Vercingétorix, cet illustre inconnu

par Emile Mourey
lundi 29 juin 2009

Avant de poursuivre dans mes explications de la bataille d’Alésia, il me semble indispensable de revenir sur la belle figure de Vercingétorix, cet illustre inconnu. Longtemps oublié par une élite versatile, romanisée puis francisée, le premier homme politique à avoir parlé, en Europe, de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes ne connut un début de réhabilitation qu’avec l’instauration de la République. Puis vint la consécration lorsque Napoléon III, bien que se prenant encore pour un César, érigea, sur la hauteur d’Alésia, une immense statue à la mémoire du héros malheureux.

Pourquoi cet oubli profondément injuste ?
 
On ne peut en imputer la faute à César dont les "Commentaires sur la guerre des Gaules" sont un modèle d’objectivité, apparente tout au moins. Certains historiens prétendent pourtant qu’il a grandi son adversaire pour que sa victoire en soit d’autant plus éclatante. Pour ma part, je n’ai trouvé dans les textes d’époque aucun indice qui pourrait justifier cette hypothèse. Je constate simplement qu’après sa dernière déclaration devant le conseil gaulois, aucune voix discordante ne s’éleva pour l’accuser, ni à ce moment-là, ni par la suite. Si César n’a pas dénigré son adversaire, c’est à mon sens, pour la simple raison qu’il n’y avait aucun motif crédible pour le faire.
 
On ne peut, non plus, imputer cet oubli aux Gaulois qui se sont ralliés à César puisque, d’après eux, les dieux en avaient voulu ainsi. Lorsque, drapé dans son manteau rouge de général en chef, extraordinaire de courage et d’esprit de décision, César parcourait le champ de bataille, la victoire à sa suite, il était déjà devenu le symbole d’une force et d’une culture qui ne laissèrent ni les chefs ni les paysans gaulois insensibles. Peut-être avait-il l’air d’un dieu ! Mais qu’ils aient oublié le jeune chef arverne, certainement pas ! Le Cadurque Luctérius qui était à ses côtés pendant le siège d’Alésia livra encore bataille à Uxellodunum. En l’an 21, Sacrovir souleva le pays éduen et, avant l’engagement, harangua ses troupes en rappelant l’ancienne gloire des Gaulois. En 68, nouveau soulèvement de grande ampleur. A Rome, on ironisait sur Néron et on écrivait sur les colonnes : "Les Gaulois se sont levés en l’entendant chanter."
                          
 C’est à partir de 69 que commence à s’installer en Gaule le "mythe romain" qui dure encore de nos jours. Le discours que le général romain Cérialis prononce devant l’assemblée des trois Gaules est une incroyable plaidoirie pro domo. Sa dernière phrase est sans ambigüité : "Entre l’entêtement qui vous conduira à la ruine et l’obéissance qui vous apportera la sécurité, Gaulois, choisissez !" C’est à partir de cette date que Vercingétorix tombe dans l’oubli. La chute de Jérusalem, un an après, ouvrira une nouvelle ère et fermera l’ancienne. 
 
On ne peut qu’admirer la dignité, la fermeté et l’habileté de ce discours, ainsi que la hauteur de vue de ce général romain qui arrive à nous faire oublier toute l’anarchie précédente qui régnait alors dans la conduite des affaires et qui demande tout simplement aux Gaulois de se transformer en moutons de Panurge. Sans vouloir mettre en doute, en aucune façon, la sincérité de l’orateur, il faut tout de même bien se rendre compte qu’il ne fait que réciter une leçon bien apprise dans les Commentaires de César.
 
 Un nom qui est fait pour répandre la terreur.
 
L’expression est de Florus, un auteur latin d’origine berbère, et elle en dit plus sur Vercingétorix que n’importe quel long commentaire. J’ai montré dans mon article précédent l’attachement des Gaulois à une certaine forme de démocratie. Un article qui est, ni plus ni moins, qu’une reprise de mes ouvrages écrits dans les années 80 et publiés dans les premières années de 90. Je viens de reparcourir l’ouvrage très bien documenté "Les Gaulois" de Jean-Louis Brunaux, publié en 2005, que le muséoparc propose et sur lequel je suis en accord sur de nombreux points mais aussi en désaccord sur d’autres autrement plus importants. Je mesure aujourd’hui l’énorme gâchis culturel et financier qui résulte d’une absence totale de coopération entre le latiniste, le militaire et l’archéologue qui veut faire cavalier seul. C’est le scandale d’un ministère de la Culture qui n’a pas joué le rôle de conciliateur que j’aurais voulu qu’il joue, notamment pour resituer à leurs véritables emplacements les capitales gauloises de Bibracte à Mont-Saint-Vincent et de Gergovie au Crest.
 
