Une révolution, non ; un parti révolutionnaire, oui !

par Bernard Dugué
lundi 18 mai 2009

D’après Ellul, pour n’en citer qu’un mais beaucoup pensent de même, il faut distinguer révolution et révolte (insurrection, fronde). La première est motivé par un puissant ressort, l’espérance d’un monde meilleur, et déterminée par une idéologie, système de règles et valeurs conditionnant ce monde espéré. L’insurrection ou la révolte se présente différemment, avec un puissant ressort émotionnel. Cela dit, autant il est trompeur d’opposer raison et passion, autant il est inexact de voir dans la révolution un mouvement froid sans passion et dans la révolte un mouvement aveugle, qui ne sait pas pourquoi il se met en branle. Comme le suggère une formule ayant signé un titre de livre co-écrit par Sartre, « on a raison de se révolter ». En allant plus loin dans la profondeur du temps et l’usage de vocables militaires, on serait tenté de dire que la révolution commerce avec la stratégie, autrement dit, se déploie dans une séquence longue d’actions, décisions et productions, alors que la révolte participe plutôt de la tactique. La révolte se place comme un dispositif spatial et temporel, puis se dissout une fois les effets obtenus ou avortés. 1789 fut une révolution, 1917 aussi, et du reste, l’archétype de la révolution, mai 68 a été plus une insurrection qu’une révolte, un peu comme la Commune de Paris.


En 2009, le spectre d’une révolution est brandi par quelques analystes et autres personnes en vue ayant un lien avec la société, ce qui est le cas des hommes politiques. Pourtant, la raison ne penche pas du côté d’une révolution, ni même d’une insurrection nationale. Une chose est certaine, un sentiment de mécontentement et de frustration a gagné la France. Et pour les autres, les plus exposés, c’est carrément la colère qui s’exprime et se manifeste avec une certaine violence. Pourtant, un mouvement de révolte de grande ampleur semble hautement improbable. Pourquoi ? Parce que la majorité des travailleurs sont protégés de la crise. Perdre quelques points de pouvoir d’achat n’a rien de dramatique. C’est dans la tête que ça se passe, ça énerve, au vu des salaires des patrons et des abus constatés dans le monde des élites. Les classes moyennes ont tout à perdre dans une révolution. Quant aux précaires et autres laissés pour compte, ils n’ont rien à gagner dans une révolution. L’affaire semble classée. D’ailleurs, l’anticipation de la révolution s’oppose à sa réalisation. Personne n’avait anticipé mai 68. C’est pour cette raison que la fronde étudiante puis nationale fut spontanée et de grande ampleur. Une fronde anticipée aurait été bien moins intense.


L’analyse la plus pertinente consiste à noter que la France est imprégnée d’un sentiment de révolte mais n’est pas disposée à faire une révolution. C’est dans la tête que cela se passe, même si des événements sporadiques trahissent des situations mal vécues. Que ce soit dans des entreprises ou dans certaines zones hélas habituées aux problèmes, ces ghettos de banlieues dont la fabrication remonte à trente ans, à la fin des seventies. Une montée des violences contre la police, contre la société et une police qui elle aussi, devient violente contre les citoyens. L’avocat du diable n’y verrait rien de préjudiciable au fonctionnement d’une société, la violence étant presque un phénomène social naturel, et en France, pas plus étendue qu’aux Etats-Unis, pays faisant référence en matière démocratique, enfin, disons que l’image fut écorné par l’ancien locataire de la Maison blanche.


Au final, la révolution a peu de chance de se produire dans le contexte actuel où les gens sont anxieux mais aussi attachés à leur mode de vie. Une vaste majorité de stabilité sociale est présente. Et pour le reste, une répression très professionnelle est pratiquée et l’on ne voit pas quelques « sauvageons de banlieue » défaire la police nationale comme fut défaite l’armée romaine au moment de la chute. La révolution est une idée, riche de sens, complexe mais rien qu’une idée, pas un ressort. Un peu comme la pandémie grippale, plus une « idée qui fait peur » qu’un véritable événement sanitaire aux conséquences foudroyantes.


Un hégélien verrait dans la situation actuelle des contradictions surmontées. En effet, les Français sont contre l’ordre établi mais ils ne sont pas prêts à le changer. Et encore, c’est à voir, car il suffirait d’une bonne cagnotte pour faire accepter la société et le sort qu’elle réserve à son armée de travailleurs de réserve, les intérimaires, les déclassés, les licenciés. Mais s’il s’avérait qu’une majorité soit vraiment agacée contre l’essence du régime actuel, alors, nul besoin d’une révolution, il suffit d’un parti politique révolutionnaire, de quelques idées fortes pour l’avenir et d’une adhésion populaire. Un tel parti n’existe pas. Je parle d’un parti révolutionnaire mais républicain dans l’âme et radical par l’esprit. Porteur d’un projet de société aux valeurs et bases choisies. L’idée de révolution qui se répand en France, eh bien c’est une mauvaise pensée citoyenne, liée à l’incapacité des partis d’opposition à proposer une autre direction.



Lire l'article complet, et les commentaires