Une publicité Leclerc suscite deux jugements contradictoires en justice

par Paul Villach
vendredi 13 novembre 2009

L’enseigne de grande distribution Leclerc s’est souvent signalée par des campagnes publicitaires originales. Elle se présente, en effet, quasiment comme un syndicat de défense du pouvoir d’achat des consommateurs. Le paradoxe est un peu fort de café, mais il faut croire que les cibles visées sont touchées au cœur, puisque l’enseigne ne change pas de stratégie.

 Une parodie des affiches de mai 68
 
 Il n’y a pas si longtemps, l’enseigne Leclerc est allée ainsi jusqu’à détourner des affiches de Mai 68 en parodiant les slogans illuminés de l’époque pour revendiquer le blocage des prix : « La croissance oui, sauf celle des prix !  » lisait-on. « Il est interdit d’interdire de vendre moins cher. » « La hausse des prix oppresse votre pouvoir d’achat  » (voir photo ci-dessous).
 
On sait comment, à cet effet, l’enseigne opère depuis l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles qui a confirmé le 29 octobre 2009 un jugement du tribunal de Nanterre condamnant le Groupement d’achats des centres Leclerc (Galec) à restituer 23,3 millions d’euros à 28 fournisseurs (dont Yoplait et Fleury-Michon) : il s’agit du seul remboursement « des marges arrière indues », c’est-à-dire des sommes perçues sans contrepartie commerciale durant les années 1999-2001. 
 
Le paradoxe d’une parure de comprimés, pilules et gélules
 
Mais 14 jours plus tôt, c’est l’enseigne qui a gagné contre la société Univers Pharmacie, sise à Colmar, Direct Labo et les syndicats de pharmaciens USPO et UNPF. Elle avait été assignée en référé pour une campagne publicitaire perçue comme un dénigrement des officines de pharmacie.
 
Enfourchant comme d’habitude son cheval de bataille de chevalier blanc en guerre contre la hausse des prix, l’enseigne s’attaquait au coût des médicaments. Une affiche, en particulier, (voir photo ci-contre) présentait une curieuse parure de luxe ornant un présentoir d’orfèvre en forme de gorge féminine accompagné du slogan suivant : « Avec l’augmentation du prix des médicaments, soigner un rhume sera bientôt un luxe  ».
 
Pour capter l’attention, le paradoxe est saisissant : mis hors-contexte comme tout présentoir en vitrine pour concentrer le regard sur lui, le collier de luxe que l’on prend d’abord, par intericonicité, pour une parure de perles et de pierres précieuses, est en fait composé de vulgaires comprimés, de pilules et de gélules où le blanc uniforme de l’asepsie contraste avec deux rangs de couleur sur la chair de la gorge. La contradiction apparente vient évidemment de ce qu’on en use pas ainsi avec les médicaments : ce ne sont pas des parures de prix qu’on expose sur soi pour séduire ; leur grande valeur est de soigner des maladies. Et à y bien réfléchir, pourvu qu’ils soient absorbés selon une prescription médicale, ils sont même infiniment plus précieux que des perles, puisqu’ils peuvent aider à sauver une vie.
 
L’ironie jusqu’au sarcasme
 
 La solution est donc à rechercher dans une métonymie qui, ici, présente l’effet pour la cause : si les médicaments rivalisent avec un collier de perles, au point de mériter d’orner un cou féminin, c’est qu’ils les concurrencent désormais en prix et sont donc devenus aussi précieux. On ne les avale plus pour se soigner puisqu’ils sont hors de prix ; il est même devenu de bon ton pour une femme de les exhiber sur sa gorge à l’instar d’une rivière de diamants.
 
L’hyperbole de l’image offerte est tout de même passablement outrancière. Elle ne devient recevable que si on voit dans cette exagération un indice d’ironie poussée jusqu’au sarcasme  : il convient de comprendre, en effet, que l’enseigne Leclerc dit le contraire de ce qu’elle pense. Loin de vouloir faire des médicaments les rivaux des perles et pierres précieuses, elle entend seulement stigmatiser le coût jugé exorbitant des médicaments.
 
Ainsi doit être stimulé un réflexe de révolte et de condamnation de cette situation, et par voie de conséquence, de ses responsables : sont évidemment visés les laboratoires et les officines de pharmacie, accusés implicitement de cynisme pour pratiquer des prix exagérés. Est-ce à tort ? Simultanément, le chevalier Leclerc doit s’attirer, par un réflexe inverse, la sympathie chez les victimes au secours desquelles il court.
 
Le désaccord des instances judiciaires
 
Il est intéressant d’observer que la justice saisie a émis sur cette campagne un avis contradictoire selon les instances. Le tribunal de grande instance de Colmar l’a d’abord interdite le 21 avril 2008, y voyant une « pratique commerciale déloyale  », nuisant « nécessairement et évidemment aux pharmaciens d’officine » tout en faisant la promotion des « parapharmacies Leclerc  ».
 
La cour d’appel, le 7 mai suivant, a, au contraire, infirmé le jugement. Et le 13 octobre dernier, la cour de cassation a confirmé l’arrêt, ne voyant pas dans cette campagne de « trouble manifestement illicite » : « L’image d’une parure faite de pilules et de gélules, dit-elle, est sans doute d’une ironie un peu agressive, mais elle ne dépasse pas les limites de ce qui est permis en matière d’expression humoristique. » (1) La liberté de création publicitaire y gagne et peut-être un peu aussi la Sécurité sociale. Du moins faut-il l’espérer. Paul Villach
 
(1) Le Monde fr. 15.10.2009
 

Documents joints ŕ cet article


Lire l'article complet, et les commentaires