Une démocratie insultée

par Jean-Luc Picard-Bachelerie
mercredi 18 septembre 2024

La nomination de Michel Barnier ne signe pas la fin de la crise de régime, bien au contraire, et signe une rupture nette avec la démocratie. Emmanuel Macron devait nommer un Premier ministre issu du groupe parlementaire parvenu en tête, selon l’article 5 de la Constitution et la tradition de la Ve République. À charge de ce Premier ministre d’organiser la stabilité institutionnelle (Art. 8). À la limite de l’illégalité constitutionnelle, il a nommé un politicien issu du groupe parlementaire le moins représenté avec l’approbation du RN, parti d’extrême droite rejetant les principes des Droits de l’Homme. La fascisation du pays continue son lent travail de sape de la démocratie. Comment stopper cette avancée qui paraît inéluctable ?

Emmanuel Macron comme tous ses prédécesseurs, et peut-être plus qu’eux, se réclame de la démocratie tout en lui donnant une forme jupitérienne comme il l’avait définie lui-même. ICI Démocratie dite représentative qui consiste à transférer la souveraineté du peuple aux élus censés le représenter. Cette souveraineté que le peuple transfère à ses représentants, lors de leur élection, ce sont des pouvoirs : légiférer, exécuter, juger, réprimer. Le citoyen se prive alors de sa fonction première qui est celle de délibérer, de construire la loi, et de contrôler ses délégués aux fonctions politiques, institutionnelles et administratives. Le peuple est alors réduit aux seuls députés, les citoyens étant réduits à n’être que des électeurs qui reviennent à date fixe se déposséder de leur part de souveraineté. Cela n’empêche qu’il reste à cet électeur le résultat des urnes, c’est-à-dire, sa décision, la seule expression de sa souveraineté qui lui est accordée par la Constitution en cours.

Aux limites des tolérances de la Ve République

Or, Macron n’a pas respecté la sanction des urnes définie dans le code électoral en nommant Premier ministre une personne non issue du groupe parlementaire le mieux représenté : le Nouveau Front Populaire. Ce cas de figure aurait pu être accepté s’il avait commencé par nommer un Premier ministre issu de ce groupe majoritaire, puis du deuxième au cas où le premier aurait fait les frais d’une motion de censure, et ainsi de suite. Le choix qu’il a fait, il le légitime par une recherche de stabilité. Or, il n’a aucun moyen de prévoir cette stabilité : elle dépend des députés et non de lui. Endossant la responsabilité qui incombe au Premier ministre, démissionnera-t-il si ce Premier ministre qu’il a choisi saute ? Dérive autocratique, car il a été le seul à agir étant le seul à en avoir le pouvoir.

Il a détourné le résultat des urnes, c’est-à-dire, la volonté du peuple reconnue par le code électoral, et n’a pas respecté l’esprit des articles 5 et 8 de la Constitution, ce qui constitue un déni démocratique sous le couvert du Conseil constitutionnel qui ne trouve rien à redire.

Le Président ayant créé la situation de mettre l’exécutif en opposition au premier groupe du pouvoir législatif, mène un coup d’État comme le furent ceux du 18 fructidor de l'an V, celui du 18 brumaire de l'an VIII et celui du 2 décembre 1851. Ce dernier transformant le Président en empereur. L’autocrate Macron voudrait-il le devenir ? En tout cas, il est devenu Trump sans faire le siège de l’Élysée, mais avec une violence institutionnelle inouïe.

La faute constitutionnelle est aussi à inscrire au passif de Macron censé veiller aux institutions et assurer la continuité de l’État. Il a commencé par dissoudre l’Assemblée nationale alors que rien ne le justifiait sinon son caprice d’adolescent, voire sa perversité ICI. Puis a bloqué, intentionnellement, le pays près de 60 jours alors qu’il avait rencontré Michel Barnier dès le mois de juillet (sans que les journalistes proches de l’Élysée ne nous en informent).

Dérive autocratique, dérive démocratique, coup d’État non illégal, faute institutionnelle… La macronie ayant perdu lors des dernières législatives européennes et nationales, forme un exécutif avec le groupe le moins important de l’Assemblée nationale. Ne serait-ce pas d’une usurpation de pouvoir à laquelle nous assistons attendant vainement qu’un contre-pouvoir la dénonce. Répétons-le : la cohabitation aurait dû se faire avec le NFP, et c’est à l’Assemblée nationale de décider de l’avenir du gouvernement et pas à Macron, selon la Constitution.

Un plan machiavélique 

Au second tour des législatives, la stratégie du front républicain à l’initiative du NFP s’est traduite par le désistement du candidat le moins bien placé en face de celui du RN. Ainsi, la macronie a pu sauver 34 députés de plus grâce aux Insoumis qui se sont désistés. Cela a permis plusieurs choses : empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir, et faire que la gauche arrive en tête avec une majorité relative. Le point noir collatéral étant le sauvetage de la macronie d’une débâcle annoncée.

