Une petite vermine
par Renaud Bouchard
lundi 22 octobre 2018
« Les souvenirs sont des armes secrètes que l'homme garde sur lui lorsqu'il est dépouillé. »
« Un désir comme du sang à vos pieds a coulé hors de moi, un désir que je ne connais pas et ne reconnais pas, que vous êtes seul à connaître, et que vous jugez. »
« Mais que faire de son regard ? Regarder vers le ciel me rend nostalgique et fixer le sol m’attriste, regretter quelque chose et se souvenir qu’on ne l’a pas sont tous deux également accablants. Alors il faut bien regarder devant soi, à sa hauteur, quel que soit le niveau où le pied est provisoirement posé. »
Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton (Ed. de Minuit, 1987)
« Et je suis ici, en parcours, en attente, en suspension, en déplacement, hors-jeu, hors vie, provisoire, pratiquement absent, pour ainsi dire pas là (...) »
Du même B-M. Koltès, superbe dramaturge.
On notera l’usage constant du mot « braquage » sur toutes les radios et télévisions depuis la diffusion de cette nouvelle information toxique qui n’a rien de fallacieux (et l’on se félicitera de la présence interdite dans les établissements scolaires d’un téléphone portable qui aura permis de filmer et diffuser ce très sordide exploit mettant en valeur la difficulté de communiquer en marche vers un paroxysme haletant, malgré les ricanements des acteurs, entre un professeur et un élève, quelque part en France).
Beauté et magie du théâtre !
Un « braquage » n’étant jamais plus – et cela est amplement suffisant – qu’une attaque et une menace de violence à main armée (et peu importe le caractère factice ou non de l’arme utilisée introduite dans le même établissement scolaire, sans doute avec une panoplie de couteaux ou, qui sait ?de véritables armes de poing) pour se faire remettre ou obtenir la remise d’une chose indue, qu’il s’agisse de sommes d’argent ou, comme en l’espèce, d’une inscription fausse sur un registre de présence.
Sortilèges du verbe !
La faillite complète de l’éducation nationale est plus que jamais établie et il est souhaitable que cette vidéo (le caractère animé des images leur donnant une vérité accrue) fasse le tour du monde afin que chacun voie, comprenne, mesure l’étendue de cette immense vérole, de cette gangrène incroyable que représente une intégration parfaitement ratée et un vivre-ensemble qui ne sont qu’une impasse fondamentale et une tragi-comédie à laquelle il convient désormais de mettre un terme.
Sorcellerie des images en mouvement !
Que ce grand jeune homme - un criminel au comportement criminel, faut-il le préciser -, monté rejoindre son Professeur sur l'estrade (non, il n'y a plus d'estrade mais celle-ci sera bientôt remplacée par une fosse), cet Elève assoiffé de savoir et présenté comme sympathique et plein de sève et de richesse intérieure soit encore en liberté n’a donc rien de surprenant puisque désormais tout est relatif et que, faut-il le répéter, l’arme - que dis-je ? l'objet qui a rejoint sa main - n’était que factice, tout comme la mise en scène « entre les murs », sans doute, ainsi que la chorégraphie de ses petits camarades en train d’immortaliser l’événement pour diffuser la leçon professorale (une relecture de La Princesse de Clèves, sans doute) sur les réseaux sociaux.
Non. Il ne s’agissait que de la solitude d’un élève dans les champs de coton ou de canne, un élève touché par le théâtre de B-M. Koltès et sa dramaturgie, qui tirerait grand avantage d'une vie passée pour de très longues années au grand air, n'ayant plus qu'à rentrer harassé après avoir vécu une grande et belle journée au soleil à chanter « You load sixteen tons » après avoir écouté The Platters.
Bagarre et Problème sont mes prénoms,
J'ai été élevé au « Champ de canne » près d’une
vieille mine de montagne,
« Je veux surveiller chaque battement de ton cœur, chaque souffle de ta poitrine ; l'oreille collée contre toi j'entendrai le bruit des rouages de ton corps, je surveillerai ton corps comme un mécanicien surveille sa machine. Je garderai tous tes secrets, je serai ta valise à secrets ; je serai le sac où tu rangeras tes mystères. Je veillerai sur tes armes, je les protégerai de la rouille. Tu seras aussi mon agent et mon secret à moi, dans tes voyages, je serai ton bagage, ton porteur et ton amour », écrit B-M. Koltès dans Roberto Zucco, Tabataba .
Mais que l’on se rassure. Toutes les pleureuses de l’éducation nationale sont là pour donner une seconde chance à ce grand garçon rempli de mystères, bouillonnant de vie et de ressources.
Menacer un professeur est inacceptable. J’ai demandé au ministre de l’Éducation nationale et au ministre de l’Intérieur de prendre toutes les mesures pour que ces faits soient punis et définitivement proscrits de nos écoles.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 20 octobre 2018
Quant aux "mesures" qui devraient être prises et au plan d'action annoncé par MM. Blanquer et Castaner , http://www.leparisien.fr/societe/prof-braquee-a-creteil-blanquer-et-castaner-annoncent-un-plan-d-actions-21-10-2018-7924437.php, lesquels ont déclaré que :" « la sanctuarisation de l’espace scolaire est la base fondamentale de la vie scolaire et de tous les apprentissages », nul doute que la meilleure des sanctuarisations serait de vider l'enseignement public et les écoles des perturbateurs et voyous qui n'ont manifestement rien à y faire.
Qu'attend donc le chef de l'Etat qui est désormais ballotté de crises en crises, de faits divers successifs, victime assumée d'événements qui s'imposent à lui et de circonstances qu'il ne maîtrise plus ?
Qu'attend-il ? Que le prochain agresseur d'enseignant agisse en étant muni d'une véritable arme de poing ?
Sources :
https://youtu.be/Hngr4XarQ-k?t=11
https://journals.openedition.org/erea/1741
https://www.youtube.com/watch?v=keXcDRT7jb4