Vidéosurveillance dans l’église...

par Desmaretz Gérard
vendredi 19 novembre 2021

Un fidèle de l'église Saint-Pierre d'Arènes (Nice) s'est senti trahi après avoir découvert une caméra «  indiscrète " installée à l'intérieur de l'édifice religieux sacralisé et non signalée aux croyants ni aux visiteurs ou intervenants extérieurs : pompes funèbres, fleuristes, artisans, etc. ! La vidéo de Fr3 PACA, un drone survolant l'intérieur de la dite église, disponible sur You Tube, se garde bien de s'attarder sur la camera installée sur l'abat-voix de la chaire de vérité située à la jonction de la nef et de la croisée du transept, partie sacralisée de l'édifice !

Les fidèles n'ont-il donc que des devoirs envers l’Église et aucun droit ? Si l'abbé-doyen de l'église Saint-Pierre d'Arènes a en charge la sécurité des fidèles, celle des objets sacrés ou précieux et de l'édifice, sa proximité avec certains édiles ne saurait faire de lui un intouchable. Il reste un justiciable qui doit se conformer aux lois de la République et, accessoirement, au Code du Droit Canonique qui régit l'ensemble des lois et des règlements adoptés ou acceptés par les autorités catholiques pour le gouvernement de l'Église et de ses fidèles : « Les lois civiles auxquelles renvoie le droit de l'Église doivent être observées en droit canonique avec les mêmes effets, dans la mesure où elles ne sont pas contraires au droit divin et sauf disposition autre du droit canonique ».

 

Les démarches à respecter lors de l’installation d’un système de vidéosurveillance diffèrent selon qu'il s'agit d'une installation sur la voie publique, d'un établissement accueillant du public ou mixte, une partie publique (sacristie) et une partie privée (presbytère). L'église est un Établissement Recevant du Public (type V, établissement de culte), et l'affectataire d'un édifice religieux ayant recours à la vidéosurveillance est tenu de se conformer aux lois relatives à la protection des données personnelles : « La vidéosurveillance dans les lieux ouverts au public (lieux accessibles à tous sans autorisation spéciale de quiconque) relève de la loi 95-73 du 21 janvier 1995, d’Orientation et de Programmation relative à la Sécurité, du décret 96-926 du 17 octobre 1996, de l’article 226-1 du Code Pénal, et de la loi du 23 janvier 2006, relative au Terrorisme. Le système (...) doit correspondre à une finalité de sécurité des personnes et des biens, contre les agressions, les vols, le terrorisme. (...) La collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion ainsi que le verrouillage, l’effacement ou la destruction ».

 

L'accord est délivré par la Préfecture pour une durée de 5 ans, renouvelable, (loi du 21 janvier 1995 dite « loi Pasqua ») après avis de la Commission Départementale des Systèmes de Vidéosurveillance composée d’un magistrat du Tribunal administratif, d’un maire, d’un représentant de la Chambre de Commerce et d’une personnalité qualifiée choisie par le Préfet. La Commission a la possibilité de s’autosaisir pour contrôler les conditions de fonctionnement d’un système de vidéosurveillance, et faire des recommandations ou suspendre le système. Le demandeur dispose alors de trois mois pour installer l'équipement de vidéosurveillance. Si l’édifice religieux est propriété de la commune (construction antérieure à la loi de décembre 1905 sur la séparation de l’Église de l’État), une autorisation du maire est requise.

 

La Commission Nationale Informatique des Libertés est une autorité administrative indépendante chargée de protéger les données personnelles en veillant au respect du Règlement Général de Protection des Données (RGPD) qui pose les principes de proportionnalité et de nécessité applicable : « La CNIL est chargée de vérifier la proportionnalité et la pertinence du système au regard de la finalité indiquée, ainsi que l’adéquation entre les fonctions d’outils et les objectifs poursuivis (type d'établissement, emplacement des caméras, leur nombre, leur orientation, leur fonctionnalité, la période de fonctionnement, la conservation des données, l’accès aux informations, aux moyens de sécurité mis en place, l’enregistrement ou non du son, etc. Une procédure d’autorisation devra être mise en place, s’il y a utilisation d’une technique biométrique ». 

