Union Européenne ou Europe des Etats-Nations ?
par Octave Lebel
jeudi 25 février 2021
Il me semble que avec ses trente dernières années qui viennent de s’écouler, vécues ou étudiées, beaucoup d’entre-nous ont compris que des changements majeurs vont se faire et que ce serait mieux que ce soit avec notre vigilance, notre participation et notre contrôle puisque c’est la promesse de la démocratie.
L’Union Européenne, c’est l’assaut d’un petit groupe de personnes aux références et contours cosmopolites imprégné de la culture anglo-saxonne et notamment américaine, confondant coopération internationale et gouvernance mondiale.
C’est en réalité, imposée par l’histoire, les divisions et les intérêts de nos classes dirigeantes, la forme de domination des Etats-Unis sur le continent européen et ses états-nations qui n’avaient trouvé que le moyen de la guerre au détriment de leurs peuples en négligeant la complémentarité de leurs intérêts et la richesse de leurs différences pour tenter de construire un espace géographique, politique, économique et culturel de coopération et de relation avec le reste du monde.
Etats-Unis dont la puissance (la force) est le moyen, la garantie et le dernier mot (monnaie du commerce mondial imposée et quasi incontournable, droit américain externalisé à toutes transactions, captation des avancées scientifiques et technologiques et des cerveaux de tous pays avec sa part propre aussi, puissance militaire active qui tient en respect le monde entier).Puissance qui intervient partout où elle le juge nécessaire afin de défendre ses intérêts et comme réduit à une fuite en avant faute de s’envisager comme un partenaire dans le concert des nations.
Petit groupe qui à partir de la fin du siècle précédent a souhaité en y lançant toutes ses forces et sa détermination installer une oligarchie supranationale, un modèle d’oligarchie en référence au suzerain d’outre-Atlantique, et qui, décidé à pérenniser et développer sa connivence (allégeance et soumission assumées et ressenties comme une distinction et promotion par cette partie des élites) use maintenant d’un vocabulaire et de représentations issus du système politique des Etats-Unis sans plus se cacher. Avec une bonne oreille ou un petit tour sur les sites de l’UE sans oublier les thing tanks, vous serez édifiés si cela vous a échappé.
Petit groupe qui avec le monde anglo-saxon dominant s’est s’appuyé sur l’Allemagne libérale prise dans un jeu de dépendance vis-à-vis de l’empire américain en expansion et de sa propre survie en raison de la deuxième guerre mondiale, de son occupation et sa partition. Une Allemagne ayant du renoncer à l’esprit même de la souveraineté pour une nation et qui s’est occupée à maintenir son identité et sa cohésion laborieusement en se faisant un chemin par les leviers de l’économie et de la mise en synergie des sciences, des technologies et de l’industrie ainsi que par la recherche difficile d’un pacte et consensus social jugé vital jusqu’ici en raison des événements du passé.
Au moment de la fin de l’URSS, la manœuvre de contrôle de la Russie ayant échoué, le Royaume-Uni de concert avec les Etats-Unis a travaillé à renforcer la dépendance stratégique et économique de l’UE par le biais des adhésions des pays de l’Est à l’Otan puis à l’UE. Ces derniers sont devenus aussi dans une continuité historique déjà active une réserve de main-d’œuvre qualifiée et bon marché pour l’Allemagne ayant retrouvé alors son territoire. Tandis qu’au même moment, les classes dirigeantes françaises, aventureusement au profit des actionnaires et de leur patrimoine, sacrifiaient dans une mondialisation aventureuse pour un profit immédiat les bases de nos industries et quelques compétences technologiques de pointe. Le tournant délétère était pris. Un nouvel accouchement institutionnel déjà initié s’imposa au forceps.
En bousculant l’équilibre économique instauré entre la France et l’Allemagne qui rendait possibles convergences d’intérêts et stratégies communes.En dépouillant les états fondateurs de l’essentiel de leur souveraineté sans leur permettre de maîtriser ni contrôler solidairement la nouvelle mise en œuvre. En tenant prudemment à l’écart le potentiel grain de sable que sont les peuples (ensemble de citoyens réunis dans une unité politique par des droits, responsabilités et devoirs en commun).
Un citoyen européen se sent concerné et représenté par l’UE et ses instances dirigeantes (lesquelles me direz-vous et il faudrait, je pense, de longs échanges pour que nous nous rendions compte qu’au fond nous ne savons pas bien qui décide vraiment et qui est responsable de quoi) comme pouvait l’être un résident de l’empire austro-hongrois qui s’est effondré à la fin de la première guerre mondiale et qui a duré 51 ans.
