Une discussion avec un prêtre
par Kamal GUERROUA.
vendredi 24 juillet 2020
Un prêtre catholique avec qui j'ai eu, il y a quelques années, une discussion houleuse sur la question de la religion m'a dit, en ironisant : "Vous les musulmans, vous avez un gros problème dans la tête, sorte de schizophrénie inguérissable : vous voulez tous une modernité à l'européenne, mais vous ne voulez pas appliquer la laïcité, qui est le fondement même de cette modernité-là. "
Sur le coup, je n'ai pas hésité à montrer dans la face de mon interlocuteur mon papier d'identité et à lui suggérer de prendre tout son temps pour lire attentivement ce qui est marqué dans la case "nationalité". "Algérienne", dit le prêtre, surpris par ma réaction intempestive. "Pourquoi tu m'as parlé alors en tant que sujet-croyant, et non pas en tant que citoyen algérien, comme le signale bien mon passeport et le préconisent les règles de la laïcité ?" " Je pense que, puisque le Maghreb est historiquement musulman, tu ne peux forcément qu'être musulman et c'est sur cette base-là que je me suis permis de m'adresser à toi en tant que musulman" " Faux comme argument Monseigneur" "mais pourquoi ?" "D'abord, parce que le Maghreb n'est pas historiquement, et de manière exclusive, musulman, mais il fut aussi païen, juif, chrétien, et tu n'es pas sans savoir que cette diversité cultuelle forme le Maghrébin d'aujourd'hui, avec toute sa complexité. Puis, qui t'a dit que je suis moi-même musulman, alors que dans mon document officiel, il est marqué "Algérien" ? N'y a-t-il pas dans ton propos une volonté d'essentialiser les géographies, les cultures, les identités, ce qui est à l'opposé du principe même de la laïcité que tu défends avec acharnement ?" "je n'essentialise pas ta culture, mais je pense qu'on est tous, quelque part culturellement, façonnés par le milieu dans lequel on a vécu. Un juif ou un chrétien d'Algérie, même s'il assume sa judéité ou sa chrétienneté reste, quelque part, culturellement façonné par l'Islam" "comment ça ?" "lorsqu'on vit dans une culture où l'on est minoritaire, on adopte malgré nous (psychologiquement parlant), la foi de la majorité, et cela influe sur nous sans que ne nous le sachions : c'est un phénomène que j'ai remarqué chez tous les chrétiens qui nous viennent du Maroc, de Tunisie et d'Algérie"
"Mais, si je suis, par exemple, ton raisonnement l'Européen ne peut être que chrétien, l'israélien juif, et le syrien musulman. Or, la laïcité que tu soutiens défend l'homme, où qu'il soit et quel qu'il soit, parce qu'il est d'abord humain, indépendamment de sa foi (qui lui appartient de façon exclusive) ?" " Non, c'est pas pareil, rétropédale le prêtre. Chez nous (les occidentaux), il y a la liberté du culte (garantie dans les textes et respecté sur le terrain) et chacun est libre de choisir la foi qui lui convient, en toute indépendance. Mais chez vous (les musulmans), vous êtes tous obligés d'être musulmans. Et si jamais il y a des minorités chrétiennes ou juives, elles sont marginalisées, socialement invisibles, parce qu'en proie à de possibles persécutions de la part des fanatiques, et parfois même des appareils d'Etat, en connivence avec l'islamisme" "Encore un faux pas !" "pourquoi ?" "Eh bien, je pense que tu mélanges entre les textes de lois, le terrain et la foi proprement dite. Or la foi, de mon point de vue, se vit à l'intérieur de soi, elle est privée et relève de l'intime. Si je veux être juif, chrétien, musulman, athée, ou je ne sais quoi, aucune loi, aucune constitution ni loi fondamentale, fût-ce celle d'un empire ou de la pire dictature qui soit, ne peut entrer à l'intérieur de mon cœur (le foyer de ma foi), pour le contraindre à changer d'avis. Et c'est en cela même que je peux te confirmer que chaque croyant (au sens de la vraie foi), est en lui-même un laïc, parce qu'il ne s'impose sa foi qu'à lui-même, d'où la supériorité de son statut de "citoyen", par rapport à son statut de "fidèle-croyant."
Kamal Guerroua.