Dans cette situation, Macron, au lieu de réagir comme ses prédécesseurs qui ont essuyé un revers lors des législatives et qui ont nommé le leader du groupe parlementaire parvenu en tête, a alors imaginé un plan afin de sauver ce qui lui semble essentiel : son programme économique néolibéral qui consiste à casser les services publics, et à enrichir une oligarchie affairiste.

Tout d’abord, étant donné que la dissolution avait pour but d’enterrer définitivement la gauche divisée, il n’a jamais été question, pour lui, de nommer un Premier ministre issu du NFP. En effet, selon Christian Laval, « Le résultat du vote n’a de conséquences que facultatives, car la démocratie ne consiste pas pour les néolibéraux à respecter le suffrage universel, mais à défendre par-dessus toutes les contingences électorales l’ordre de marché, les « lois économiques » et le sacro-saint droit du capital à gouverner nos existences. L’État de droit a pour eux un sens très particulier, c’est l’État du droit de la propriété et du capital. Autrement dit, l’État de droit en régime capitaliste, c’est d’abord l’État du droit privé, et la démocratie, c’est toujours l’affaire de l’oligarchie « raisonnable ». 

Puis, Macron avait besoin de temps pour imposer son programme économique de 2025 à son futur Premier ministre. Il a donc trouvé différents subterfuges pour en gagner. Il a alors prétexté rechercher la stabilité en entamant des concertations à sa façon, c’est-à-dire, façon poudre aux yeux que les journalistes n’ont pas détectée (volontairement ou involontairement selon le type du média). La vérité révélée en septembre est qu’il aurait pu nommer Barnier dès le mois de juillet puisque c’est à cette époque qu’il l’a rencontré. Mais il a préféré attendre près de 60 jours. Durant cette période, il en a profité pour tordre encore un peu plus la démocratie.

Macron avait, en effet, plusieurs raisons de gagner du temps :

  1. Faire passer des représentants à la présidence des commissions et de l’Assemblée nationale. Ce qui a été partiellement fait en bénéficiant des largesses constitutionnelles qui permettent à des ministres démissionnaires élus de voter avec les députés. C’est ainsi que Braun-Pivet s’est succédé à elle-même.

  2. Attendre que le NFP éclate pour légitimer son plan machiavélique, comptant sur les maladresses de Mélenchon. Il a plutôt renforcé le Nouveau Front Populaire. Et ça n’est pas faute des efforts des journalistes inféodés au pouvoir ou à l’extrême droite qui ont manipulé l’opinion sans relâche l’accusant de ne pas savoir qui proposer comme Premier ministre, puis une fois trouvée Lucie Catstets, dénoncer le coup de force de la gauche l’accusant de vouloir imposer un Premier ministre à Macron. Ce plan a pris du retard puisque, pour l’instant, le NFP tient plutôt bien.

  3. S’assurer de mettre en place les fondements du prochain budget en envoyant les lettres plafond. Pour cela, il fallait attendre le dernier moment pour que cela passe crème, c’est-à-dire, le 20 août. Ainsi les ministères savent déjà les crédits qu’ils ne pourront dépasser en 2025, quel que soit le gouvernement auquel ils vont appartenir. Tant pis pour Barnier et à son futur ministre de l’Économie. Cela dépendra du RN… ICI Et au vu de la rétention de ces lettres par Bercy, devant la demande d’Eric Coquerel et Charles de Courson, on peut imaginer les fourberies économiques qu’elles recèlent. En tous cas, la classe politique de droite revigorée par ce tour de passe-passe n’a plus que la réduction des déficits publics à la bouche pour faire oublier cet ISF que le NFP brandissait depuis deux mois.

  4. Bien ficeler les accords avec Marine Le Pen pour faire passer Michel Barnier. C’est fait ! Cette nomination acte ainsi l’alliance avec un parti anti-Déclaration des Droits de l’Homme. Pour camoufler ce camouflet à la démocratie, toute la classe politicienne de droite et d’extrême droite ainsi que leurs médias ont alors parlé de l’union des droites alors même que le ministère de l’Intérieur et le Conseil d’État avaient jugé de la pertinence du classement à l’extrême droite du RN en mai dernier. C’est donc une union de la droite macroniste avec un parti non républicain de l’extrême droite qui a été conclue.