L’Angleterre, depuis, travaillée par une dissociation territoriale amorcée, un pacte social très fragilisé et une classe dirigeante de plus en plus repliée sur elle-même a connu une sortie de l’UE dans la confusion et la désunion.
Après le Brexit, je pense qu’il faut une avancée par le haut pour une reconfiguration complète de l’Europe. Une Europe de la géographie, de la culture, de l’histoire et de la souveraineté des peuples représentés dans des états-nations. Des peuples qui estiment avoir leur mot à dire sur le récit du passé, le présent et les chemins de l’avenir. Qui estiment qu’ils incarnent la vie de la démocratie et ses mouvements et non un rôle d’usagers et de petits actionnaires ou administrés censés être reconnaissants, une Europe des Etats-Nations.
Je pense que nous sommes à un tournant historique. Je pense que l’UE sans la France n’est pas viable et que les dirigeants des pays adhérents le savent. Ils ont bien entendu le projet, tout en n’étant pas indifférents à leurs propres carrières nationales de surplomber les états-nations et les peuples dont ils espèrent la dissolution progressive dans une course de vitesse. De ce point de vue, le terme d’états-nations qui réapparaît dans leur bouche (Macron, Moscovici, Thierry Breton, Pascal Lamy, Ursula Von Der Leyen … ) est une ruse démagogique qui se veut rassurante mais aussi le signe de la crainte d’une prise de conscience en cours.
Devant ce type de tournant les Etats-Unis auraient bien du mal à nous (à l’ Europe) barrer la route parce qu’ ils auraient finalement intérêt à sauver le meilleur équilibre possible avec ce type d’Europe s’ils ne veulent pas voir s’installer à leur détriment de nouveaux équilibres avec la Chine, la Russie et le reste du monde qui à la première faiblesse ne demandera pas mieux que de se distancier des Etats-Unis dans leur forme actuelle.
Cela paraît utopique. Pas si vous considérez les retournements observés ces 50 dernières années à l’échelle d’une vie, de deux ou trois générations qui se croisent. N’oublions pas non plus que derrière cette puissance, il n’y a que des êtres humains comme vous et moi qui ont besoin du consentement d’autres êtres humains sans lesquels ils sont sans moyens et que personne n’est en réalité condamné à l’impuissance solitaire s’il le veut bien et le comprend. Une vague est faite de gouttes d’eau comme on dit et chaque être humain est beaucoup plus qu’une goutte d’eau. Si vous ajoutez qu’il faut d’urgence la reprise par le politique du pilotage de la macro-économie et des outils monétaires en raison entre autres de la prise en compte de l’urgence écologique qui est vitale, il me semble qu’une ligne de force se dégage qui dépasse la durée de nos vies mais qui est commencée. Il n’y a pas de temps à perdre.
A votre avis, comment se fait-il que ceux qui font l’opinion en matière politique, nos dirigeants de concert avec les responsables des médias, nous cachent que la véritable élection européenne, c’est celle des exécutifs nationaux.Que l’enjeu n’est plus "d’améliorer " les fonctionnements de l’UE mais de revoir le cadre de ces fonctionnements qui se fera avec ou sans nous.Et que dans les démocraties tel que c’est entendu sous nos latitudes, le véritable souverain, c’est le peuple qui devrait détenir les moyens de ses prérogatives.Que de tous temps ce que des hommes ont fait, d’autres l’ont défait puis refait sans attendre la bénédiction des premiers ou de leurs héritiers.Que pour nos démocraties vacillantes vidées peu à peu de leur substance par une petite partie de ce qu’il convient d’appeler des élites qui se sentent de moins en moins économiquement et moralement solidaires de leurs concitoyens le temps d’un sursaut salutaire est venu.
Ce ne sera pas facile. Les grands changements ne sont jamais simples ni faciles et contiennent leur part d’incertitudes comme toutes les entreprises humaines d’envergure.Pensez-vous que si nous continuons avec les mêmes références, les mêmes promesses, les mêmes acteurs qui semblent n’avoir aucun passé lorsqu’ils nous expliquent doctement comment conduire maintenant l’avenir ce sera simple, facile et garanti ?Il me semble que avec ses trente dernières années qui viennent de s’écouler, vécues ou étudiées, beaucoup d’entre-nous ont compris que des changements majeurs vont se faire et que ce serait mieux que ce soit avec notre vigilance, notre participation et notre contrôle puisque c’est la promesse de la démocratie.