Une présence au quotidien

par Bernard Mitjavile
jeudi 26 avril 2018

« Je suis croyant, pas croyant », « j’ai la foi ou pas la foi », ces affirmations en réponse à des questions binaires posent les termes d’un débat faussé, divisant artificiellement l’humanité en croyants et non croyants.

En effet parler de foi ou de croyance en Dieu sans approfondir la nature de ce Dieu ne dit pas grand chose. Ce langage pouvait être compréhensible dans une société culturellement catholique où la croyance ou foi s’identifiait à une foi catholique bien définie mais aujourd’hui, que veut dire ce croire, croire en quoi ? Peut-être que croire ou ne pas croire, là n’est pas la question.

« Croyez-vous en Dieu, Dieu existe-t-il ? Y-a-t-il une vie après la mort ? Qu’est ce que sont le bien et le mal ? » Ces grandes questions métaphysiques nous paraissent souvent éloignées de la vie quotidienne. L’important dans ce domaine comme dans tout autre est de poser les bonnes questions si l’on veut trouver de bonnes réponses, or ces questions sont souvent mal posées. Ainsi on ne devrait pas dire « croyez-vous en Dieu ? » mais en quel Dieu ou idole croyez-vous. En effet, il y a un fossé entre le Dieu du sermon sur la montagne de Jésus et le Dieu des Jihadistes.

Et que veut dire croire, adhérer à un crédo ? Au Credo catholique avec des notions comme la résurrection de la chair qui laissent la porte ouverte à toutes les interprétations, à « la sainte Eglise catholique », expression qui n’est plus trop comprise ou acceptée, s’agit-il de croire en mon curé, mon médecin, gourou, dirigeant politique, etc..

Les athées ont leurs dieux ou idoles, que ce soit la croyance au progrès de l’humanité, la croyance humaniste en la bonté fondamentale de l’être humain, croyance quelque peu secouée par deux guerres mondiales et autres déchaînements de violence ou celle en l’avancée des sciences contribuant au bonheur humain, la croyance à la matière comme source de toute réalité, matérialisme qui a sa version dialectique ou tout simplement la croyance à Tyché, la déesse de la chance ou du hasard, ou aux configurations astrologiques.

En fait, croyant, tout le monde l’est à sa façon : les uns croient avec le philosophe Michel Serres que le monde s’améliore de façon spectaculaire, d’autre que tout va de mal en pis, certains selon l’humeur du jour, voient la vie en rose ou broient du noir, les uns croient que le climat se réchauffe à cause des activités humaines, croyance pour laquelle ils sont prêts à dépenser des sommes astronomiques (en général pas de leur poche mais de celles des autres), d’autres croient le contraire ou tout au moins que cela ne dépend pas de l’homme, comme le président Donald Trump qui ne veut pas dépenser les sommes en question.

La foi, quelque soit son objet, est une réalité humaine universelle, aussi il est bon de se rappeler la phrase de G.K. Chesterton selon qui « Quand les gens cessent de croire en Dieu, ils ne cessent pas de croire mais se mettent à croire en n’importe quoi ».

Quant à la croyance à la vie après la mort, on peut se demander d’abord de quelle vie et de quelle mort il s’agit et se rappeler la phrase de Jésus « Celui qui cherchera à sauver sa vie la perdra, et celui qui la perdra la retrouvera », indiquant qu’il y a différentes qualités de vie, qu’il ne s’agit pas simplement de survivre en faisant partie de ces « morts qui vont enterrer leurs morts » mais de vivre pleinement dès maintenant.

Aussi, au lieu de partir de ces questions métaphysiques, ne vaut-il pas mieux partir de la vie quotidienne ? Comment cette relation avec Dieu est-elle vécue au quotidien par ceux qui y croient et en quoi est-ce que cela modifie leur perception de la vie, des relations humaines ?

Les évangiles, base de la foi chrétienne ne proposent pas avant tout une nouvelle morale ou théologie, les commandements de l’Ancien Testament les précèdent, mais un approfondissement des questions morales qui sont remplacées dans le sermon sur la montagne par une attitude face à son prochain, une façon de considérer la vie différente.

Heureux les humbles, les doux, les purs, les artisans de paix, les assoiffés de justice, les persécutés…, il ne s’agit pas vraiment de commandements moraux mais d’attitudes, de caractères et d’une promesse que ces attitudes « auront leur récompense ». Jésus insiste sur le pardon ou la réconciliation comme plus important que le respect de la loi religieuse comme dans le cas de la femme adultère (« Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ») ou dans diverses paraboles comme celle du mauvais serviteur qui après avoir vu ses dettes effacées par son maître, va réclamer une dette bien inférieur à un de ses serviteur et le jette en prison pour le forcer à le rembourser ou celle le fils prodigue, la prière du Notre Père et bien d’autres enseignements ou paraboles. Ce qui compte, ce n’est pas de respecter une loi ou morale mais de réconcilier et d’établir des relations d’amour même si cela ne dispense pas d’une conduite morale (Jésus dit à la femme adultère « va et ne pèche plus »).

Un autre aspect de la foi évangélique, c’est la certitude d’une présence invisible qui « voit dans le secret » et avec laquelle il faut compter. Ainsi quand on fait l’aumône ou une bonne action ou un jeûne, si l’on le fait pour être vu comme les pharisiens qui proclament leurs actes de charité en public, alors « on a sa récompense » qui ne vient pas de Dieu et qui consiste généralement à soigner sa bonne réputation jusqu’à ce que tout le monde réalise qu’il s’agit d’hypocrisie. Par contre, si on le fait « dans le secret, alors « votre père qui est dans les cieux le voit » et vous récompensera. De même, en étant généreux avec les autres et ceci sans le proclamer, alors on « amasse des trésors dans le ciel ».

