Vidéosurveillance : la nouvelle ligne Maginot ?
par darthbob
jeudi 6 novembre 2008
Les grandes villes européennes répandent les caméras de surveillance à grande vitesse et présentent ces outils technologiques comme une réponse moderne et efficace aux problèmes de sécurité.
Pourtant, on peut s’interroger sur les arguments avancés par les promoteurs de cette surveillance vidéo. Est-elle vraiment efficace ? Les buts affichés sont-ils les bons ?
La vidéosurveillance a démarré par la protection de certains lieux sensibles (ministères, mairies, entreprises) ou contenant des objets de valeur (banques, musées…) et s’est peu à peu démocratisée pour atteindre le petit commerce et les PME.
Depuis quelques années, les municipalités se sont emparées de cet outil dans un but de sécurité publique. Une des raisons évoquée est le terrorisme : les attentats de ces trente dernières années ont touché beaucoup de pays européens, que ce soit à cause des mouvements indépendantistes ou séparatistes ou des mouvements islamistes radicaux.
D’autre part, le climat d’insécurité a été accentué par quelques cas très médiatisés d’enlèvements d’enfants, l’apparition du car-jacking et les émeutes urbaines. Le sentiment général d’une montée de la violence s’est propagé jusque dans les campagnes, pourtant plus épargnées que les villes.
Certaines municipalités ont repris à leur compte la vidéosurveillance pour commencer à mailler leur territoire par des caméras discrètes, tournant en permanence. L’objectif affiché était clairement de diminuer l’insécurité sur les zones surveillées.
Mais, ce qui peut paraître efficace et utile lorsqu’il s’agit de défendre un lieu limité et fermé (une mairie, un musée ou une usine) est autrement plus compliqué lorsqu’il s’agit d’un lieu extérieur, à fort passage de population.
Quelle peut être la réelle efficacité d’un tel système ?
Examinons les objectifs de la politique sécuritaire d’une ville mettant en place la vidéosurveillance :
- diminuer l’insécurité ;
- anticiper les délits ;
- poursuivre les auteurs des délits.
Diminuer l’insécurité au niveau d’une ville
En se plaçant du point de vue d’un délinquant et supposant que la vidéosurveillance permettra de m’arrêter pendant ou après un délit commis sur la voie publique, il vaudra mieux pour moi éviter les lieux surveillés et commettre mes forfaits dans des lieux non vidéosurveillés.
On peut donc supposer que la vidéosurveillance aura deux conséquences :
- les lieux surveillés connaîtront effectivement dans un premier temps une baisse du nombre de délits (mais il y aura toujours des délinquants qui y continueront leurs actes, par méconnaissance, défi ou goût du risque) ;
- les lieux non surveillés connaîtront ensuite une hausse de la délinquance (car les délinquants les plus futés iront y commettre leurs délits).
Peut-on être certains que l’objectif de diminution globale de l’insécurité sera atteint ? Est-ce plus probable qu’un déplacement de l’insécurité se produira, vers les lieux plus éloignés de la surveillance, ou dans les périphéries des villes ?
Il s’agit du même phénomène que pour les effectifs policiers. La délinquance baisse lorsque vous augmentez les effectifs de police dans un quartier, mais elle risque de se déplacer dans d’autres quartiers, moins surveillés.
Le seul moyen théorique pour éviter ce phénomène de vases communicants serait donc de mailler totalement le territoire de la ville, chaque quartier, chaque rue, chaque place, chaque impasse pour que les délinquants ne puissent pas trouver d’endroit non surveillé. Cette solution est-elle réalisable financièrement ? Techniquement ? Éthiquement ?
