Une couverture militante de Paris-Match ?

par Paul Villach
mardi 19 mai 2009

À quoi tient un « événement », si l’on en croit Paris-Match de cette semaine ? À ce couple d’actrices, Sophie Marceau et Monica Bellucci, qui s’affichent nues, enlacées ! Le gros titre en incrustation les appellent « Les audacieuses » et le sous-titre explique qu’ « à Cannes les deux stars complices osent provoquer l’événement  ».

 
Un leurre d’appel sexuel conventionnel ?

« Un événement » ne tient donc pas à grand chose selon Paris-Match. Que des actrices, en effet, se prêtent à la mise en scène d’un leurre d’appel sexuel, n’a rien de bien nouveau. Le cinéma en a fait un de ses leurres préférés pour appâter le chaland au point que pour être acteur et actrice il faut être à l’aise aussi bien nu que vêtu. Les médias, de leur côté, y recourent sans arrêt pour capter l’attention puisqu’il n’a pas son pareil pour déclencher ce réflexe inné d’attirance particulier jusqu’à la transe qu’on nomme le voyeurisme.

Qu’a donc d’audacieux cette étreinte ? On ne voit pas, hormis le fait que ces deux actrices passent plutôt pour hétéroxuelles. Mais une actrice n’est pas son personnage. La scène jouée ressemble à toutes les scènes d’amour homosexuelles qu’on a pu voir : les deux jeunes femmes, debout en plan moyen, dans les bras l’une de l’autre, sont étroitement enlacées, buste contre buste et joue contre joue. Le choix de la toile de fond unie pour une mise hors- contexte totale qui focalise le regard sur elles seules et leur jeu sexuel, peut seulement intriguer : toute couleur chaude à charge culturelle érotique a été volontairement écartée : ni rouge, ni rose mais un bleu très pâle, très froid.
 
Les deux actrices ne jouent pas davantage à celles qui seraient surprises en pleine action torride par un photographe importun. Elles posent au contraire sereines, en majesté : l’image mise en abyme les montre planter leur regard dans celui du lecteur en feignant d’établir une relation avec lui. Elles paraissent observer avec intérêt l’effet que peut bien provoquer chez lui leur étreinte. On pourrait parler d’une métonymie expérimentale de leur exhibitionnisme sexuel. Leur posture, en effet, se présente à la fois comme l’effet et la cause de la réaction qu’elles guettent chez leur spectateur.


Sans doute s’agit-il d’un exhibitionnisme tempéré. Mais que vaut l’explication de Paris-Match qui, en pages intérieures, prévient que ces actrices « n’auraient pas posé nues avec une autre ? il fallait, assure le magazine, le naturel de Monica et la pudeur de Sophie ». Va pour le « naturel » de l’une puisqu’elle s’est souvent illustrée ainsi « naturellement ». Pour ce qui est de « la pudeur » de l’autre, est-ce bien le mot qui convient quand on s’expose ainsi en toute lubricité ?

À vrai dire, cette réserve relative est due davantage aux règles de la morale publique qui régit strictement les convenances en matière d’exhibition sexuelle publique : tout ne peut pas être montré aux yeux de tous. On voit, du reste, que la posture des deux filles est savamment composée de telle sorte que l’on ne voit strictement rien de leurs zones sexuées qui puisse faire crier au scandale.

De «  l’objet du désir  » au « désir de l’objet »

Mais, on le sait, les interdits moraux ne contrarient pas pour autant la stratégie du leurre d’appel sexuel, au contraire ! Pour ne pas détourner l’attention du produit à promouvoir, le leurre doit savoir rester discret par « le double jeu de l’exhibition et de la dissimulation ». C’est même la condition de la stimulation du réflexe inné de frustration recherchée comme moteur de l’acte d’adhésion ou d’achat attendu. Car la frustration, née du désir excité non assouvi, est génératrice d’inconfort. Plus le mal-être est aigu et plus "le patient" incline à prendre un sédatif. Ce « double jeu d’offrande et de refus » de ces deux corps féminins harmonieux doit donc conduire à l’échange mental attendu entre «  l’objet du désir  » à jamais inaccessible que sont ces deux filles et «  le désir de l’objet » qui leur est associé et qui, lui, est à portée de main.

Mais quel est alors cet objet que les deux actrices s’emploient ici à vendre ? On songe d’abord bien sûr au magazine qui, en en faisant sa couverture, est un premier objet associé. Un lecteur peut être donc conduit à l’acheter. Ensuite, cette scène paraît tirée d’un film présenté au festival de Cannes. Celui-ci est donc un second objet associé : le lecteur est ainsi invité à devenir spectateur du film à sa sortie.

Paris-Match, un hebdomadaire militant ?


On serait tenté, cependant, de ne pas se contenter de ces deux objets somme toute très banals, rituellement associés en remplacement de « l’objet du désir » mis en scène par tout leurre d’appel sexuel. D’abord, la semaine de parution de ce numéro offre un contexte temporel qui tend à orienter le sens de l’image : le 17 mai était la journée internationale de lutte contre l’homophobie. Prend-on beaucoup de risques à imaginer que l’hebdomadaire a tenu à célébrer à sa façon cette date ? Il s’agirait donc, sans le dire, d’un acte militant de Paris-Match pour prendre la défense de l’homosexualité. Quant aux deux actrices, connues pour leur hétérosexualité, leur militantisme les aurait poussées jusqu’à payer de leur personne par solidarité.

Un autre objet associé vient encore à l’esprit, devant la carnation des corps féminins offerts qui va à contre-courant des canons esthétiques à la mode. Il est rare que des actrices exhibent une peau d’une telle blancheur ivoire. La mode n’est-elle pas au teint hâlé, à la peau bronzée ? Les séances d’UV permettent même en plein hiver de faire croire qu’on revient des tropiques. Or, ici, les deux actrices ont pris soin de ne pas exposer leur épiderme au moindre rayonnement. Elles revendiquent donc une blancheur devenue aujourd’hui insolite qui, de ce fait, contraste fortement avec leur chevelure brune pour l’une, châtain pour l’autre. À défaut de combattre les dangers du rayonnement ultra-violet, ne militent-elles pas pour une beauté blanche ? « Black is beautiful », disait-on autrefois outre-atlantique ! En se contentant de paraître, n’expriment-elle pas cette fois une évidence et une fierté oubliées : la peau blanche est belle ?

Dans ce cas, oui, on pourrait dire de ces deux actrices qu’elles « (ont osé) provoquer l’événement ». Pour une fois, sous l’apparence convenue d’un leurre d’appel sexuel très conventionnel, une couverture de Paris-Match aurait été plus subtile que d’habitude. Paul Villach
 
 

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