Vive la France... quand même !

par Jean-Philippe Immarigeon
mercredi 7 mars 2007

A force de décliner depuis plus de trois siècles, comme le prétendent tous ceux qui semblent pressés de la quitter parce qu’ils ne l’aiment pas, pourquoi la France n’a t-elle pas encore touché le fond ?

Il existe quelque part dans ce bas monde un vieux pays toujours la tête hors de l’eau à un âge avancé où bien des civilisations avaient déjà péri avant lui, qui a planté son drapeau sous toutes les latitudes et même cinq semaines sur les tours du Kremlin, et qui, sans avoir jamais postulé au rang de super-puissance (sauf précisément lorsqu’il couchait dans le lit des Tsars, mais il s’en est définitivement guéri peu de temps après, qui plus est par un gros mot) reste écouté lorsqu’il s’exprime, et bien davantage qu’il ne s’imagine lui-même.

 

 

Un pays où l’espérance de vie ne cesse d’augmenter pour être sans doute la plus élevée du monde, où le taux de mortalité infantile est le plus faible du monde, dont le taux de fécondité est un des plus élevés des pays industrialisés et qui va parvenir au renouvellement des générations sans apport d’immigration, alors que tous ses voisins vont voir (et pour certains voient déjà) leur population diminuer.

 

 

Ce pays est la première destination du monde pour les touristes et la troisième pour les investisseurs. Censé avoir entamé son déclin au lendemain de la Révocation de l’Edit de Nantes, et n’en pas finir depuis cette date de décrocher, il est aujourd’hui le second producteur et exportateur de produits alimentaires, lui-même auto-suffisant depuis bien longtemps, mais également un des premiers exportateurs de service, un de premiers si ce n’est le premier pour le taux d’informatisation et de téléphonie portable.

 

 

Alors que ceux-là mêmes qui s’extasiaient hier sur le nouvel Eldorado des services l’accusent désormais de se désindustrialiser, ce pays reste bon an mal an quatrième ou cinquième puissance industrielle et commerciale, un des pays à la productivité la plus élevée (du moins pour ceux qui travaillent), où les services publics sont les plus performants, où vous obtenez une ligne et un numéro de téléphone en moins de temps qu’il ne faut pour remplir le formulaire. On y fabrique les paquebots les plus gros du monde, les trains les plus rapides et les avions les plus lourds (enfin, on essaie).

 

 

Et à côté on y conserve un art de vivre unique sur la planète, une créativité dans presque tous les domaines artistiques, un niveau de production littéraire, en quantité si ce n’est en qualité, largement supérieur au reste du monde, une cuisine qui ne connaît de concurrence que chinoise, des musées, des châteaux, des monuments que l’on n’en finit pas d’inventorier et de restaurer... C’est un des pays dont les habitants prennent le plus de vacances, et un de ceux qui - corrélativement - perd le moins de temps en arrêts maladies et même en grèves et débrayages, un pays où la flexibilité initiée en 1982, lorsqu’en contrepartie d’une 5ème semaine les employeurs ont obtenu la maîtrise des congés de leurs salariés, est la plus large au monde (à l’exception, bien entendu, des pays où règne un « capitalisme de droit divin et du bon plaisir »).

 

 

C’est un pays où le système de santé, au prix il est vrai de dépenses pharaoniques, n’en reste pas moins pour l’OMS le plus performant du monde ; où l’Etat, depuis les rois, entretient le réseau de communications, routières autrefois, puis ferrées, autoroutières, téléphoniques le plus performant du monde et surtout le plus dense ; et éponge régulièrement les errements d’un capitalisme implanté il y a plus de trois siècles, tout en le gratifiant d’un environnement politique, social et législatif des plus propices à son développement.

 

 

Que voilà un pays tenu d’une main de fer ! Même pas : c’est une démocratie libérale, et même bien avant qu’ils ne votent ses habitants menaient déjà la vie dure à leurs rois. Les électeurs y changent de majorité systématiquement depuis 25 ans à chaque scrutin, et votent contre les ukases de leurs élites lors des référendums. Ils ont inventé au XVIIIème siècle, dont on dit qu’il fut le leur, des principes qu’ils ont ensuite vendu au monde entier et qu’ils conservent contre vents et marées, malgré les crises, les invasions et les guerres (dont ils sont définitivement fatigués, ce qui ne les empêche pas de payer cher le prix de leur indépendance en entretenant la troisième force nucléaire et des unités de combat que les Américains tentent désespérément de copier). Et surtout malgré des révolutions à répétition... ou grâce à elles.

 

 

Mais quel est donc ce pays ? Est-ce celui que les Allemands nomment depuis deux siècles la Grande Nation, où le vieux dicton germanique dit que Dieu y est le plus heureux ?

 

 

Ce n’est pas celui en tous les cas que stigmatise une vieille droite qualifiée il n’y a pas si longtemps de plus bête du monde, et qui dénonce cette nation « jalouse », « arrogante » et « en panne » et tout ce qui précède comme « l’esprit de jouissance », « ces mensonges qui nous ont fait tant de mal », - pour reprendre les formules d’un vieux maréchal sénile à qui il faudra bien un jour qu’un président de la République retire à titre posthume le bâton pour lequel, comme disait Weygand au soir de sa remise en 1918, « il a fallu aller le chercher et le traîner à coups de pieds au cul ».

 

 

Il y a effectivement des coups de pied au cul qui se perdent.


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