Les « commandements » comme aider les nécessiteux même si la société les abandonne, défendre le bien et la justice même si le monde les nie, ne pas chercher à se venger et rendre le bien pour le mal, présupposent tous une présence invisible agissante qui parle à notre conscience et œuvre avec les hommes au bien et à la justice. Ces paroles ancrent la conviction au cœur de l’homme qu’avec l’aide de cette présence, un jour le bien triomphera, le Royaume de Dieu et sa justice viendra ou plus simplement que « we shall overcome someday » pour reprendre la chanson du combat pour les droits civiques des noirs mené par Martin Luther King. Ainsi la foi en Dieu se traduit par un engagement pour le bien, l’amour vrai envers les autres car comme l’écrit Jacques, « le frère du Seigneur », dans ses lettres "la foi sans les œuvres est morte".

L’homme est appelé à écouter la voix de sa conscience au plus profond de lui comme Martin Luther risquant sa vie devant la diète de Worms (« il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience ») ou Dietrich Bonhoeffer animant la résistance face à Hitler, finalement condamné à mort et à craindre « ceux qui peut faire mourir l’âme » et non ceux qui tuent le corps seulement.

La confiance en Dieu peut se traduire par une confiance plus générale en la vie malgré les revers et déceptions personnels, confiance qu’au final, le bien semé n’est pas perdu et finira par porter des fruits, confiance qui va de pair avec un sentiment de gratitude pour la vie, l’univers (soleil, lune, eau, vent etc..) et même la mort (voir le chant de louange de François d’Assise). Cela va de pair avec une sensibilité à la beauté universelle telle qu’on la voit dans les fleurs des prés ou les oiseaux des champs dont parle l’évangile, thème que l’on retrouve chez les écrivains taoïste ou plus récemment dans l’encyclique écologique du pape François« Laudato Si ».

La présence invisible de ce Dieu que Jésus appelle Père ou notre Père traverse tous ces sermons, paraboles, actions ou « signes » prononcés ou effectués par lui. Aussi, on ne peut parler d’une morale « laïque » sans racines, d’un code de vivre ensemble en société ou d’une méthode de développement personnel. Mais ces morales, codes et méthodes ont montré depuis un certain temps leurs limites en particulier à cause de leur manque de transcendance, de justification ultime alors que l’approche évangélique garde sa force et continue à réveiller les consciences.

La vérité du christianisme qu’un article aussi court ne prétend pas véritablement couvrir, est quelque chose qui se vit et non une théorie qui se discute et ne peut donc être approché uniquement par le discours. On ne peut vraiment en parler si on n’a pas essayé de la vivre ou d’en vivre. « Quiconque entend ces paroles que je dis et ne les met pas en pratique, sera semblable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable » nous dit Jésus.

Sans en appeler au pari de Pascal, pari quelque peu teinté de menaces, mais en questionnant sa conception de la vie et les valeurs qui la guident, on peut mieux approcher cette réalité vécue par les chrétiens d’une présence invisible, source de bonté, dont l’existence devrait au moins être envisagée par les autres.

En approchant ainsi la question de l’existence de Dieu et de la foi, on s’éloigne de débats qui n’amènent pas grand chose en allant à ce qui nous concerne plus directement. Cette approche existentielle passant par-dessus les fossés créés par les arguments d’ordre théologique ou philosophique, peut s’adresser à des « croyants » comme à des « non-croyants », après tout, tout le monde écoute plus ou moins la « voix de sa conscience », les amenant à réfléchir sur ce qui leur donne envie de vivre, leur donne le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue, les valeurs qui sont les leurs et non en les empêtrant dans un débat métaphysique ou philosophique sans prise directe avec leur quotidien.

Les accusations souvent renouvelées contre l’inquisition, les abus de l’église, la confusion des pouvoirs religieux et politique ou même la pédophilie de certains prêtres, perdent de leur force dans cette réflexion, car s’il est bien de dénoncer des abus ou scandales comme Jésus l’a fait très vigoureusement à l’égard des pharisiens et religieux de son temps, l’essentiel est de répondre à la soif spirituelle de l’homme.

Ainsi, si un historien comme Jean Sévillia du Figaro, auteur de « Historiquement incorrect », argumente que l’Inquisition a représenté un progrès dans l’évolution du droit, on ne va pas contre-argumenter mais simplement dire que les Evangiles se situent sur un autre plan et que les procès de la « sainte » inquisition ne reflètent pas le commandement de Jésus d’aimer ses ennemis, de prier pour eux et de les bénir. Sans aller plus loin, on peut au minimum admettre que les autodafés (envoi au cours d’une cérémonie publique « d’hérétiques » et autres sorcier(e)s au bûcher) n’étaient pas l’expression du commandement évangélique de l’amour du prochain.

Il ne s’agit pas de défendre telle personnalité religieuse, de compter les crimes de l’église par rapport à ceux de la Révolution française en Vendée et ailleurs en les opposant les uns aux autres dans des débats qui ont marqué le 19 et le 20 siècle en France, chaque camp accusant l'autre pour tout ce qui va mal dans le pays, mais d’accepter que les institutions et personnes sont imparfaites, fautives ou ont leurs limites dans une époque donnée, ce qui ne nous empêche pas de découvrir progressivement un message qui se vit, est tourné vers l’avenir amène à des remises en question individuelles comme collectives.

Finalement, la réponse à nos questions métaphysiques est plus de l’ordre du témoignage d’une présence aimante et active au quotidien dans nos vies que d’un débat théologique, présence nous incitant à nous libérer de nos ressentiments, angoisses, égoïsmes et à œuvrer à un monde meilleur.


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