 

Les ecclésiastiques et autres religieux de passage, le personnel laïc, les fidèles, les intervenants et tous visiteurs doivent être informés de la présence d'un système de surveillance par l'apposition de panneaux d'information visible. Le dit panneau se doit d'afficher le nom du responsable ainsi que la procédure pour accéder aux enregistrements. Seul l'affectataire de l'église et la justice sont susceptibles de pouvoir visionner les images enregistrées dont la durée de conservation ne doit pas excéder 30 jours...

 

Le marché de la vidéosurveillance propose la caméra IP filaire reliée à un routeur ou à une box internet via un câble Ethernet - la Webcam IP qui emprunte une connexion WIFI - la caméra GSM (2G, 3G, 4G, 4G, 5G) qui communique avec un Smartphone ou un centre de télésurveillance en utilisant le réseau Global System for Mobile Communication. Pas besoin d'Internet, une carte SIM suffit (souscrire un forfait data). Une caméra IP peut être neutralisée en suspendant la ligne Internet (perte de réseau), l'alimentation électrique (certaines sont dotées d'une batterie de secours) ou par une impulsion à THT. Et une caméra GSM par brouillage à distance. L'objectif de la caméra peut être fixe et couvrir environ 135°, être activé par le suivi d'un mobile, soit télécommandé par l'opérateur. L'objectif (focale fixe ou zoom) peut être aspergé de peinture (bombage), devenir la cible d'un tir de Paint Ball ou aveuglé par un Laser de poche.

 

Autre revers de la médaille, pas celle de l'Immaculée Conception, une caméra vidéo peut se transformer en cheval de Troie. Les Webcams ne sont pas à l'abri d'un piratage. Imaginons qu'un individu mal intentionné en prenne le contrôle pour déclencher et superviser une action hostile ! Il suffit parfois de télécharger un IP scanner (NetSpot par exemple) pour voir s'afficher les objets connectés actifs, et ensuite de cliquer sur l'entrée repérée. Si l'invite de commande demande un mot de passe, c'est qu'il est connecté, une requête sur Internet suffit pour prendre connaissance du mot de passe constructeur... Si celui-ci n'a pas été modifié, ce qui est courant, c'est « Bingo ». Autre procédure, utiliser le moteur de recherche Shodan HQ consacré à la sécurité informatique ou consulter le site Insecam qui retransmet les prises de vue de certaines caméras dont les propriétaires, inconscients, ont omis d'en changer le code ! Ce site propose également les mots clefs (dorks, abrutis) permettant l'accès aux IP caméras via Google !

 

La CNIL a été saisie, l'affectataire écopera-t-il d'un simple rappel à la loi ou sera t-il verbalisé. Ce dispositif est-il indispensable ? tous les abords de l'église Saint-Pierre d'Arènes sont déjà couverts par les caméras de protection de la ville de Nice qui compte une caméra pour 110 habitants. Pour L'archevêque du diocèse de Dijon : « la question de la vidéosurveillance ne se pose pas (...) Si on en vient à sécuriser de la sorte, c'est un constat d'échec. Le statut d'accueil de l'église serait mis à mal. Chacun doit se sentir libre de venir se recueillir. La meilleure protection, c'est la présence des fidèles ».

 

Le prochain palier inquisiteur reposera-t-il sur une application d'Intelligence artificielle permettant de : mesurer l'assiduité des paroissiens - ceux qui contribuent à la quête - le titulaire d'un pass sanitaire - la reconnaissance d’émotions afin de discerner le niveau d'implication des croyants ou celui au sermon - la reconnaissance biométrique couplée avec une banque de données consignant : le baptême, la communion, la confirmation, les passages à confesse, le mariage, la mention du fidèle qui a fait un don, un legs ou qui a souscrit une assurance vie au profit de la paroisse..., sans y omettre la débâptisation ou l'ex-communion et ainsi permettre à l'Eglise de remporter le Grand Prix de la Vidéosurveillance 2.0 ? « L'abbé ne fait pas le moine » (Balzac).

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°


Lire l'article complet, et les commentaires