Une autre vision de la question des retraites

par Christophe DEGANG
samedi 11 mars 2023

S’il y a un hommage que nous pouvons rendre à nos amis politicards, c’est d’avoir su donner tout son sens à l’expression « l’horizon de la retraite ». L’horizon, vous savez, cette ligne qui s’éloigne inexorablement au fur et à mesure qu’on avance. 60, 62, 64, pourquoi pas 67 ou 70 à l’occasion des prochains quinquennats.

Alors que ce gouvernement, dès le début du quinquennat précédent, s’était appliqué à donner de la visibilité aux entreprises, allant jusqu’à plafonner les indemnités prudhommales afin que les patrons voyous sachent à l’avance combien cela leur coûterait de se débarrasser déloyalement d’un salarié, pour nous, salariés, la visibilité de notre avenir a l’air de moins leur importer. Il y a un an, soit avant l’élection présidentielle, j’étais moi-même incapable de savoir s’il me restait 7 ans avant la retraite ou 12. Tout dépendait de la philosophie, voire du calcul électoral, de la personne qui serait élue.

Puisque nous parlons de démocratie, il convient déjà de répondre à l’argument choc de la macronie : « En élisant Emmanuel Macron, vous avez voté POUR la retraite à 65 ans ».

Nous ne rentrerons pas dans les mièvreries du style « oui mais c’est face à Marine Le Pen » ni ne ferons remarquer que 80% des électeurs inscrits n’ont pas voté pour Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle.

Il suffit de dire deux choses. La première est que nous ne pouvions pas voter il y a un an pour une réforme qui n’est pas aboutie aujourd’hui, laissant nombre de députés dans l’incertitude.

Ensuite, il faut être conscient que le mode de scrutin utilisé pour l’élection présidentielle n’est pas adapté pour mesurer l’adhésion des électeurs à une mesure ou une autre. C’est un scrutin uninominal à deux tours uniquement destiné à nous choisir un président. Et il serait amusant d’imaginer que d’autres mode de scrutins ayant le même objectif (mettre trois bulletins dans l’enveloppe, donner des notes ou avis, faire un classement…) donneraient probablement dans chaque cas un lauréat différent.

Il faut également être conscient que nous, électeurs, nous retrouvons tous les 5 ans face à une dizaine de candidats, qui ont tous des propositions qui nous séduisent et d’autres qui nous déplaisent, mais que nous n’avons à notre disposition en tout et pour tout qu’un seul bulletin de vote pour répondre à des centaines de questions. Donc non, à l’occasion de la présidentielle, il ne nous a pas été possible de répondre précisément à la question de la retraite. Il ne nous a d’ailleurs pas non plus été possible d’éviter un président que 80% des électeurs inscrits n’avaient pas désiré.

De plus, il faut noter que Valérie Pécresse proposait également la retraite à 65 ans et qu’elle a fait le plus mauvais résultat des républicains. Alors, avons-nous voté pour la retraite à 65 ans de Macron ou contre la retraite à 65 ans de Pécresse ?

Mais quoi qu’il en soit, si les macronistes persistent à prétendre que l’élection présidentielle valide l’âge de départ à la retraite, qu’ils considèrent alors qu’en 1981 nous aurions voté pour la retraite à 60 ans, et que depuis, chaque fois qu’ils veulent revenir dessus, nous nous y opposons farouchement, exprimant ainsi que nous n’avons pas changé d’avis.

Quant à la question d’un référendum spécifique à cette réforme, il serait bien évidemment ridicule. Nous connaissons déjà la réponse, à moins d’une surprise due au fait que seuls les partisans du oui se déplaceraient, et poser la question des retraites uniquement sur cette réforme fermerait la voie à une multitude d’autres propositions alors que bien évidemment, une réforme des retraites est nécessaire.

Car oui, évidemment, une réforme est nécessaire, car il est inacceptable qu’un retraité, ou tout autre citoyen français, quels que soient son âge, sa situation ou son cursus professionnel, soit obligé de choisir entre se chauffer ou se nourrir dans un des pays les plus riches du monde.