Ceci étant dit, il est bien évident que ce n’est pas le nom de Vercingétorix par lui-même qui répand la terreur, mais sa signification en tant que ’cognonem". Son déchiffrement était pourtant facile d’autant plus que le contexte du moment l’explique... Il existe, en effet, une différence essentielle entre César et les Gaulois : le premier est un chef qui pense sa manœuvre en solitaire et qui décide seul. Les seconds, de toute évidence, mettent au point leur manœuvre au sein d’un conseil de guerre. César, à plusieurs reprises, signale son existence (VII, 14, 15, 29, 76, 77). Il est bien là le problème car César avait des espions, non seulement sur le terrain, mais aussi au sein des conseils gaulois. Les Gaulois ont vite compris l’inadaptation en temps de guerre de leur système démocratique et l’impérieuse nécessité de donner les pleins pouvoirs à un seul. Le nom de Vercingétorix - VER CIN GETO RIX - rassemble probablement les fonctions principales de la société gauloise : le VERgobret, magistrat suprême placé à la tête de l’administration (magistratus), CIN qui évoque la chevelure flamboyante de l’aurige des monnaies gauloises (cf. Cincinnatus, l’homme aux cheveux bouclés), GETO qu’il faut transcrire en TOGE, l’homme à la toge, c’est-à-dire le sénat, et enfin le RIX, le commandant en chef des armées.
 
Je ne veux pas reprendre ici le long raisonnement qui m’a conduit incidemment à cette interprétation mais seulement certains points.
 
Le mot TOGE aux syllabes parfois inversées en GETO se retrouve dans d’autres cognonem gaulois, que ce soit dans les textes ou sur les monnaies (TOGIRIX, ORGETORIX, CINGETORIX lequel n’était donc pas Vergobret).
 
Le suffixe RIX évoque évidemment dans sa racine le mot REX qui signifie le roi. Ce rapprochement se trouve confirmé dans les textes et les monnaies par le nom du frère de Divitiac, orthographié parfois DUMNORIX ou DUBNOREX, ce que j’ai traduit par "roi de la voie Dubis ou roi de la Dheune" (voyez mes ouvrages ou autres articles). Cela signifie que le sens que les Gaulois donnaient à leur suffixe RIX était beaucoup plus synonyme de "maitre" d’un lieu ou d’autres choses et que cela n’allait pas plus loin... sauf lorsque César écrit au sujet du chef arverne "Rex ab suis appellatur", il est appelé roi par les siens. Et là, c’est beaucoup plus sérieux. Constatons toutefois que Vercingétorix n’a pas accompli ce qui ne fut, de la part des siens, qu’un voeu. Et lorsque, plus tard, Marc Antoine posa sur la tête de César la couronne royale, le vainqueur d’Alésia l’enleva, lui aussi, de sa tête.
 
Terrible par la taille, ses armes et son courage.
 
L’expression est, là encore, de Florus. Terrible par la taille mais aussi véritable colosse que laissent deviner la forte encolure et le visage massif de son image monétaire. Visage d’une beauté apollinienne qui explique en partie l’emprise psychologique qu’il exerçait sur les foules. Mais cette emprise psychologique que signale Florus et d’autres auteurs s’explique encore mieux par un talent d’orateur acquis dans sa jeunesse à l’enseignement d’un rhéteur disciple de Démosthène. (Alors que Marseille était célèbre par ses écoles dans tout le monde méditerranéen, bien avant la naissance de Vercingétorix, qu’on ne vienne pas me dire que le druide suprême de la Gaule n’avait pas les moyens de se payer un rhéteur pour éduquer ses enfants). Et ces cheveux bouclés formant casque, qui confirme mon interprétation de CIN, ne serait-ce pas une évocation des rayons du soleil et, par conséquent, un signe religieux voire messianique ? Bien sûr que je refuse l’hypothèse du Vercingétorix décharné de la monnaie d’Hostilius Saserna. Cette image, de même que celle de la femme à la chevelure défaite, n’est qu’une caricature de la Gaule et du Gaulois avec son bouclier et son collier.
 