Surveiller en temps réel pour anticiper les violences
L’erreur commise par beaucoup est de penser que derrière chaque caméra se trouve un policier qui scrute les images consciencieusement pour anticiper les délits et réagir immédiatement en cas de problème. C’est impossible ! Imaginez des centaines de fonctionnaires pour regarder les milliers de caméras installés dans une ville. Il s’agit d’une tâche énorme qui coûterait une fortune. Sans oublier que la population ne comprendrait pas qu’on paye des gens à regarder des vidéos toute la journée au lieu de payer des policiers pour être présents sur le terrain…
Les caméras actuelles sont donc chargées de filmer et d’enregistrer automatiquement ce qui se passe dans leur champ de vision. Pas plus. Certains lieux déterminés sont effectivement surveillés en temps réel par la police, mais parce qu’ils concernent des bâtiments sensibles (ministères, banques, mairies…) ou des lieux particulièrement peuplés (gares, places, marchés…).
Il ne faut donc pas trop compter sur les caméras pour vous protéger si un délinquant vous menace. Pour le moment, il est probable que personne n’interviendra pour stopper votre agresseur, il pourra terminer son forfait et courir se cacher sans problème. Sauf s’il croise la route d’un policier par inadvertance…
Retrouver les délinquants grâce aux caméras
Les promoteurs de la vidéosurveillance nous promettent qu’en cas de délit, l’enregistrement pourra servir à identifier le ou les auteurs. Des exemples médiatisés sont présentés pour appuyer ce discours : identification de gamins ayant tué un enfant ou des poseurs de bombes, en Grande-Bretagne.
Mais, si le malfaiteur est un enfant qui ne connaît pas la vidéosurveillance, un fou qui n’a pas d’attitude logique et raisonnée, un terroriste désirant au contraire se faire connaître du monde entier, le crime aura lieu de toute façon ! Quel bénéfice en auront donc tiré les victimes puisque le délit aura lieu de toute façon ?
A quoi serviront exactement les enregistrements ? A diffuser les images spectaculaires des attentats, le portrait du terroriste ou du fou dangereux sur toute la planète ? Au risque de faire des émules et d’accentuer encore la crainte des populations ? On peut penser que les terroristes finiront par ne choisir que des cibles équipées de caméras de surveillance, afin de montrer au monde les dégâts qu’ils peuvent causer…
Certes ces enregistrements pourraient servir lors d’un procès, mais un délinquant désirant voler le sac d’une personne âgée et doté d’un peu de logique ne mettra pas longtemps à comprendre qu’il lui faut juste camoufler son visage avec une capuche, une casquette et des lunettes noires pour ne pas être reconnu ! Va-t-on devoir suspecter tous les porteurs de Ray-Ban d’être des délinquants potentiels ?
L’installation des caméras jouera donc peut être sur l’arrestation des délinquants de moindre intelligence ou très jeunes mais à la longue, elles pourraient bien vite devenir inefficaces, voire incitatives…
L’avenir des caméras de surveillance
Les fabricants de systèmes de vidéosurveillance ont bien compris que leurs solutions ne remplissent pas les objectifs initiaux. C’est pourquoi ils travaillent aux prochaines générations de caméras.
Pour déjouer les parades, ils vont proposer des systèmes qui seront :
- plus discrets pour se fondre dans le décor et ne pas attirer l’attention du public ;
- moins coûteux pour pouvoir étendre le maillage du territoire au maximum ;
- plus intelligents pour détecter les délits par reconnaissance automatique (violence sur personne, manifestation, accidents, incendies…) ;
- plus performants pour obtenir des images de grande qualité permettant la reconnaissance automatique des visages ou des silhouettes ;
- plus communicants pour alerter les services de police rapidement, 24 heures sur 24 ;
- plus fiables pour éviter toute interruption de la surveillance et filmer par tous les temps, même dans l’obscurité.
L’avenir de l’industrie sécuritaire s’annonce radieux. Les maires, sous la pression de leurs administrés, seront sûrement obligés de suivre le mouvement. Comment expliquer à la population qu’on ne met pas en place ce genre de système alors que de grandes cités en sont équipées ?
