Ligures. Au centre de la Gaule, les Celtes régnaient sur de vastes confédérations depuis Gergovie et Bibracte, leur capitale située à Mont-Saint-Vincent. Ainsi s’explique que ces Nerusii aient pu être considérés, par erreur, par les auteurs anciens comme étant des Ligures dans une période où ils se trouvaient dominés par leurs voisins, ou des Celtes quand ceux-là intervinrent pour les soutenir contre les ambitions de la Marseille phocéenne alliée aux Romains.

Telle est mon autre idée de la Gaule, une Gaule de cités diverses et rayonnantes, à l’opposé des thèses anciennes et actuelles qui ne veulent voir dans les Ligures ou dans les Celtes que des ensembles de populations en retard d’évolution venues on ne sait d’où.

Dans cette Gaule, deux étonnantes capitales rivalisent avec n’importe quelle autre capitale du monde antique : Bibracte à Mont-Saint-Vincent, Gergovie au Crest.

Tel est mon plaidoyer en faveur d’une archéologie de bon sens que confirment les textes.

Cet article contient des extraits de mon huitième ouvrage non publié, la Gaule en héritage, écrit dans les années 1980


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