Est-ce que, pour autant, la solution est de travailler plus longtemps ? Nous touchons là directement à la question du partage du travail. Il y a effectivement de multiples bonnes raisons de collectivement travailler plus : pour pourvoir les postes qui sont vacants dans les services publics, relocaliser des productions nécessaires à notre souveraineté énergétique, alimentaire ou sanitaire, appliquer des techniques de production moins polluantes mais moins coûteuses en main d’œuvre, et bien entendu de réaliser la transition environnementale qui est probablement la préoccupation prioritaire qui doit guider nos choix, bien avant un hypothétique équilibre comptable.

Mais l’argument du gouvernement qui est que nous devons travailler plus vieux, pour produire plus de richesses, comme si c’était le décalage de l’âge légal qui allait remplir le carnet de commandes des entreprises, pour (peut-être) générer plus de cotisations, qui permettront de revaloriser les petites retraites de 1.5 à 2.2% dans un contexte de forte inflation, afin que le retraité qui a déjà l’électricité qui arrive à son compteur et le magasin prêt de chez lui plein de victuailles ait le droit d’appuyer sur le bouton de son chauffage ou faire ses courses est tout bonnement tiré par les cheveux. 2% sur 1000 € (nous avons bien compris qu’il ne fallait pas trop compter sur les 1200), ça fait 20 balles. Mais qu’est ce qu’ils vont bien pouvoir faire de ce pognon de dingue !!!

Le travail est une action nécessaire pour réaliser notre projet de société. Et si dans notre projet de société, nous prévoyons d’offrir un niveau de vie digne à nos citoyens, nul besoin de travailler plus pour ça. Les richesses nécessaires sont déjà produites, et même en excès. Pour l’électricité, nous en exportons, et pour la nourriture, nous détruisons des excédents de stocks.

Alors, soit, nous allons (provisoirement) rentrer dans le jeu du gouvernement. Ils ont choisi une réforme paramétrique, contrairement au quinquennat précédent où elle était systémique. Notons au passage que le point commun à toutes les réformes depuis trente ans, c’est de nous faire travailler plus vieux. Pas plus longtemps en fin de compte, puisque de toute façon ils ne sont pas capables de trouver du travail pour tout le monde. Nous passerons en fait collectivement plus de temps au chômage.

Le premier paramètre, sachant qu’il y en a trois, est le montant des pensions. Il est établi qu’elles sont déjà trop basses et qu’on ne peut pas explorer cette piste.

Le second, celui qui a été choisi par le gouvernement, est celui du temps de travail. Laissons tomber cette histoire de l’âge légal à 64 ans qui n’est que du flan, un totem pour les divers courants politiques et les syndicats. Le facteur qui importe réellement, c’est le temps de cotisation. La retraite à 62 ans avec 42,5 années de cotisation ne concerne que ceux qui ont commencé à travailler avant 19.5 ans. A 64 ans avec 43 annuités, cela ne concerne que ceux qui ont commencé avant 21 ans.

Le « travailler plus » engendre deux questions : qui ? et quand ? Les questions de la répartition du temps de travail au sein de la population et tout au long de notre vie.

Donc le choix du gouvernement est de nos faire « travailler plus collectivement ». Là, je me dis « chouette ». Collectivement, ça veut dire tous. C’est-à-dire que pour moi qui travaille depuis 33 ans, la plupart du temps en sous-effectif parce que mon employeur ne veut pas ou ne parvient pas à recruter alors qu’il y a des millions de chômeurs qui ont besoin de remplir leur frigo et de valider des trimestres, je vais enfin avoir du monde pour venir m’aider dans mon boulot (pour info, des semaines de 6 longues journées pendant 6 mois rien que l’an dernier). Et là… Patatras ! En fin de compte, on me dit que ce ne sont pas les autres qui vont travailler plus. C’est moi, et tous ceux qui ont déjà un boulot, qui vont devoir se taper deux ans de plus. Pour les autres, il va falloir attendre une hypothétique loi travail de plus. Peut-être auraient-ils dû commencer par là. Plus de postes pourvus, plus de cotisations. Mais bon. Avant de nous demander de travailler plus vieux, ils feraient mieux de s’atteler à atteindre le plein emploi. Le vrai. Pas celui qui laisse 4.9% de la population dans la précarité. D’ailleurs, il y a un moyen mnémotechnique pour le plein emploi. Plein emploi, frigos pleins.