Au premier cas médiatisé de délinquance sur la voie publique ou d’enlèvement d’enfant, un maire récalcitrant sera susceptible de céder aux sirènes d’un plan de vidéosurveillance afin de répondre à l’inquiétude des électeurs !
De leurs côtés, les délinquants trouveront sûrement des parades au système ! Ce n’est pas parce qu’il y a des policiers qu’il n’y a pas de délinquance. On peut imaginer des stratagèmes simples pour éviter les ennuis avec les caméras : destruction des caméras (comme les radars automobiles) et développement des tenues de camouflage urbaines.
Les défenseurs de ces systèmes répéteront avec insistance que les honnêtes gens n’ont rien à craindre des caméras, qu’il n’y a que les personnes qui ont quelque chose à se reprocher qui sont contre ! Ce faible argument ne prend pas en compte que chaque personne a droit à son intimité, à sa vie privée. Est-ce raisonnable de filmer et enregistrer l’ensemble des mouvements de la population, d’envisager l’indentification automatique des visages et des délinquants potentiels ? Qui peut garantir aujourd’hui que ce système ne deviendra pas un système de surveillance autoritaire, aux pouvoirs gigantesques (par croisement de données avec des fichiers d’immatriculation de véhicules, de référencement, d’impôts, de surendettement ?)
Un simple exemple qui ne devrait poser aucun problème technique à l’avenir : le service de surveillance municipal est chargé de retrouver une personne qui a quelques PV de stationnement non réglés et qui ne donne pas suite aux relances. Au bout de quelques jours, le système identifie le visage de la personne dans la rue et lève une alerte. Après visionnage des images, le nouveau domicile de la personne est repéré et ses horaires de sortie sont notés. Un huissier est alors appelé pour donner suite à la procédure de recouvrement, avec un maximum de chance de réussite !
D’autres explications pour expliquer la vidéosurveillance ?
Existe-t-il d’autres raisons pouvant expliquer le phénomène d’extension de la vidéosurveillance ? Sûrement. En voici quelques-unes :
- les caméras coûtent infiniment moins cher qu’un fonctionnaire de police ;
- les maires préfèrent surveiller les centres-villes où logent leurs électeurs au risque de déplacer l’insécurité dans les villes de banlieues dont ils ne sont pas responsables ;
- les caméras sont des objets concrets, visibles et simples pour prouver l’action d’un maire en matière de sécurité.
En fait, la vidéosurveillance est un cache-misère qui permet d’esquiver les racines de la délinquance et de la violence : l’augmentation de la pauvreté, de la précarité, des inégalités sociales, du chômage ainsi que le trafic de drogue… Elle évite aux responsables politiques d’envisager des plans de prévention ou des actions sociales qui sont moins porteurs auprès des électeurs et plus coûteux à court terme.
En définitive, la vidéosurveillance peut être vue comme l’édification d’une ligne Maginot des beaux quartiers, pour les protéger des agressions extérieures (terroristes, pédophiles, émeutiers, bandes venues des banlieues) et permettre à la population de « se sentir » plus en sécurité.
Les personnes qui vivent dans ces lieux surveillés pourront se satisfaire un temps de ce système, mais elles sont condamnées à le faire évoluer en permanence pour se sentir en meilleure sécurité, comme prises dans un engrenage.
En effet, si aucune « agression » grave ne se produit, le système sera satisfaisant et donc maintenu, perfectionné et la zone de surveillance sera sûrement étendue.
Au contraire, si le système est mis en défaut, ce sera toujours une raison valable pour investir encore plus afin de le renforcer et l’améliorer !
Tels les soldats postés le long de la ligne Maginot, les maires des villes répètent à leurs électeurs : « ne craignez rien, nous veillons sur vous, regardez comme nous vous protégeons ! » alors qu’ils savent bien qu’ils ne font que déplacer le problème et ne le résoudront pas.