Vases communicants
par Michel Koutouzis
jeudi 12 avril 2012
Pour les deux tiers des français, le président-candidat doit être ostracisé. Quelles que soient les études d’opinion, qualitatives ou quantitatives, cette donnée reste invariable. Ce que l’on nomme l’anti-sarkozysme comporte deux éléments hiérarchisés : ce président doit impérativement partir et, en conséquence, celui qui le remplacera sera celui qui est en mesure de le battre. Là aussi, les études qualitatives (si besoin était) sont formelles : à qualités (et défauts) plus ou moins similaires, on préfère les concurrents, quels qu’ils soient. Ainsi, la notion de sanction est dans cette élection primordiale. Tout simplement, pour une majorité de français, il est impossible de concevoir que la politique menée depuis cinq ans par le président-candidat ne soit pas condamnée. Depuis septembre 2011, les sondages peuvent se lire aussi sous cet angle : chaque fois qu’un prétendant paraît capable de battre le président, il a momentanément le vent en poupe. La candidate du FN et celui du Modem ont connu leur heure de gloire quand il est apparu que le président sortant pourrait être éliminé dès le premier tour.
Dès qu’il est entré en campagne active, le président-candidat avait comme objectif de préserver son socle habituel. Pour faire cela (et garantir sa présence au second tour) il a du payer le prix fort : il est apparu comme quelqu’un qui masque systématiquement son bilan par des pirouettes visibles à l’œil nu. Les propositions tout azimuts qu’il a faites sans cesse ont accentué le sentiment précédant : de tous les candidats, il est ressenti comme le moins fiable, ayant instauré la contradiction et l’inexact, voir le mensonge, en règle d’or.
Si la campagne électorale présidentielle a mis à nu l’insignifiance opportuniste de ses propositions, elle a aussi souligné sa dynamique principale : tirer l’entendement, la réflexion, la pensée vers le bas chez tous les autres candidats, transformer l’ensemble du processus en un combat de boxe, en une giclée de qualificatifs poissonniers, en une collection de grossièretés et de fanfaronnades, à l’étalage de propositions sans queue ni tête qui n’ont comme seul mérite que d’occuper pendant vingt quatre heures les médias : qui dans deux jours parlera du permis de conduire ? Qui parle (et se rappelle) aujourd’hui des annonces présidentielles d’il y a une semaine ? Qui se souvient des nouvelles lois exhibées comme un épouvantail pour renforcer la peur du citoyen et lancées comme un pschitt préélectoral ? Existe-t-il encore chez les deux tiers de l’électorat précité un seul électeur qui ne soit pas conscient de cette fuite en avant surréaliste ?
L’ostracisme est une sanction qui ne cherche pas à se justifier. Pour le citoyen athénien, il était réservé à ceux qui représentaient, de manière indéterminée et diffuse, parfois injuste, un danger pour la cohérence, le vivre ensemble ou les institutions démocratiques de la Cité. Pour ceux qui, même en respectant la forme, étaient un exemple de démesure (hybris) pour la doxa et/ou les canons d’esthétique citoyenne. L’ostracisme n’existant plus comme processus d’action électoral, c’est le candidat qui semble le plus apte de chasser le président – candidat du pouvoir qui le remplace. Inutile donc de faire semblant de s’offusquer en se demandant si le prochain président sera convenable, efficace ou exemplaire.
Pour les deux tiers de l’électorat, son premier mérite c’est qu’il ne sera pas le président sortant. Inutile non plus de s’étonner des résultats changeants des sondages : ils expriment dans l’opinion, non pas un attachement particulier à un candidat de l’opposition mais l’espoir que ce dernier finira par l’emporter. Tandis que le président-candidat s’assoit sur le socle du (petit) tiers restant, et le candidat socialiste sur un autre tiers composé de fidèles et de pragmatiques, les autres candidats voient leurs effectifs monter chaque fois que au sein de l’opinion pointe la certitude que le challenger socialiste est en mesure de l’emporter sans problème. Que les sondages le montrent affaibli, automatiquement une partie de l’électorat des autres candidats se reportent (directement ou indirectement) sur lui. C’est ce système de vases communicants qui explique désormais la résistance, voir le renforcement du candidat socialiste.
Dans cette gymnastique sondagière, le peuple de gauche balance entre le possible et le désiré. Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces deux sentiments sont complémentaires. Si pour le candidat socialiste la dynamique du Front de Gauche, qui s’élargit, entre autres, chez les abstentionnistes, reste une garantie de sa victoire au deuxième tour, pour le candidat du Front, qui se détermine en tant que passeur d’un message de radicalité et comme élément constructeur d’un peuple de gauche jusque-là passablement inaudible, c’est l’après victoire qui se joue.
Une fois le candidat socialiste élu, il aura besoin d’une pensée et d’une action radicale, que seul le Front de Gauche peut lui garantir. D’autant plus que les élections législatives qui suivront devront permettre à toutes les composantes de la gauche une représentation forte mais antagonique, dont il est important que le centre de gravité soit nettement à gauche. C’est la condition pour que le possible et le désiré se rejoignent.
En effet, les pressions internes et externes qui auront inévitablement lieu contestant le possible, devront avoir un contrepoids important, légitime et dépourvu de toute ambigüité. Le désirable étant que les aspects les plus radicaux et innovants de toutes les composantes de la gauche l’emportent sur l’irrationnel du marché, les obsessions budgétaires de l’UE et le manque d’imagination de toutes les composantes et de toutes les expressions de la droite française.