Nous avons évoqué les nombreux facteurs qui justifient de travailler plus. Mais il y a également ceux, non moins importants, qui justifient qu’on travaille moins : le fait que nous ne sommes plus au sortir de la guerre avec un pays et des infrastructures à reconstruire, que la progression de l’efficacité des moyens de production a considérablement diminué les besoins de main d’œuvre, et que la diminution nécessaire de notre impact environnemental va nous obliger à produire moins, en tout cas mieux. Les économistes main stream se bousculeront pour affirmer que la réduction du temps de travail n’a pas permis de créer des emplois. Mais ce serait omettre, volontairement ou pas, que le temps de travail légal sur une vie n’a pas diminué sur ces trente dernières années, mais est plutôt passé de 39 heures hebdomadaires sur 37.5 années, soit 67012 heures, à 35 H sur 42.5 années, soit 68297 heures. 1300 heures de plus, et bientôt 2000 !

Donc ça, c’est pour le « qui ? ». Ceux qui bossent déjà.

Pour le « quand ? », c’est encore plus amusant. En admettant qu’effectivement il faille travailler plus, nous en parlerons plus tard, pourquoi entre 62 et 64 ans ? Toute la question est de savoir comment nous répartissons le temps de travail sur notre vie.

2 ans de plus, sur une carrière d’un petit peu plus de 40 ans, cela fait moins de 5%. C’est le gain maximum possible par cette réforme. En effet, 6 mois de plus sur la durée de cotisation, cela représente moins de 2%.

Ramener ces 5% de travail en plus à un autre moment, sur le temps de travail hebdomadaire par exemple, cela ferait moins de deux heures par semaine. Autant il est contraignant de travailler deux ans de plus, autant passer deux heures de plus sur une semaine alors qu’on y est déjà, c’est beaucoup plus facile. D’autant que beaucoup serait fort contents de ne faire que deux heures de travail hebdomadaires de plus. Bien souvent, ceux qui sont en emploi sont contraints à beaucoup plus.

Il faut de toute façon considérer le temps de travail global (celui nécessaire à la réalisation de notre projet de société) comme un budget. Le travail des politiques est d’ailleurs normalement d’ajuster le temps de travail légal (temps de travail annuel par le nombre d’année de cotisations) à ce temps de travail global. En visant trop bas, il faudra faire des heures supplémentaires pour finir le boulot. Et en visant trop haut, cela génère des périodes de chômage. Vous avez bien dû noter que pour l’instant nous étions dans la deuxième situation.

Ce budget temps, nous pouvons l’estimer à 61 500 heures de travail dans la vie de chaque actif. Ce chiffre est obtenu en multipliant le temps de travail annuel légal par le nombre d’années de cotisations et en appliquant un taux de chômage de 10%. Il peut évidemment être soumis à débat pour plusieurs raisons, mais cela ne change rien aux propos suivants. Plus on augmentera le temps sur lequel nous devrons consommer ce budget temps, en repoussant le moment de partir à la retraite par exemple, plus il faudra être économes en diminuant d’une façon ou d’une autre le temps de travail annuel.

Je ne prendrai pas parti de savoir s’il est mieux de partir à la retraite plus tôt ou plus tard car les deux peuvent avoir leurs avantages. Une retraite tardive peut très bien être une mesure de justice sociale si nous sommes capables de partager le travail, par exemple en appliquant la semaine de 32 heures en 4 jours et 24 en trois jours pour les métiers pénibles (long débat). Partir à 67 ans en ayant eu toute sa vie 4 jours de repos pour 3 de travail, cela me semble tout d’un coup plus acceptable. Et la question de la pénibilité est du même coup en grosse partie résolue.

Mais il n’y a pas de limite à l’imagination quant à la répartition du temps de travail sur une vie : semaine plus courte, plus de congés payés, temps de travail dégressif sur une vie, plus d’années, ou moins d’années… Je vous laisse faire les calculs (par exemple 61500/nombre d’années de cotisations/47 semaines par an = temps de travail hebdomadaire).

La troisième piste à aborder dans une réflexion paramétrique est celle du financement. Lorsque Edouard Philippe, alors Premier ministre nommé par un gars qui a fait 18.19% des inscrits au premier tour de la présidentielle dit en 2019 « je ne veux pas que les Français aient à cotiser plus donc je choisis à leur place qu’ils travailleront plus (vieux) », mais de quel droit ? Et si de notre côté nous préférions nous payer quelques années de vie supplémentaires en cotisant plus ? Pourquoi déciderait-il à notre place ?

