Vive Charlie Hebdo !
par M. Aurouet
jeudi 20 septembre 2012
La vaste majorité des commentateurs occidentaux semblent devenus fous. Et, une fois n'est pas forcément coutume, on relèvera la notable, la brillante exception que représente Christophe Barbier dans la nouvelle "affaire" (largement écrite d'avance) des caricatures de Mahomet. On nous dit qu'il faut être responsable, qu'il faut éviter de "jeter de l'huile sur le feu" (soit dit en passant, ce ne serait pas si problématique si l'expression n'était employée que par les chancelleries) alors qu'en réalité, on nous demande de mettre de l'eau dans notre vin, d'exercer avec tact et "précaution" (décidément, ce principe est partout) ce qui constitue l'une de nos valeurs les plus fondamentales, à savoir la liberté d'expression consacrée en France par la IIIème République, sous le prétexte que des réactionnaires de tous pays nous menacent explicitement de meurtre et jurent de laver le prétendu affront des caricaturistes. Je ne comprends pas ce prétendu "sens des responsabilités" qui consiste à s'adapter aux comportements de celles et ceux qui voudraient nous ramener au temps où se pratiquait le délit de blasphème, pour ne pas parler des tribunaux hérétiques, et qui en tous cas font une loi de se venger par eux-mêmes et par la force, au mépris des lois communes et de tout humanisme.
La meilleure attitude, en l'espèce, est justement de ne faire AUCUN compromis, de continuer à rire, à caricaturer, à plaisanter, à critiquer et même à dénigrer, pour démonter justement notre force et notre détermination à l'égard des obsurantistes et des intégristes religieux. Nous autres occidentaux, héritiers de l'individualisme philosophique, enfants des Lumières du XVIIIème siècle, quel signal allons-nous envoyer aux progressistes des pays arabo-musulmans si nous transigeons, chez nous, avec notre liberté si chèrement acquise ? C'est au contraire soutenir ces malheureux victimes du retour de balancier contre-révolutionnaire que de ne pas vaciller face au vent soufflé par les tenants de la censure et de la réaction (d'ailleurs, elle est où la gauche aujourd'hui quand il s'agit de défendre la liberté d'expression ? Voltaire semble davantage aujourd'hui du côté de François Fillon que des hiérarques du PS et de la gauche dite radicale). On notera que tout cela n'aurait pas été possible si nous ne nous étions pas attachés, gauche en tête, à sacraliser le "respect", concept qui nous a conduit tout bonnement à confondre les idées et les personnes, les jugements et les agressions.
Car enfin s'il me plaît d'attaquer l'Islam aussi durement que je ne l'apprécie guère, en tant que doctrine religieuse ou même en tant que pratique, comme je m'en prendrais au communisme ou, soyons fous, au stoïcisme, en quoi cela peut-il signifier que je ne tolère pas l'existence des musulmans, des communistes et des stoïciens, ou que je refuse à jamais de les côtoyer et de débattre avec eux, dans le respect des lois communes ? En caricaturant le prophète Mahomet, Charlie Hebdo fait acte d'irrévérence religieuse (petit rappel utile : le blasphème est propre au monde de la religion), et de rien d'autre. Nulle part je n'ai constaté dans leurs colonnes un appel à la discrimination ou à la ségrégation, encore moins à la haine, au racisme et au meurtre. Nulle part je n'ai vu autre chose que le simple exercice de la liberté d'expression, fût-elle dérangeante aux yeux de certains.
Je ne voudrais pas d'un monde dans lequel respecter mon prochain signifierait prendre des gants avec les convictions que ce dernier pourrait afficher et proclamer, fussent-elles les plus chères à ses yeux. Je veux que nos enfants connaissent la raison critique, pas l'autocensure généralisée, la ghettoïsation et donc l'appauvrissement de l'esprit. Je terminerai en rappelant que la République, au temps où elle était un régime de combat, c'est à dire au temps où elle était une République, pas ce machin conformiste ménageant la chèvre et le choux particulièrement sur les fondamentaux de son histoire, au service du "respect" ("Touche pas à mon Prophète !", proclament ainsi certains avec l'indignation d'un Stéphane Hessel, le côté vieux sage attachant en moins. A quand les végétariens hurlant "Touche pas à mon légume" dès qu'une critique leur semblera dépasser les bornes ?), la République, donc, savait aussi traiter les religieux réactionnaires avec l'irrespect que leur insulte permanente à la liberté de penser et de critiquer justifiait et justifie encore.
Nos Pères ont su mettre au pas les catholiques contre-révolutionnaires à force de conviction, sera-ce demain pour que nous cédions à l'air de l'adaptation et du compromis avec les tenants d'un Islam protégé des assauts de la critique et du rire (je déplore que ce Mohammed Moussaoui représente les Français musulmans via le CFNM - notez bien que lui dirait plutôt, d'ailleurs, dans un élan de rassemblement national et dans un enthousiasme des plus républicains, "les Musulmans de France") ? Que les choses soient claires : quoi qu'ait pu dire Pierre Desproges que tout le gratin médiatique et politique cite en boucle, je soutiens qu'à partir du moment où l'on examine de plus en plus la légimitité et l'opportunité d'une critique avant d'oser la formuler, on finit tout simplement par la réduire à néant.
Dernière chose : puisqu'on nous parle du contexte des caricatures, à savoir la diffusion de ce misérable film instrumentalisé par les salafistes, pourrait-on me dire en quoi ce film engage les Etats-Unis d'Amérique comme nation et comme peuple ? A entendre les insurgés, qui ne devraient être, qu'au pire, des personnes vexées, au mieux des honorables gens répondant par le mépris à la connerie - et non par la barbarie - toute l'Amérique serait liguée contre eux. Si encore il s'agissait d'une position officielle.. Car dénicher des extrémistes qui "dérapent", on pourrait s'amuser à le faire tous les matins dans toutes les démocraties du monde, là où les individus ont le droit de s'exprimer, même si c'est pour dire les pires bêtises. De ce point de vue - empruntons donc le "raisonnement" des thuriféraires du "respect" - comment comprendre les catholiques qui ont eu la faiblesse de ne pas tuer quelque ambassadeur de France lorsqu'ils ont découvert le Piss Christ ? La vérité, donc, est que ces gens voudraient qu'aucune attaque ne puisse être formulée envers leur idole. C'est la définition pure et simple du FANATISME.
Alors vite, Charlie, d'autres caricatures, pour que vive la démocratie et que le rire recouvre les déboires, parfois même les sanglots, de toutes celles et ceux qui payent leur irrévérence et leur impertinence d'un injuste tribut aux accents liberticides.