Une politique immigratoire schizophrène

par Henry Moreigne
jeudi 4 octobre 2007

Test ADN, quotas, chasse aux sans-papiers, suspicion généralisée, c’est l’image de la France, patrie des droits de l’homme qu’on assassine. Les élites de la société civile acceptent de moins en moins des dispositifs législatifs au mieux mesquins au pire odieux qui sous prétexte de pragmatisme balayent nos grands principes et s’assoient sur les dettes d’un passé où la France était irrésistiblement tournée vers l’étranger. La bataille de l’opinion, celle des cœurs, est engagée. Les “élites”, les éclairés se doivent de faire comprendre à leurs compatriotes que dans un monde ouvert il est illusoire et dangereux de faire de l’étranger un bouc émissaire. Sans parler d’ouvrir toutes grandes les portes, une politique immigratoire audacieuse et intelligente est une chance pour un pays vieillissant.

Le fameux amendement Mariani autorisant le recours à des tests ADN dans le cadre du regroupement familial a été adopté dans une nouvelle version allégée par les sénateurs dans la nuit de mercredi 3 à jeudi 4 octobre. Par le nombre de personnes concernées, de l’ordre de 1 000 à 2 000 par an, il est par lui-même anecdotique. Si la bataille législative est perdue, elle aura néanmoins été l’occasion d’aiguillonner les consciences. Elle révèle une France schizophrène qui refuse aux étrangers les principes juridiques et moraux qui constituent pourtant sa grandeur. L’amendement Mariani restera, comme l’ont souligné de nombreux opposants, une mesure “discriminatoire et inutile”. Si on le rapproche du déterminisme génétique évoqué par Nicolas Sarkozy pendant la campagne électorale sur une origine génétique de la pédophilie, de la chasse aux étrangers en situation irrégulière, il contribue à dessiner une France qui rappelle de bien mauvais souvenirs. La suppression mercredi par la commission des Lois du Sénat d’un amendement du projet de loi sur l’immigration qui limitait l’accès des sans-papiers aux centres d’hébergement d’urgence atteste de l’état d’esprit actuel.

Autorité morale incontestable, le sénateur Robert Badinter a tenté de sensibiliser ses pairs sur la portée symbolique de l’amendement Mariani : “Ce que nous faisons là est une erreur (...). Le retentissement que ce texte aura en Afrique et dans d’autres pays sera totalement négatif”. Dans une tribune publiée dans les colonnes de Libération du 4 octobre, Catherine Tasca, sénatrice (PS) des Yvelines, ancienne ministre, et Pierre Moscovici, député (PS) du Doubs enfoncent le clou :

“La politique de l’immigration voulue par Nicolas Sarkozy porte gravement atteinte au crédit de la France dans le monde. Depuis des décennies, on s’est habitué à considérer l’immigration (et pas seulement l’immigration clandestine) comme un fardeau insupportable. Loi après loi, on s’enfonce un peu plus dans la suspicion, la peur, le rejet. La vraie question est : quelle relation voulons-nous pour demain entre l’étranger et nous ? ... Regardons la réalité en face : les mouvements de population dans le monde vont s’amplifier. Il faut donc aborder cette question positivement. Force est de constater que l’immigration n’est pas en volume le problème considérable que l’on dit. La proportion d’étrangers sur notre territoire est stable depuis vingt-cinq ans...

De ’l’immigration choisie’ au discours de Dakar, en passant par la politique verrouillée des visas, la France apparaît à nos partenaires étrangers suspicieuse, frileuse et un tantinet xénophobe. Et la droite réussit le tour de force de brouiller la France avec la communauté francophone.”

Les deux parlementaires ne sont pas les seuls à s’inquiéter. La conférence des évêques de France a déploré lundi, à propos du projet de loi controversé sur l’immigration, la mise en place de “mesures toujours plus restrictives” contre les migrants, y voyant des “concessions à une opinion dominée par la peur”.

L’OCDE se joint aux critiques en dénonçant l’alourdissement du parcours du combattant pour un cadre étranger qui doit professionnellement s’installer en France (test de langue, voire une formation linguistique). La précédente loi de juillet 2006 avait déja rendu obligatoire la signature d’un contrat d’accueil et d’intégration pour tout nouvel arrivant, même pour les salariés en mission temporaire. On parle désormais de carte de compétence. S’ ajouteront bientôt, les dispositions de la nouvelle loi qui vont encore plus compliquer l’installation des couples binationaux en France. Autant de mesures excessivement contraignantes qui altèrent l’attractivité et l’image de la France.

La chanson de Charles Trenet Douce France est définitivement désuète. La douce France ne sera pas pour beaucoup le pays de leur enfance.


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