Déjà, combien cela nous coûterait il ? 5% de cotisations supplémentaires sur les 8 postes de cotisations retraites que compte notre bulletin de salaire (SS Plafonnée, déplafonnée, complémentaire tranche 1, tranche 2, et ce sur les parts salariales et patronales) sur un salaire à 2200 euros bruts (j’ai pris le mien en me faisant le cadeau d’une petite augmentation), cela représenterait moins de 30 € par mois, répartis bien évidemment sur l’ensemble de ma carrière. Travailler deux ans de plus me coûterait 5000 € rien que de transport. Pour moi, le calcul est vite fait. Je les lui donne ses 30 balles à Manu, à condition qu’il me rende mes deux ans.

Et nous pourrions n’agir que sur une partie de ces 8 postes, notamment sur les 0.4% de sécurité sociale déplafonnée, qui concerne essentiellement les salaires au-dessus de 3666 € par mois (et donc de fait les très gros salaires). En les augmentant de 0.1%, cela représenterait 25% de recettes supplémentaires uniquement sur ce poste.

Sans compter les pistes déjà évoquées de taxes sur les milliardaires (et pourquoi pas les multimillionnaires qui ne sont pas frappés non plus par la pauvreté), les gros dividendes, la spéculation…

En clair, le paramètre financement serait probablement beaucoup moins contraignant pour nous que le fait de reculer l’âge légal ou de rallonger le temps de cotisation, mais bien entendu, cela n’irait pas dans le sens de l’obsession néolibérale qui est de nous faire travailler plus vieux.

Et l’écologie dans tout ça ? Pour ceux qui ne s’en souviendrait pas, Elisabeth Borne n’est pas la Première ministre chargée de la casse sociale mais celle chargée de la planification écologique et énergétique. Mais à quand remonte la dernière fois qu’on a entendu le mot « écologie » dans sa bouche ?

Nos néolibéraux ont beau essayer de se doper à la petite pilule verte, parlant de croissance verte et d’écologie industrielle (bientôt, on va polluer bio), leur obsession économique reprend vite le dessus. Il faut absolument « produire plus de richesses », sans distinction de la réalité d’un besoin ou d’une neutralité environnementale. Et ce trait de caractère transparait encore au travers de cette réforme. Travailler plus pour produire plus, en oubliant que produire une richesse, c’est transformer des ressources naturelles, en utilisant de l’énergie, générant des déchets et par le biais d’unités de productions qui empiètent bien souvent sur la biodiversité. Nous avons ici les 4 mamelles du désordre environnemental, mais ils n’en n’ont cure. De plus, en ciblant le travailler plus sur les personnes qui travaillent déjà, sur les métiers qui existent déjà, ils ne font que pérenniser, amplifier un modèle économique qui est à l’origine des problèmes et qu’il faudrait réformer, au lieu de cibler un nouveau pan de l’économie en y orientant la main d’œuvre disponible dont nous disposons, créant de nouveaux métiers et de nouvelles sources de cotisations, et réglant de facto la pseudo question de déficit des caisses de retraites.

Ne faut-il pas voir dans le gâchis de cette réforme des retraites un problème de méthode ? Sans parler du spectacle pathétique que les politicards nous ont livré à l’assemblée, ne pourrions-nous pas trouver meilleure procédure démocratique ? Si nos élus, au lieu de se croire investis d’un droit divin qui les autorise à imposer leur idéologie à une majorité plus que réticente se voyaient plutôt comme des animateurs de la démocratie ? Et si dans le cas où un problème légitime sur la question des retraites serait identifié (à mon sens le faible niveau des pensions), ils préféraient fixer un cahier des charges, lancer un appel à projets qui permettrait d’explorer toutes les pistes volontairement négligées par le gouvernement, organiseraient des débats afin de laisser se dégager deux, trois, quatre… projets permettant d’atteindre les objectifs. Il ne nous resterait plus qu’à voter pour sélectionner le meilleur et à l’appliquer.

Et si la politique au sens noble, c’était chercher tous ensemble la solution à un problème précis au lieu d’être un spectacle de polichinelle joué par des sales gosses ? Autorisons-nous à rêver, mais ce rêve est à construire par nous-mêmes car personne ne le fera à notre place.


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