Vers le licenciement des fonctionnaires… conservateurs ?

par Florian Mazé
jeudi 11 avril 2024

Le licenciement des fonctionnaires… Stanislas Guerini vient de s’attirer l’antipathie de toute l’administration française, et celle des syndicats. Je suis moi-même concerné car la plupart des profs de philo, et des profs tout court, comme vous le savez, sont des fonctionnaires d’État. Autrement dit de l’éducation nationale. Toutefois ma critique de l’idée Guerini ne sera sans doute pas une critique de gauche.

Souvenez-vous du Mal français, d’Alain Peyrefitte. Publié dans les années 1970, ce long essai, qui reste d’actualité, fustigeait les errements du centralisme et de l’absolutisme français, d’origine royale (Louis XIV notamment) et repris, voire accentué jusqu’à la caricature, par le jacobinisme intransigeant qui irrigue encore l’idéologie républicaine. Peyrefitte comparait l’administration française, toutes républiques confondues, de 1789 à la Ve République, à un éléphant ravageur et ravagé. Tantôt assis sur son séant, incapable de se mouvoir, bloquant tous les dossiers, même les plus dramatiques, même ceux dont le bon sens voudrait qu’ils soient traités prioritairement ; tantôt furieux, chargeant tout ce qui bouge, dévastant tout sur son passage, brisant des vies et des destins innocents.

Inutile de préciser que dans cette fonction publique, j’inclus bien évidemment la magistrature, cette caricature de l’administration toxique à la française : incapable d’enfermer les tueurs qui prolifèrent en toute liberté dans la rue, mais ne rechignant guère à envoyer en prison les braves gens qui ont eu le toupet de blesser un voyou en défendant leur vie lors d’une agression.

Sur un point Guerini a raison. Il existe de toute évidence des fonctionnaires et des magistrats indignes de leurs fonctions, et d’autant plus indignes qu’ils sont intouchables, protégés par un statut en béton, souvent même félicités, bien notés, chouchoutés par la hiérarchie à proportion de leurs insuffisances ou de leurs forfaitures.

Peyrefitte compare l’État à une grosse machine administrative et le gouvernement à son pilote, une comparaison que les profs de philo, d’histoire ou de SES font instinctivement lorsqu’ils abordent la politologie. Certes, le pilote peut lui-même se montrer indigne de piloter la grosse machine, et il y a forcément des gouvernements pervers. Mais le gouvernement pourvu des meilleurs ministres, animés des meilleures intentions humaines, peut de toute manière se retrouver dans l’incapacité objective de piloter cette machine en raison de ses pannes à répétitions entrecoupées d’emballement inattendus et terrifiants. Et très souvent, remarque Peyrefitte, c’est le ministre, impuissant, qu’on accuse d’être à l’origine d’une décision ou d’un blocage administratifs… dont il n’a parfois même pas connaissance, ou dont il a connaissance, mais contre lesquels il ne peut strictement rien faire.

Pour filer la métaphore, n’importe lequel d’entre nous, au volant d’une bagnole dont les freins auraient été sabotés, avec, en plus, une pédale d’embrayage ou d’accélérateur cassée, provoquerait inévitablement des accidents graves, dont il serait tenu pour responsable. Mais il n’existe aucun véhicule de remplacement.

Anecdote en passant : un ami à moi, professeur d’histoire-géographie de sensibilité conservatrice modérée, érudit et écrivain à ses heures, se plaignait récemment que de très bonnes copies de bac (à l’époque où l’histoire-géo n’était pas en contrôle continu) avaient été saquées par des collègues gauchistes peu compétents mais pervers, au motif que l’élève, malgré d’amples connaissances, n’avait pas recraché dans sa copie l’idéologie qu’attendait le correcteur. De manière récurrente, dans l’éducation nationale et dans le supérieur, les sciences humaines et la littérature sont gravement affectées par ce problème.

Bref : les dispositions Guerini séduiront peut-être la droite libérale et même quelques « natios » bas de plafonds – « droitardés » comme on dit – qui voient dans ce genre de mesures des évolutions de nature à sauver la bonne France et les bons Français. Il faut pourtant que droitards, droitardés et droitisés fassent gaffe, particulièrement les gros réacs adorateurs de Zemmour et de la fameuse « bourgeoisie patriote » (? ??) dont on est sûr qu’elle ne peut pas blairer « ces feignasses de fonctionnaires payés à rien foutre, ennemis de la France qui gagne » (dont je fais partie bien entendu).

Ainsi : faites gaffe ! Avec nos décideurs bien-pensants, dopés au mondialisme et à l’utopie type open-society libérale teintée de wokisme pour ouvrir à gauche, ce ne sont pas les fonctionnaires et magistrats incompétents, paresseux ou indignes qui seront licenciés. Et certainement pas les hystéro-gauchistes. Pas du tout ! — Ce sont tous les autres. Notamment, les braves et honnêtes conservateurs humains, qui savent s’abstraire de l’idéologie (même la leur) et qui essayent tant bien que mal de faire au mieux, dans des conditions parfois difficiles.

Bref : la privatisation de la fonction publique ne sauvera pas la France, elle substituera simplement des précaires aux personnels à statut, des précaires très dociles à tous nos décideurs libéraux-libertaires bien moralisateurs !

Pour cette raison, je m’associerai fermement à d’éventuelles manifestations et protestations appelées par les syndicats, fussent-ils très à gauche, et quoi que puisse penser la « droite ».

 

Signé : Mazé, fonctionnaire humaniste et conservateur, à qui il arrive de critiquer la gauche et la droite sans jamais se retrouver au centre.

 


Lire l'article complet, et les commentaires