Terrible par la taille mais aussi par ses armes. Vercingétorix portait-il un casque, un casque savamment décoré ? Pas sûr ! En l’an 21, Sacrovir combattait tête nue. Epée, bouclier, certainement. Arc, carquois de flèches, poignard, peut-être. Plutôt que par une cuirasse était-il protégé de la tête aux pieds par une cotte de mailles comme je l’interprète sur les monnaies de l’Eduen Dumnorix, je le pense. En outre, mêlés à cet harnachement de fer, des habits de somptueuses étoffes devaient impressionner le peuple. Et je ne n’évoque pas le harnachement de son cheval.
 
Terrible par son courage mais aussi par sa valeur militaire, ne lui faisons pas l’injure de n’avoir appris l’art de la guerre qu’au contact des Romains. On a dit qu’il avait appris d’eux la tactique de la terre brulée, une façon de combattre vieille comme le monde ! Allons donc ! Au IVème siècle avant J.C., le Grec Enée le Tacticien en parlait déjà.
 
Origine, enfance et jeunesse de Vercingétorix.
 
Son origine. Vercingétorix était fils de Celtil qui fut druide suprême de la Gaule, donc issu de la plus grande famille arverne qui, avec d’autres grandes familles arvernes, habitait sur le haut lieu de la capitale. Strabon confirme sa naissance à Gergovie (Le Crest et non pas Merdogne, ni Corent). Très important d’habiter sur le haut lieu ! En pays éduen, César prend bien soin de préciser que le prétendant à la succession de Divitiac, Eporédorix, était "summo loco natus", né du lieu suprême (Bibracte) et de la maison la plus puissante. De même, Vercingétorix n’est pas issu de la Gaule profonde. Probablement s’inscrit-il dans une filiation coloniale remontant à Héraclès, cet Héraclès (colons d’origine phénicienne comme les fondateurs de Carthage) qui, selon Diodore de Sicile, épousa la fille d’un roi qui allait devenir la Gaule... et les Celtes. Ah ! qu’ils ont la vie dure, ces vieux mythes qui nous font venir les Celtes du Centre-Europe !
 
Sa jeunesse. Pour moi, aucun mystère ! L’éducation de Vercingétorix a été consacrée, certes, à l’acquisition des connaissances de son temps, mais aussi et surtout, à l’art oratoire et au métier des armes. Il est même possible que l’enseignement donné, au IV ème siècle, par les écoles moenniennes de la cité éduenne en soit un prolongement. Ces écoles enseignaient aux enfants de la "nobilitas", à la fois l’administration et l’art de bien parler.
 
Son enfance. Pourquoi son enfance n’aurait-elle pas été heureuse ? A l’image de celle de l’Arverne Avitus qui vécut au Vème siècle, dans un autre contexte.
 
Il n’était pas sevré qu’il marchait dans la neige en flocons.
Il brisait la glace pour s’amuser et courait dans la gelée blanche.
Ce furent les muses qui formèrent sa naissante intelligence,
Et ta voix tonna à son oreille dans la langue de Cicéron.

Il étudia les faits d’armes de tes grands chefs passés.
Il raisonnait sur les batailles et dans les livres, il apprenait
La tactique des combats et la façon de mener les guerres.
Avitus possède à la fois la bravoure et la science militaire.

Une louve, un jour, surgit et l’attaqua.
Mais le jeune garçon saisissant un rocher
Lui fracassa le crâne d’un seul coup de son bras.

La chasse n’a pour Avitus plus aucun secret.
Il dresse les oiseaux et force le sanglier.
C’est ainsi qu’un enfant se transforme en guerrier.
 
 (Sidoïne Apollinaire, poème VII, traduction E. Mourey).
 
Ceci se passait à Gergovie, sur la hauteur du Crest, et certainement pas dans la campagne, dans une maison de torchis, au milieu des poules et des cochons.
 
E. Mourey.
 
 

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