Au terme de ces deux mois d’attente, ce plan machiavélique a été rondement mené et les politiques néolibérales semblent sauvées, le RN ne les remettant pas en cause. Reste à savoir si ce plan fonctionnera jusqu’au bout. Mais bien malin sait ce qu’il y a dans la tête de Macron :

  1. Souhaite-t-il réellement de la stabilité politique alors qu’il n’a jamais su l’instaurer. Du reste, l’a-t-il jamais voulue quand il a pris le pouvoir en 2017 au vu de la bordelisation du pays depuis qu’il est à l’Élysée ?

  2. Souhaite-t-il qu’un macroniste lui succède ? Pas certain au vu de la montée de l’extrême droite qu’il n’a eu de cesse de favoriser pour mieux gagner lors de la présidentielle de 2022 !

  3. N’en a-t-il rien à faire que ce soit l’extrême droite qui lui succède, selon ce vieil adage « après moi le déluge » ? Qui serait étonné ?

  4. Ou veut-il créer une situation tellement pourrie qu’il n’aura que la solution de modifier la Constitution à sa main, comme l’a fait de Gaulle, sous prétexte de retrouver de la stabilité, mais qui lui permettrait de se représenter immédiatement ?

  5. Et n’oublions pas l’article 16 de la Constitution par lequel il pourrait prendre des pouvoirs exceptionnels s’il estime que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. Interruption qui ne serait que la conséquence de ses actes et dont il pourrait bénéficier en s’attribuant les pleins pouvoirs.

Avec Macron, il faut toujours s’attendre à pire sauf à sa démission.

Comment se sortir de ce piège infernal ?

Durant le règne bordelique de notre Jupiter national, de nombreux mouvements sociaux et écologiques se sont égrainés comme un long chapelet de cris et de fureur alimentés par la police de Macron. Le constat est sans appel : tous les droits sociaux et les libertés publiques ont reculé. Les quelques avancées ne sont le fait que d’une exception à la règle néolibérale. Quant au droit d’expression citoyenne, les morts, éborgnés et autres énucléés peuvent témoigner du césarisme répressif de Macron.

Un sondage indiquait avant cet ixième abus de pouvoir de Macron, que 63 % des Français étaient favorables à une nouvelle Constitution. ICI Avec l’épisode que nous sommes en train de vivre, ce chiffre ne peut avoir baissé. Au contraire…

La démocratie est une affaire de souveraineté du peuple et de valeurs comme l’égalité des droits, la solidarité, la fraternité, la liberté, la responsabilité, la justice, l’honnêteté, ou le respect de la nature. Emmanuel Macron ne respecte rien de tout cela. Pire : il a le cynisme de les revendiquer pour mieux les contourner, et les insulter.

Si nous voulons retrouver, le progrès social, écologique et démocratique, la seule voie de salut est désormais de changer de Constitution. Mais attention : il ne saurait être question de confier cette constitution à une classe politicienne qui a montré sa capacité à s’accaparer cette souveraineté. Et cette propension ne concerne pas uniquement le pouvoir en place, mais toute la classe politique de droite, de gauche et d’extrême droite. Car si elle envisage une autre constitution, elle n’envisage pas pour autant de partager son pouvoir avec le peuple. Tout au plus, elle prévoit des mécanismes participatifs pour avis et pas pour décision. Pour la droite, la raison est l’accaparation des richesses par la classe mondiale dominante. Pour l’extrême droite, ce sont les principes identitaires et celui de l’autorité de celui qui détient le pouvoir face à un peuple obéissant, voire servile. Quant à la gauche, son discours reste ambigu, déchirée qu’elle est entre ses égos, ses valeurs sociales et écologiques et une peur insidieuse de laisser au peuple une part du pouvoir coutumier de la représentation. Preuve en est que la convocation d’une constituante ne fait pas partie du programme des 100 jours du NFP mais seulement du chapitre «  Les mois suivants  ».

La rédaction de l’actuelle Constitution n’a pas fait appel au peuple mais a été le fait de deux comités, l’un, composé d’experts, présidé par Michel Debré, l’autre, interministériel, formé par le général de Gaulle lui-même. Au fur et à mesure de son avancement en âge et au gré de ses révisions et de l’usage qu’en ont fait les différents Présidents, nous sommes maintenant dans un régime qu’on peut qualifier de présidentialiste absolu.

Convoquer une Constituante paraît chose extrêmement compliquée, la Constitution ayant prévu un processus pouvant être bloqué à tout moment, notamment par le Sénat qui a beaucoup à perdre.

Il reste donc au peuple peu de solutions pour exiger la convocation d’une Constituante citoyenne. Il peut l’exiger de son bloc politique et attendre son bon vouloir. Il peut aussi prendre l’initiative de se mettre au travail, dès à présent, aux quatre coins de la France par comités locaux ou assemblées citoyennes pour débattre de ce projet de constitution et ainsi, mettre la pression sur la classe politique. Une autre solution, est celle qui avait présidé à la première constitution...


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