Une chute brutale du régime iranien n’est pas dans l’intérêt d’Israël
par Abdelkarim Chankou
vendredi 12 janvier 2018
Un chef de la sécurité extérieure qui connaît son boulot a fortiori israélien ne dira jamais ça s’il ne savait pas que ce soulèvement social serait sans lendemain comme l’ont été les précédents. Il ne dirait pas ça non plus car ce faisant il mettrait en danger ses espions et informateurs en place.
Le modéré Mohamed Khatami a osé se prendre en photo en compagnie de l’ex président israélien Moshe Katsav et le toujours président de Syrie Bachar Assad lors des funérailles du Pape Jean-Paul II à Rome
Les relations internationales sont souvent une arme à double tranchant. Surtout en Orient compliqué. L’observateur amateur ou non averti croit savoir que les manifestations populaires contre la vie chère et la politique économique du régime en place à Téhéran est du pain bénit pour les ennemis jurés du régime des mollahs. Pour Israël particulièrement. Erreur de lecture ! Ce mouvement social ou complot fourbi par les agents extérieurs selon les faucons du régime, commencé le 28 décembre 2017 et étouffé par les forces de l’ordre, après un bilan officiel de 21 morts et quelque 4 000 arrestations , ressemble à bien des égards à la roulotte russe ; dans ce sens que la balle peut rater celui qui s’amuse à poser le canon sur sa tempe pour aller se loger dans la tête du spectateur, en l’occurrence Israël. Et cette éventualité n’échappe pas aux responsables sécuritaires de l’Etat hébreu. Yossi Cohen le chef du service de la sécurité extérieure « Mossad » en doit connaître un rayon. Comme d’autres de ses collègues de Tsahal ou du Shin bet (sécurité intérieure) et contrairement aux politiques dont le métier est de dire ce qu’ils ne pensent pas, Cohen ne voudrait en fait pas d’un changement rapide et brutal du régime en Iran. Il serait plutôt pour un retour à la normale du calibre de la république islamique, taille qu’il était entre le 2 août 1997 et le 3 août 2005 sous la présidence du pragmatique et modéré Mohamed Khatami qui a osé se prendre en photo en compagnie de l’ex président israélien Moshe Katsav et le toujours président de Syrie Bachar Assad lors des funérailles du Pape Jean-Paul II à Rome ern avril 2005 (Photo). La preuve que Cohen ne serait pas pour un renversement du régime en place à Téhéran - même de l’intérieur - réside dans cette déclaration spectaculaire qu’il a faite au sujet de ce qui est en train de se passer en Iran. « Nous avons des yeux, des oreilles et plus, même en Iran », a déclaré la barbouze en chef, lors d’une convention du ministère des finances à Jérusalem, le 9 janvier dernier. Un chef de la sécurité extérieure qui connaît son boulot a fortiori israélien ne dira jamais ça s’il ne savait pas que ce soulèvement social serait sans lendemain comme l’ont été les précédents. Il ne dirait pas ça non plus car ce faisant il mettrait en danger ses espions et informateurs en place. D’ailleurs l’ancien conseiller du premier ministre Benjamin Netanyahu et président du conseil de sécurité national d'Israël enchaîne sur le même ton : « (…) Il n’y a rien à attendre de formidable, même si je serais très heureux d’assister à une révolution sociale en Iran. Peut-être cela arrivera-t-il à l’avenir ». Esbroufe ou humour noir ? Des deux probablement. En fait, le futé Cohen fait d’une pierre deux coups dans cette déclaration. Et d’un il dit en implicitement qu’il ne voudrait pas d’une chute brutale du régime de Khamenei, et de deux il devance d’éventuelles critiques quant à l’inertie ou l’impuissance de ses services face à ce soulèvement populaire en en minimisant la portée. Well done. Comme on dit dans le jargon.
En effet un ébranlement rapide du pouvoir en Iran peut être lourd de conséquence sur le voisinage. Israël et ses nouveaux alliés arabes du Golfe pourraient en être les premières victimes, si la chute du régime se soldait par une période d’anarchie ou par l’avènement d’un nouveau régime encore plus dur. Dans une analyse, Anshel Pfeffer journaliste chroniqueur britannique dans le quotidien israélien Ha'aretz tire la sonnette d’alarme en mettant en garde les Israéliens quant à une chute rapide du régime des mollahs : « Les dirigeants israéliens sont mal placés pour donner des leçons de démocratie à la République islamique et encore moins pour encourager les manifestants - ce qui peut être une arme à double tranchant, voire le baiser de la mort pour les opposants iraniens. Enfin, une question se pose : une déstabilisation durable en Iran est-elle réellement bénéfique à Israël ? » Bonne question. En conclusion Israël et son gardien du temple Yossi Cohen espérerait plutôt un tranchage des tentacules pour ne pas dire des testicules de l’Iran que sont le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et le régime syrien de Bachar Assad, bras qui sont le vrai danger pour Israël. Effectivement le risque est grand pour l’Etat hébreu « Si l'Iran est la cible d'une attaque, il rasera Tel-Aviv et Haïfa. L'Iran et le Hezbollah sont assez puissants pour réagir d'une manière adéquate à l'agression sioniste (…). Le Hezbollah dispose de 80 000 missiles qu'il peut utiliser », a rapporté jeudi 21 mai 2015 la chaîne de télévision iranienne IRIB citant le général iranien Yahya Rahim Safavi qui a réagi aux propos émis deux semaines plutôt par le ministre israélien de la Défense Moshe Yaalon à Jérusalem selon quoi Tsahal bombarderait les installations nucléaires de l’Iran. Ce qui était là aussi une déclaration politique, faite par un politicien et destinée à la consommation intérieure. Une attaque des sites atomiques iraniens serait « très difficile » parce que les Iraniens « ont été assez intelligents dans la façon de disperser leurs sites nucléaires », a déclaré le 23 févier 2012, lors d’une conférence d’un centre de réflexion à Washington William Fallon , ancien amiral de la marine américaine qui était à la tête des opérations militaires américaines au Moyen-Orient et en Asie centrale jusqu’en 2008. La messe est dite.